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  • 112 – Les rires

    Phrase donnée par JohnButcher

    J’entends des rires.

    On m’avait prévenu. Je savais ce qui m’attendait. Je savais qu’en allant chercher l’Épée, au milieu de la Forêt des Maléfices, je risquais de vivre des choses étranges et dangereuses. Le vieux mage m’avait prévenu.

    Et même si je suis l’Élu, le héros qui sauvera le pays de l’invasion de monstres du Seigneur des Ténèbres, même si je suis protégé par un sortilège puissant depuis ma naissance, même en ayant la Bague Bleu et le Bouclier de Fer, je suis dans cette maudite Forêt et j’entends des rires. Je suis prêt à tout pour sauver le monde. J’ai déjà combattu des slimes, des pieuvres cracheuses de pierres et cochons humanoïdes mais ici, ces arbres sont maléfiques. Réellement. Je sens qu’il se dégage d’eux quelque chose d’étrange.

    La vielle voyante me l’avait dit. Elle m’a même donné un pendentif pour me protéger, il fonctionne bien, je le sens chauffer depuis que je suis à l’ombre du feuillage de ces monstres végétaux mais il n’est pas assez puissant. Je les entends murmurer à mes oreilles, je les entends rire.

    Je dois me faire un chemin à travers ces taillis qui semblent bouger après mon passage pour m’empêcher de rebrousser chemin. Je dois récupérer l’Épée. Une fois en ma possession la forêt ne pourra plus m’atteindre et me laissera ressortir. D’après les légendes. En attendant, je dois trouver mon chemin pour aller jusqu’à elle.

    Je suis dans cet enchevêtrement de troncs et de feuillages depuis des heures, j’ai l’impression de tourner en rond. Je ne compte plus le nombre de bêtes sauvages et étranges contre lesquelles j’ai dû me défendre depuis que je suis ici. Heureusement qu’elles me permettent de récupérer quelques pièces d’or qui me permettront d’acheter des équipements un peu plus sophistiqués. Si je sors d’ici vivant. Ces rires vont me rendre fou. Si je sors d’ici.

    Enfin, je la vois. L’Épée est là, sur une grande pièce de granit sculpté. Elle est enfichée à l’intérieur, bien droite, attendant que l’Élu vienne la récupérer. Un rai de lumière qui tombe du ciel dans la trouée de branchage et la fait étinceler. Au pied, je vois les restes d’aventuriers qui n’étaient pas les élus. Les lames sont émoussées et à moitié recouvertes par de la mousse. Les crânes et ossements sont propres, comme s’ils avaient été reléchés après le repas.

    J’entends encore une fois ces rires. Ils sont plus proches.

    Et soudain, il tombe. Ce monstre légendaire dont tout le monde parle mais que personne n’a vu sans mourir. Il est immense, cinq fois ma taille, orange, visqueux. C’est une sorte d’œil géant avec une queue de lézard mais seulement deux pattes. Il n’a pas de bouche. Enfin, c’est ce que je crois jusqu’à ce qu’il lance sa queue sur moi et que je découvre à son bout un orifice qui s’ouvre et se referme avec de grandes dents qui claquent.

    Je rengaine mon épée et passe mon bouclier dans mon dos tout en attrapant mon arc. C’est le genre de bestiole dont il vaut mieux rester à distance. À chaque pas qu’elle fait, le sol tremble et me force à rester immobile pour garder l’équilibre. Il faut que je saute à chacun de ses pas si je ne veux pas me faire avaler en une bouchée.

    Je vise son œil et décoche une flèche. Ce monstre a de sacré réflexe, il arrive à fermer sa gigantesque et unique paupière à temps pour se protéger. La flèche rebondit mollement avant de tomber au sol. Je tente encore une ou deux fois mais le résultat est le même. Comment arriver à détruire ce monstre ? Soudain une idée me vient. Je range mon arc et sort de mon sac mes bombes. J’en prépare une et attends qu’il essaie de me croquer encore une fois. Il lance sa queue, je lance ma bombe allumée et esquive en roulé-boulé. Rapidement, j’entends le bruit sourd de l’explosion dans les entrailles de la bête, je dégaine mon arc et tire dans l’œil du monstre sonné. Bingo. La paupière ne s’est pas baissée. La flèche se plante dans le globe oculaire, énervant la bête qui se met à trépigner. Je me jette derrière un gros arbre et attends qu’elle se calme. Je vais l’avoir à l’usure.

    Trois bombes et trois flèches plus tard, le coriace spécimen s’écroule enfin. Il devient de plus en plus transparent et laisse enfin apparaître cette relique en forme de cœur qui me permet de mieux résister aux coups. Je la ramasse et monte sur l’estrade en granit.

    Lentement, je marche vers l’Épée. J’entre dans la lumière. Je m’inquiète, parcouru d’un doute. Et si je n’étais pas vraiment l’Élu ? Si je n’étais pas capable de la retirer de son emplacement ? Mourrais-je ici dans la Forêt Maléfique ?

    Je pose la main sur le pommeau, tremblant. Je souffle. Je ferme les yeux et tire de toutes mes forces pour desceller l’arme. Elle suit le mouvement de mon bras si facilement que je manque de tomber à la renverse. Elle est dans ma main, déjà au-dessus de ma tête. J’ouvre les yeux et scrute la Forêt, pour voir si elle réagit. Je ne sais pas si la lumière tombant sur la lame rutilante de l’Épée éclaire le sous-bois ou si la Forêt a compris le message mais en tout cas, les rires se sont arrêtés.

