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  • 092 – Réflexions félines

    Phrase donnée par Jeff P.

    Le chat le regarda incrédule ! Comment son maître pouvait-il se retrouver si haut, à plus de trois mètres, sans cordage, sans attache, à presque toucher le plafond da la cuisine ?! De toute sa vie de chat, il n’avait jamais vu un humain faire ça !

    Les seules formes de vies qui, à sa connaissance, pouvaient voler étaient les insectes et les oiseaux. Évidemment, il ne comptait pas ces sortes de boîtes de métal que les humains construisaient et qui traversaient de temps en temps le ciel. Le chat ne se déciderait à les classer qu’une fois qu’il en verrait de près.

    En attendant, si son maître se mettait à voler comme ça, dans la pièce ou ailleurs, il allait falloir revoir le classement. Comme le maître n’était pas un insecte, le chat en arriva à la conclusion logique que c’était un oiseau. Ensuite, il fallait déterminer si le maître faisait parti des oiseaux comestibles ou non. À vrai dire, il mangeait à peu près correctement puisqu’il goûtait tous les plats du chat avant de lui donner, sûrement pour vérifier que ce n’était pas empoisonné ou avarié, et même s’il n’aimait pas que le maître mange une partie de son repas, il le laissait faire parce qu’il trouvait l’attention gentille.

    Donc, le maître était bien nourri, il devait être comestible. Si le chat le mangeait, il était au moins sur de ne pas tomber malade. Le problème était que le maître était très grand, par rapport à lui, et il ne savait pas s’il pourrait tout manger tout seul. Le chat n’était pas partageur mais n’aimait pas gâcher. C’était un vrai problème.

    Le dernier qui se présentait était de savoir comment atteindre le maître. Maintenant qu’il était là-haut, sans aucune intention visible de redescendre, il fallait réussir à mettre la patte dessus, et, même en sautant du plan de travail, le chat n’était pas sûr d’y parvenir.

    Alors que le maître, qui avait quand même l’air un peu surpris, débitait, comme à son habitude, un chapelet de vulgarités, le chat étudia encore quelques instants la possibilité qu’il avait de pouvoir planter ses dents dans la chair de cette oiseau tout neuf. Il bailla. Réfléchir était épuisant et la solution ne lui venait pas.

    Le chat tourna la tête et partit vers le salon pour s’installer dans le canapé, décidant que finalement, le maître était le maître et pas un oiseau. Ça serait moins fatiguant.

  • 091 – Patte d’Ours

    Phrase donnée par JohnButcher

    Les moqueries fusèrent lorsque la silhouette malingre apparut. Son teint pâle et maladif et son manteau en lambeaux n’aidaient pas à rendre le personnage impressionnant. Il se dirigea vers le comptoir en claudiquant, s’appuyant sur une béquille qui ressemblait plus à une vieille branche qu’à autre chose. Rapidement, les clients de la taverne reprirent leurs activités sans plus s’en préoccuper.

    Il commanda au tenancier une cervoise qui lui fut servie dans l’instant. Le bonhomme derrière le