     

  • 111 – Le capharnaüm

    Désolé pour l’heure de postage de cette nouvelle !

    Phrase donnée par Amelodine

    Il alluma la lumière et découvrit le capharnaüm.

    Les meubles étaient déplacés ou carrément retournés. Les coussins avaient été tous éventrés. Les livres tous au sol, la verrerie en morceaux. Ça sentait le gaz à plein nez.

    Alfensen resta un instant sur le seuil de la porte, choqué. Il avait du mal à réaliser. Mille questions lui traversaient la tête. Au bout d’un instant, il réussit à faire un pas pour entrer et referma la porte derrière lui. Il ne voulait pas que les voisins découvrent et posent de questions.

    Fallait-il qu’il appelle ses supérieurs immédiatement ou qu’il attende un peu ? Il décida d’inspecter d’abord l’appartement et voir ce que les voleurs avaient pris. Ça n’était peut-être qu’un simple hasard mais il en doutait. Après trois ans à travailler en sous-marin dans cette bande de bikers qui passaient armes et drogue, il était possible que quelques-uns de ses « frères » aient eu des soupçons ou, et c’était la pire des éventualités, il y avait une taupe dans le service de la police qui rencardait sur les flics comme lui. Si c’était le cas, il avait intérêt à se faire extraire de ce merdier rapidement.

    En attendant, il fallait qu’il voie si les dossiers qu’il avait constitués étaient toujours planqués à leur place.

    Une fois dans la salle de bain, Alfensen déboîta la trappe donnant sous la baignoire et enfonça son bras pour aller chercher loin au fond. Il s’inquiéta un instant, ne trouvant rien mais finalement ses doigts frôlèrent un bout de plastique. Il souffla, soulagé. L’enveloppe hermétique, qui contenait nombre de preuves contre ces malfrats qu’il côtoyait quotidiennement, était encore là.

    L’attrapant du bout des doigts, il parvint à la coincer en l’index et le majeur et à la tirer vers lui. Il devrait la mettre un peu moins loin la prochaine fois quand même, se dit-il. Au moment où il tira franchement l’enveloppe pour enfin la sortir de sous la baignoire, Alfensen eut l’impression d’entendre un cliquetis mais n’y fit pas attention, trop pressé de voir les documents.

    Il ouvrit de larges yeux quand il vit que le contenu de l’enveloppe de plastique transparent avait été vidé pour être remplacé par une simple feuille blanche sur laquelle était écrit en rouge « CRÈVE SALE POULET ».

    Alfensen regarda ce mot deux secondes avant de se souvenir du cliquetis entendu quatre secondes plus tôt. Il se leva rapidement et essaya de sortir de la salle de bain mais la grenade explosa, enflammant le gaz répandu dans l’appartement.

  • 110 – Enceinte

    Phrase donnée par Masque de Mort

    « Chérie, je ne t’avais jamais dit que je ne peux pas avoir d’enfant ? » John Bell, assis au volant de sa superbe Jaguar, attendait pour démarrer.

    Sue-Helen et lui sortaient de chez le docteur qui venait de leur annoncer un heureux événement. John n’avait plus dit un mot après cette annonce. Il réfléchissait. Ça faisait un bout de temps qu’il soupçonnait Sue-Helen de le tromper mais il n’avait aucune preuve. C’était une femme intelligente qui savait brouiller les pistes.

    Elle changea malgré tout de physionomie quand son mari lâcha la nouvelle. Celui-ci voulut y voir la preuve de sa culpabilité.

    Un long silence s’installa dans l’habitacle du véhicule. Sue-Helen fixait son mari impassible. John regardait au loin, dans le vague. Au bout d’un temps qui leur parut très long à tous les deux, il démarra le moteur et partit en trombe.

    Finalement, Sue-Helen n’y tint plus :

    « Tu es sûr de toi, John ? Ça n’est pas possible. Le docteur est formel, je suis enceinte. De qui veux-tu que cet enfant soit ?

    — Je ne sais pas. Il y a plusieurs possibilités. Le jardinier, ton prof de sport, le voisin peut-être…

    Sue-Helen éclata de rire.

    — Tu me vois vraiment coucher avec Ervin ? Il est gros et chauve, et en plus, il est complétement idiot et prétentieux. Je t’en prie…

    — Donc tu ne démens pas avec les deux autres ! John s’enfonçait dans une colère sourde et sa voix devenait de plus en plus grave, presque couverte par le son du moteur. Il fonçait sur la route de la falaise, prenant les virages à la corde, essayant de se concentrer plus sur les lacets que sur ces nouvelles.

    — Mais tu racontes n’importe quoi !! Je ne t’ai jamais trompé. Je t’aime, John !!

    — Alors comment expliques-tu que tu arrives à tomber enceinte ?

    — Je n’en sais rien ! Et puis, qu’est-ce qui me prouve que tu es vraiment stérile ? C’est moi qui devrait me poser des questions sur ton amour si tu ne m’as jamais avoué ça jusqu’à maintenant ! Et rien ne me dit que tu ne vas pas voir ailleurs en profitant de ça pour être sûr de ne pas engrosser ta secrétaire ou cette salope de Shannon !

    — Je t’interdis de parler de Shannon comme ça ! C’est une femme formidable !

    — Tu vois ! Tu la défends ! Salaud !

    Explosant en sanglots, Sue-Helen frappa John à l’épaule avec sa pochette. Il tourna la tête un instant pour jeter à sa femme un regard à tuer quelqu’un sur place. Quand il regarda à nouveau la route, le camion était trop près, ils allaient trop vite. John mit un coup de volant pour essayer de l’éviter. Le camion aussi. L’aile de la Jaguar frotta la roue du camion avant de déchirer la rambarde de sécurité. La voiture dégringola et fut rapidement happée par l’océan après quelques tonneaux sur la roche.

    Les sonneries s’égrainèrent jusqu’à basculer l’appel sur la messagerie.

    « Madame Bell, rebonjour, ici le Docteur Schwartz. Je suis désolé mais ma secrétaire est malade et sa remplaçante a fait une inversion dans les résultats des prises de sang. Je… euh… Voilà. Je suis désolé de vous l’annoncer par téléphone mais vous n’êtes pas enceinte. À part cela, vos résultats sont normaux et vous êtes en très bonne santé. » s’empressa-t-il d’ajouter.

  • 109 – Interlude III

    Alors qu’aujourd’hui, je suis encore au charbon et donc dans l’impossibilité d’écrire une nouvelle, je vous propose quelques photos de la ville de Strasbourg. Sans légende et sans commentaire, parce que ça sert à rien. Enjoy !

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  • 108 – Au milieu de la nuit

    Phrase donnée par Masque de Mort

    « Il m’a demandé de passer pour lui donner un coup de main, je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il allait me demander de faire. Tu te rends comptes ? J’ai passé dix ans à faire médecine et à me spécialiser pour qu’il m’appelle et me demande de… »

    Jane ne put terminer sa phrase, les larmes au bord des yeux, tremblante de rage, essayant de déposer les cendres de sa cigarette dans le cendrier devant elle. Ses spasmes nerveux la firent en mettre partout. Elle s’excusa auprès de son amie avant de tirer une nouvelle grosse bouffée de produit cancérigène.

    Olivia attendit que son amie se calme en sirotant son café. Jusque là, elle ne comprenait pas pourquoi Jane était dans cet état.

    Benoît, le fiancé de la jeune femme, médecin de garde en plein campagne, avait été appelé pour une urgence au beau milieu de la nuit. Prenant la voiture à moitié endormi, il avait réussi à aller chez le couple de jeune gens en détresse. La femme était enceinte de huit mois et avait de fortes douleurs. Le mari ne savait s’il devait aller à l’hôpital, qui était à quarante kilomètres de là. Jane s’était rendormie, rien de vraiment grave à ces yeux. Ça ne sortait pas beaucoup de l’ordinaire des nuits de son chéri.

    Finalement, toujours au beau milieu de la nuit, le téléphone avait encore une fois sonné. Jane avait décroché, s’attendant à tomber sur un des patients de Benoît mais fut très surprise d’entendre sa voix à lui.

    « Ma chérie ! Sa voix était emplie d’un stress qu’elle ne lui connaissait pas. Ça la réveilla sur-le-champ. Je suis dans la merde, il faut que tu viennes me filer un coup de main. Dépêche-toi, s’il te plaît. »

    Il avait continué en lui expliquant comment le rejoindre. Jane avait enfilé les premiers habits qu’elle avait trouvés et pris sa trousse médicale, avant de sauter dans sa voiture et de partir en trombe sur les petites routes de campagne. Elle se demandait ce qu’il devait bien se passer pour que son fiancé, pourtant si calme, posé, tout en self-control, l’appelle de la sorte. Elle espérait qu’elle arriverait à temps pour permettre à la maman et au bébé de finir la nuit et bien plus. Jane savait que Ben était un bon médecin et que s’il demandait de l’aide, c’était vraiment grave.

    Après une bonne demi-heure de route dans la nuit, la forêt et les nappes de brouillards, Jane arriva là où son fiancé avait dit. Mais c’était au milieu de nulle part, dans la forêt. La voiture de Benoît, une vieille Volvo, était sur le bas côté, les warnings déchirant la nuit par à-coups. Jane se gara derrière. Elle ne voyait pas son homme. Elle descendit rapidement. Dans la lumière des phrases, à travers le brouillard mouvant, elle eut l’impression de voir une flaque de liquide sombre sur la route. Était-ce du sang d’un animal sauvage ou d’une personne qu’il avait percuté ? Ou le sien peut-être ? Le temps qu’elle fasse les quelques pas qui la menèrent à l’avant de la Volvo, son esprit s’emballa et lui firent imaginer les pires choses. Elle ne fut qu’à moitié rassurée en n’y trouvant aucun cadavre. Où était donc Benoît ? Jane se hasarda à crier son nom dans l’obscurité. Elle faillit faire un infarctus et ne put retenir un cri strident en voyant une silhouette surgir de derrière l’aile qui donnait sur le bas-côté, le visage recouvert lui aussi de saleté, une clé démonte pneus à la main. Benoît tenta de la rassurer immédiatement mais il fallut presque une minute à Jane pour se calmer.

    « Et là, moi je m’attendais à lui donner un coup de main pour l’accouchement, ou un autre patient, je sais pas ! Non ! Lui, tranquillement avec ce sourire un peu con qu’il a des fois, il m’annonce que l’accouchement s’est très bien passé, que c’est un garçon, trois kilos huit, cinquante deux centimètres, limite s’il m’annonce pas les constantes de la mère…  Il a fallu que je lui demande qu’est-ce qu’il foutait là, comme s’il avait déjà oublié qu’il était presque quatre heure du mat’. Là, il me dit qu’en rentrant, il a percuté un sanglier, ce qui explique le sang, et qu’il a crevé à cause de ça.

    — La nuit pas de bol ! appuya Olivia.

    — Et là, il me demande, tiens-toi bien, il m’a fait me lever au milieu de la nuit pour ça quand même… Il m’a demandé de lui changer sa roue, parce qu’il sait pas le faire.

    — Oh ! Le con ! Olivia ne put s’empêcher de rire. Moi, j’aurais fait demi-tour et laissé se démerder tout seul pour lui faire comprendre la leçon. Et alors, t’as fait quoi ? Tu lui as changé, sa roue ?

    — Non… Moi non plus je sais pas le faire… »

  • 107 – Jet-Scoots

    Phrase donnée par Amelodine

    « Vu l’usage que tu vas en faire, je te conseille d’utiliser un dual-core. »

    Arsen, le vendeur de jet-scoots de compétition savait ce qu’il racontait. Ancien coureur professionnel, il avait ouvert cette boutique quand il s’était retiré du championnat après un gros accident. Depuis, il montait lui-même ses machines et les amélioraient au gré de ses envies. Évidemment, celles qui vendaient n’était pas aussi puissantes que ce sur quoi il avait eu l’habitude de concourir mais il avait le plaisir de faire partager son expérience.

    Quand le gamin était venu le voir la première fois, quelques semaines plus tôt, il n’avait jamais posé les fesses sur ce genre d’engins. Normal puisque avant douze ans, il était complétement interdit de monter dessus, il y avait eu trop d’accident mortels. Les sanctions était assez lourdes autant pour les adultes qui laissaient faire que pour les gamins qui transgressaient l’interdit. Ce qui n’empêcha pas Arsen d’amener le jeune à l’arrière de la boutique sur le simulateur. Il était habitué à faire ça. Deux ou trois fois, il avait fait monter des novices sur de vraies machines mais le dernier avait eu un accident assez grave et Arsen avait dû jouer de ses connaissances pour arriver à garder son magasin ouvert.

    Le gamin s’était assis sur la réplique de jet-scoot et avait tourné la poignée des gaz sans même que le propriétaire n’ait le temps de lui expliquer le fonctionnement. Les quelques premiers virages, les freinages furent un peu brutaux, le gosse frotta quelques bordures mais Arsen fut littéralement halluciné de voir comment ce môme, qui annonçait n’avoir jamais piloté ce genre d’engin, maîtrisait la bête. Évidemment, ça n’était que le simulateur, toutes les sensations n’y étaient pas mais la façon qu’il avait d’attaquer les trajectoires, de bouger sur l’engin était déjà impressionnante pour un nouveau.

    Le gamin descendit tout enthousiaste de sa course. D’un geste paternel, Arsen l’ébouriffa.

    « C’est pas mal ce que tu viens de me faire là ! Reviens me voir quand tu veux pour réessayer. » avait-il proposé. Le gamin l’avait remercié et était reparti comme un courant d’air, sans même lui dire son prénom.

    Quand les gosses arrivaient à son âge, en général, les parents craquaient et offraient le premier jet-scoot à leurs rejetons. Il était étrange que celui-là ne soit pas venu avec les siens mais ses performances éludèrent la question dans l’esprit d’Arsen.

    La fois d’après, Andrew, comme il s’appelait, revint seul encore et fit une nouvelle fois une course spectaculaire. À la troisième fois, qu’il vint sans adulte, Arsen posa la question :

    « Tes parents ont l’intention d’acheter un scoot pour ton anniversaire ?

    Andrew baissa le nez et hésita à répondre.

    — Allons, reprit Arsen, je vais pas te manger. Tu peux me dire.

    — Mes parents n’ont pas les moyens de m’en offrir un, même d’occas’, mais j’ai des amis à l’école qui m’ont dit que vous faisiez faire des tests gratuits sur simulateur. »

    Arsen fit la grimace. Il faudrait qu’il soit peut-être un peu plus strict. Cependant, ce gamin était peut-être le futur champion de courses de jet-scoot. S’il pouvait l’entraîner, ils pourraient, Arsen en était sûr, atteindre, la ligue nationale en moins de trois ans.

    Le gérant du magasin avait donné rendez-vous le jour de son anniversaire à Andrew. Il arriva, encore une fois seul, à la boutique en milieu d’après-midi après une modeste fête en famille. Il semblait tout excité par ce rendez-vous donné par l’ancien champion.

    Celui-ci n’y alla pas par quatre chemins et poussa le jeune garçon à l’arrière du magasin mais pas pour aller s’entraîner sur le simulateur. Il le fit sortir par la porte arrière pour aller dans le garage. Là, des jet-scoots étaient entreposés, certains entiers, d’autres en pièces plus ou moins détachées.

    Arsen s’agenouilla pour être à la hauteur des yeux d’Andrew. Il lui posa les mains sur les épaules en lui plongeant son regard dans celui du jeune garçon qui semblait intimidé.

    « Tu as aimé courir sur simulateur ?

    — Oui ! s’écria le garçon.

    — Crois-moi, ça n’est rien comparé aux sensations sur une vraie machine. Tu as l’étoffe d’un champion, j’en suis certain. Si tes parents sont d’accord et toi aussi, je vais t’entraîner et tu courras en compétitions dès la prochaine saison !

    — Super ! Andrew ne trouva pas grand choses à rajouter.

    Arsen se releva et regarda ses machines.

    — Vu ton style de pilotage, il te faudrait un moteur simple-core avec un système antigravitationnel double flux mais pour commencer en vrai, et vu l’usage que tu vas en faire, je te conseille d’utiliser un dual-core. C’est le mieux dans un premier temps. Mais d’abord, enfile-moi ces protections »

    Arsen jeta au gamin une combinaison renforcé et lui apporta un casque. Andrew était impatient de tester une de ces machines pour de vrai.

  • 106 – Une journée normale

    Phrase donnée par Masque de Mort

    En y repensant bien, toute la journée avait été normale.
    Jim s’était levé aux aurores, enfin très tôt. Dans l’espace, cette expression n’avait plus vraiment de sens, à la vitesse à laquelle il tournait autour de la Terre, l’aurore était un moment qu’il voyait plusieurs fois par jour.
    Après un petit déjeuner protéiné fait de produits lyophilisés et de pâte de plats qui n’avaient jamais dû exister sur Terre, Jim avait enfilé sa combinaison pour aller prendre son poste. Réserviste au poste de tir 152, il allait tous les mardis monter la garde. C’était un poste important parce qu’il nécessitait une vigilance de tous les instants et une capacité à tirer avec précision avec ces canons à ions de première génération. Un vaste programme de remise à niveau des armes de protections de la station orbitale était en cours depuis trois ans mais le nombre de canons à changer couplé aux graves problèmes financiers en bas laissait Jim à penser qu’il serait déjà en retraite que le poste 152 n’aurait toujours pas les nouveaux canons (Laser ou autres, suivant l’avancée des technologies).
    Jim s’installant dans le siège encore chaud, Robert lui fit un rapide compte rendu de la nuit, calme. Rien d’inhabituel, avait-il dit. Jim connecta ses iEars sur le canal 32, la radio réservée aux militaires. Un message d’accueil lui souhaita la bienvenue.
    « Ici Tour de contrôle, bonjour.
    — Jim Morrison, en poste au 152. Activation de la tourelle.
    — Activation confirmée. Nous vous souhaitons une belle journée, Jim. »
    Il n’avait jamais su si cette voix appartenait à une vraie personne ou n’était qu’une synthèse vocale de plus. Jim appréciait sa vie mais il lui manquait de voir du monde. Des gens. Il n’avait d’interaction réelle qu’avec Robert qu’il relevait, Mitchell qui le relevait et David, son collègue de travail.
    Jim, en dehors de sa journée réserviste hebdomadaire, était laveur de carreaux. Cinq jours sur les six restants, il sortait dans l’espace et nettoyait les immenses baies de la station. Évidemment, ils n’étaient pas que deux à faire ce job mais il ne voyait jamais les autres, chaque équipe ayant un secteur bien défini. Sa journée de temps libre, il n’avait pas suffisamment de crédits pour pouvoir aller s’amuser dans les différents dancing et bars de la station. C’était d’ailleurs pour ça qu’il s’était engagé dans la réserve à l’origine. Jim voulait juste arrondir ses fins de mois et voir du monde. Au fin fond du poste 152, on pouvait dire qu’il avait raté son coup sur tous les points. Il n’était payé qu’au nombre de cibles abattues. Et comme son canon n’était pas des plus précis et son poste pas très bien placé, il ne gagnait pas autant que ceux faces à la Lune. Au moins, Jim avait une vue sur la Terre dans l’angle gauche. Il se consolait en se disant qu’un jour, il irait vivre là-bas. Sur le sol. Depuis deux ans, il avait décidé d’économiser le fruit de ses primes pour pouvoir se payer le visa et le voyage.

    14h37, la voix-off de la radio annonça une vague de vaisseaux ennemis en approche. Les habitants de la Lune essayaient souvent de passer à travers le maillage de stations orbitales pour atteindre l’atmosphère de la planète. Il y en avait bien quelques vaisseaux qui y parvenaient mais la plupart était détruite par Jim et ses camarades. Les quelques qui passaient devaient être détruits par la D.C.A. terrestre. Certains disaient que les Luniens étaient des extra-terrestres qui avaient installé un poste avancé sur le satellite terrien pour essayer de conquérir la planète bleue. D’autres racontaient que c’étaient des colonies terriennes qui avaient fait dissidence et tentaient de renverser le gouvernement terrien par des attaques répétées. Jim n’avait aucune idée de quelle histoire était la vraie et il s’en fichait. Tout ce qu’il voyait, c’était la prime qu’il touchait chaque fois qu’il abattait un vaisseau. Chaque prime qui le rapprochait un peu plus de la Terre.
    Les combats furent âpres, comme chaque fois. Les canons à ions chauffèrent. Dans ses oreilles, Jim entendait les ordres, l’avancée de l’offensive et surtout le décompte officiel de ses cibles. Il espérait chaque fois pouvoir dépasser son record de onze — une fois où la rangée de poste de tir du front avait subi une avarie.

    17h28, la fin de l’attaque fut officiellement prononcée. Le score de Jim se montait à sept vaisseaux abattus. « Félicitations ! » avait rajouté la voix-off.
    La dernière demi-heure du tour de Jim passa très lentement. C’était toujours comme ça après une attaque. Le temps s’écoulait différemment.

    Une fois Mitchell en place, Jim rentra chez lui, exténué mais content de pouvoir compter sur ces nouvelles primes.
    Allongé sur son lit, suçant une ration de lapin à la moutarde qui n’avait jamais dû voir ni de lapin ni de moutarde, Jim regardait à la télé le reportage sur l’attaque, jalousant les postes les mieux placés et leurs primes.
    Se préparant à dormir, Jim repensa à cette journée. Ça avait été une journée tout à fait normale.

  • 105 – Le cercueil

    Phrase donnée par Ambrose

    « Mais qu’est-ce que vous avez fait du cercueil ?

    L’employé des pompes funèbres regardait le sol comme un enfant qui a fait une grosse bêtise, jouant du bout du pied avec un caillou.

    — Et la camionnette ? J’attends une explication claire et rapide ! J’ai un client qui demande des nouvelles de sa grand-mère ! J’aimerais pouvoir lui dire quelque chose ! «

    Le patron n’était pas content du tout. C’était bien compréhensible. En trente ans de carrière, il n’avait jamais eu à déplorer de problème et depuis qu’il avait engagé cet hurluberlu, les erreurs s’enchaînaient jours après jours. Mais cette fois, il avait dépassé les limites. Perdre un véhicule et le cercueil qu’il contenait, comment était-ce possible ?

    L’employé, que nous appellerons Larry pour lui garder des chances de retrouver du travail un jour, devait transférer le corps du lieu du décès vers le lieu de l’enterrement, soit un déplacement de près de huit cents kilomètres. Logiquement, il s’arrêta durant son périple pour manger un bout et prendre un peu l’air. Larry avait laissé la camionnette ouverte. Il ne voyait pas l’intérêt de verrouiller un corbillard. Mais alors qu’il urinait dans un fourré non loin de là, il en entendit un bruit de portière et n’eut que le temps de voir quatre personnes monter à l’intérieur et lui voler le cercueil. Ils le chargèrent dans une camionnette ressemblant en tout point à la sienne et partirent en trombe. Larry se dépêcha de remonter maladroitement sa braguette et jeter sa cigarette avant de sauter à son tour dans son corbillard, oubliant même de fermer les portes arrière. Il devait les rattraper et récupérer la boîte contenant Élisabeth Dubois, d’après les papiers officiels de transport.

    Fonçant sur la route nationale —  Le patron de Larry ne voulait pas qu’il prenne l’autoroute, question d’économie qu’il disait —, derrière l’autre véhicule, Larry arrivait à gagner un peu de terrain. Ils étaient quatre plus un corps, lui roulait à vide à présent.

    Alors qu’il n’était plus qu’à une dizaine de mètres de la camionnette des voleurs, les portes arrière s’ouvrirent. Larry eut l’impression de vivre un épisode de l’agence tous risques. Deux des voleurs avaient des armes à feu. Larry n’y connaissait pas grand choses là-dedans, ça ressemblait juste à des mitraillettes. Ils n’attendirent pas pour faire feu. Dans un réflexe, Larry se baissa pour se protéger derrière le tableau de bord. Deux ou trois balles firent voler le pare-brise en éclat. De la fumée entra dans l’habitacle. Ces salauds avaient sûrement atteint le radiateur, voire le moteur même. Il allait se faire distancer. Rétrogradant tout en accélérant au maximum, Larry parvint à rejoindre la camionnette et à la percuter malgré le tir nourri des voleurs. L’impact fut immédiatement suivi d’un bruit étrange, comme une petite explosion. Le moteur venait de rendre l’âme, le véhicule de Larry se mit à ralentir. C’était fini. Il allait se faire virer. Relevant la tête, il vit les malfrats s’éloigner mais fut stupéfait de voir glisser au milieu de la route le cercueil qui lui avait été volé. L’impact l’avait sûrement fait tomber. Pourquoi les voleurs avaient préféré s’enfuir plutôt que de le récupérer, Larry n’en savait rien. Il le comprit rapidement en se faisant dépasser par trois véhicules de police. Un quatrième s’arrêta devant lui. Le conducteur sortit rapidement et braqua son arme sur le convoyeur des pompes funèbres qui leva les mains, tremblant de peur.

    Menotté, la joue contre le métal froid de la carrosserie de sa camionnette, Larry se demandait ce qu’il allait lui arriver. Le collègue du policier qui venait de l’arrêter était allé voir le cercueil et revenait tranquillement.

    « Vous savez ce que contient ce cercueil ? demanda-t-il.

    — Madame Dubois… bafouilla Larry, Élisabeth Dubois, née le 24 septembre 1927, morte il y a trois jours. Je l’emmène pour qu’elle soit enterrée dans le caveau familial.

    Le policier montra à Larry une poche transparente entourée de cellophane remplie de poudre blanche.

    — À moins qu’elle n’ait déjà subit sa crémation, je ne suis pas sûr que ce soit elle… »

    À cet instant du récit, le patron de Larry le coupa.

    « Quoi ? Il y avait de la drogue dans le cercueil ? Vous vous foutez de moi ! Ça n’est pas possible, j’ai scellé le cercueil moi-même !! »

    Larry regarda son patron d’un air défaitiste en haussant les épaules. Il avait perdu une dépouille et était inculpé de trafic de drogue par la police. Ces états d’âme ne l’atteignaient pas trop.

    « Mais qu’est devenue la mamie ? Et comment vous êtes vous retrouvé en possession de cette marchandise ?

    Larry haussa une nouvelle fois les épaules.

    — Je ne veux plus vous voir ! Vous êtes viré ! Allez-vous-en ! »

    Pendant que Larry s’éloignait tranquillement de son nouvel ex-travail, son nouvel ex-patron entra furieux dans son bureau. Il décrocha le téléphone.

    « C’est moi ! Quelqu’un savait pour le transport. Mon idiot s’est fait attaquer avant de se faire arrêter par les filcs ! … Évidemment qu’ils ont saisi la marchandise ! Putain !! Cent-cinquante kilos de dope. C’était facile, ça devait se passer sans problème ! Trouvez la taupe et faite lui comprendre qu’on joue pas aux cons avec l’argent des autres ! »

     Le patron raccrocha. Au même instant, un jeune homme d’une trentaine d’années entra dans le bureau.

    « La gestion administrative, c’est au secrétariat ! » aboya le patron, visiblement sur les nerfs.

    Le jeune homme sortit de sa poche un porte feuille qu’il ouvrit d’un mouvement mécanique, montrant son habitude, et laissant apparaître une carte d’officier de police. Le patron laissa tomber sa tête et ses épaules sous le poids de la fatigue. Ça n’était vraiment pas son jour.

  • 104 – Albertus

    Phrase donnée par Luigi B.-B.

    Juste au moment de poser son séant, une brise taquine vint lui rappeler un détail oublié. En ce début de soirée, le fond de l’air était frais malgré la chaleur de l’après-midi. Albertus avait le choix. Soit il redescendait de sa monture pour aller chercher cette pièce d’étoffe qu’il n’aurait jamais dû enlever, soit il restait ainsi et rentrait dans cette tenue au risque d’attraper froid, pour au final devoir la chercher malgré tout.

    Il n’aurait déjà pas dû écouter la belle Rodheid et se dévêtir de la sorte. En l’enlevant, il savait qu’il allait l’oublier en repartant. C’était pour ça qu’il avait hésité mais la belle brune avait tant insisté pour qu’il soit dans la même tenue que tout le monde qu’il avait finalement cédé. Il ne le regrettait pas puisqu’il s’était tout de suite senti mieux.

    Le cheval d’Albertus renâcla. Il semblait impatient de se dégourdir les pattes. Albertus, lui, n’arrivait pas à se décider. Il était bien là-haut et n’aimait pas trop monter ou descendre de sa monture. Pesant le pour et le contre encore un instant, il s’apprêtait à remettre pied à terre quand la porte de la bâtisse s’ouvrit laissant Rodheid apparaître. Elle tenait avec elle l’étoffe. Albertus la prit en remerciant la belle jeune femme.

    « Quand je vous parlais de vous mettre à l’aise, cher Albertus, je parlais de votre écharpe. » dit Rodheid pendant que le cavalier remettait tant bien que mal, sans redescendre de sa monture, son kilt.

  • 103 – De l’utilisation des temps dans la narration

    Ce matin sur Twitter, j’ai pu avoir un débat (même pas houleux dis-donc) à propos de la narration. Tout est parti de ce tweet :

    C’en est suivi une petite discussion bien sympathique (et qui changent des nombreux clashes qu’on peut voir sur Twitter) où les uns rappelaient que « l’usage veut que le temps de narration littéraire soit le passé simple[…] » ou que « tout au présent paraissait bizarre », d’autres trouve que c’est plus contraignant pour l’auteur et pour le lecteur.

    Pour avoir testé la narration au passé simple — qui reste ma préférée —, celle au présent, à la première personne, à la troisième personne et même à la seconde durant mon marathon, je dirais que le temps de narration dépend de plusieurs facteurs (dans le désordre) :

    • De l’utilisation du “je” ou “il/elle” qui changera complètement la façon dont sera perçu l’histoire,
    • Du type d’histoire qu’on raconte. Je pense qu’un thriller et une romance n’utilisent pas la même narration,
    • Du rythme qu’on veut imposer au lecteur.

    Alors quoi ? On ne peut pas écrire comme on veut ?

    On peut écrire comme on veut mais si on veut que ce soit lu, il faut que ce soit fluide pour le lecteur. Il ne faut pas le perdre avec une narration trop étrange alors qu’il découvre déjà des personnages et un monde nouveaux (je pars évidemment du postulat qu’on écrit de la fiction).

    Il faut se souvenir que si l’« usage » est d’un certain type, c’est parce qu’en général d’autres choses ont déjà été testées et qu’elle ne fonctionnent pas aussi bien (ce qui ne veut pas dire qu’elles ne fonctionnent pas). Donc garder le passé simple et consorts est la meilleure façon — et la plus simple finalement — de faire pour raconter des histoires, parce qu’elle permet de garder le lecteur dans une façon de lire déjà connue et éprouvée. Faisons comme s’il était un promeneur et le temps de la narration le moyen de locomotion. L’« usage », c’est la marche à pied. Donc le lecteur marche tranquillement et l’auteur crée le décor. Si le lecteur a l’habitude de marcher, il est habitué à apprécier les arbres, le ciel, les insectes, tout ce que l’auteur lui décrit et lui raconte, même si c’est un sentier nouveau qu’il arpente.

    Hop, l’auteur change le moyen de transport parce qu’il préfère utiliser le présent, par exemple. Le lecteur est maintenant sur un vélo. Il n’en a jamais fait. Au début, il va avoir un peu de mal pour se concentrer sur le décor de la promenade, trop concentré sur sa technique. Logique. Et c’est à l’auteur de rendre le changement le plus invisible possible pour le lecteur, de le faire se sentir à l’aise le plus tôt dans l’histoire pour qu’il puisse l’apprécier à sa juste valeur. Il est clair que si l’auteur lui-même n’est pas à l’aise, il n’arrivera pas à mettre à l’aise le lecteur.

    Je prendrais une seconde comparaison, tirant plutôt vers le dessin numérique. Les effets qu’on veut apporter sur le plan narratif en ne suivant pas l’« usage » sont comme les filtres photoshop : le Démon. Ça paraît sectaire ? Effectivement, ça l’est un peu. Mais pour avoir vu beaucoup de gens commencer à dessiner sous photoshop, j’ai constaté que l’erreur que la plupart faisaient était de trop utiliser les filtres pour masquer leur manque de technique (et de regard critique sur leur travail mais c’est un autre problème). Les filtres sont des outils très puissants quand ils sont utilisés correctement. Le changement de temps de narration, c’est pareil. C’est technique, il faut savoir s’en servir et on n’utilisera pas autre chose que le passé simple en se justifiant qu’on ne maîtrise pas la conjugaison et les accords dans ces temps, par exemple.

    Essayons avec le premier texte de grand auteur qui me tombe sous la main (Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas) :

    Morrel ne se borna pas aux renseignements que lui donnait Valentine ; il alla chez le notaire, qui lui confirma la nouvelle que la signature du contrat était pour neuf heures du soir.

    Puis il passa chez Monte-Cristo ; ce fut encore là qu’il en sut le plus : Franz était venu lui annoncer cette solennité ; de son côté, madame de Villefort avait écrit au comte pour le prier de l’excuser si elle ne l’invitait point ; mais la mort de M. de Saint-Méran et l’état où se trouvait sa veuve jetaient sur cette réunion un voile de tristesse dont elle ne voulait pas assombrir le front du comte, auquel elle souhaitait toute sorte de bonheur.

    Morrel ne se borne pas aux renseignements que lui a donné Valentine ; il va chez le notaire, qui lui confirme la nouvelle que la signature du contrat est pour neuf heures du soir.

    Puis il passe chez Monte-Cristo ; c’est encore là qu’il en apprend le plus : Franz est venu lui annoncer cette solennité ; de son côté, madame de Villefort a écrit au comte pour le prier de l’excuser si elle ne l’invite point ; mais la mort de M. de Saint-Méran et l’état où se trouve sa veuve jettent sur cette réunion un voile de tristesse dont elle ne veut pas assombrir le front du comte, auquel elle souhaite toute sorte de bonheur.

    Il est clair que la version au présent n’apporte pas grand chose au récit, voire lui enlève de la fluidité.

    Oui mais y en a des qui font ça au présent

    (ce sous-titre n’est pas correct grammaticalement ? oui, et alors ? :p )

    Le temps n’est plus ce qu’il était.

    C’est ce que je me dis chaque matin quand je me regarde dans le miroir pour me raser. Ou bien c’est moi qui vieillis. Je ne sais pas trop.

    Et maintenant, me voilà dans cette satanée salle d’interrogatoire. À perdre mon temps. Oh, je sais bien pourquoi je suis là. Ils n’ont pas eu besoin de me le dire quand ils m’ont ramassé sur les quais de Seine. Même si je me demande comment ils ont su. Je revenais d’un boulot pour un gros client. J’allais planquer à l’endroit habituel mon butin en attendant de réunir la commande complète. Heureusement, ils m’ont chopé juste avant que je ne me serve de la cachette. Ce n’est pas la seule planque que j’ai dans la ville mais c’est toujours ennuyeux d’en perdre une. Il est très difficile de trouver un abri qui résiste au temps.

    Le temps n’était plus ce qu’il avait été.

    C’est ce que je me disais chaque matin quand je me regardais dans le miroir pour me raser. Ou bien était-ce moi qui vieillissait ? Je ne savais pas trop.

    Et alors, je me retrouvais dans cette satanée salle d’interrogatoire. À perdre mon temps. Oh, je savais bien pourquoi j’étais là. Ils n’avaient pas eu besoin de me le dire quand ils me ramassèrent sur les quais de Seine. Même si je me demandais comment ils avaient su. Je revenais d’un boulot pour un gros client. J’allais planquer à l’endroit habituel mon butin en attendant de réunir la commande complète. Heureusement, ils m’avaient chopé juste avant que je ne me serve de la cachette. Ce n’était pas la seule planque que j’avais dans la ville mais c’était toujours ennuyeux d’en perdre une. Il a toujours été très difficile de trouver un abri qui résistait au temps.

    Pour l’exemple ci-dessus, tiré de ma nouvelle « Le Temps », je me suis amusé à passer le texte original du présent à une version passé. J’en ai chié tellement je trouvais ça en inadéquation avec le sens du texte. Les deux versions ne sont pas juste différentes au niveau des temps utilisés mais aussi par l’ajout ou la suppression d’un mot ou d’une ponctuation. Est-ce que ça fonctionne mieux dans un cas où dans l’autre ? Le lecteur me donnera son avis ici (moi, je préfère la version au présent), mais dans une œuvre finie et publié, il prend le texte comme il est sans élément de comparaison. Personne ne perdra du temps à lire un texte dans un autre temps que ce lui qu’il a sous les yeux. C’est donc à l’auteur de faire un boulot correct pour que ça ne choque pas.

    Je le répète, je pense que tout peut fonctionner correctement à partir du moment où l’auteur sait (a l’impression de savoir?) ce qu’il fait. Le temps de narration est aussi important que le point de vue utilisé et il est nécessaire de ne pas s’enfermer dans l’« usage » si on a une très bonne idée avec autre chose que le passé simple.

    conclusion

    Si l’usage du passé simple est le cadre « normal » de la littérature autant pour l’auteur que pour le lecteur, il ne faut pas s’interdire d’explorer d’autres voies de peur de sortir des sentiers battus ni utiliser ces sentiers battus à tout-va au risque de perdre tout le monde.

    Utilisé à bon escient, le présent peut être apporter à des scènes une forte tension ou dans le récit de quelqu’un qui raconte l’histoire comme il parlerait un certain réalisme. Les possibilités sont là, il faut juste les utiliser à correctement pour que ça reste lisible et compréhensible pour l’utilisateur final : le lecteur.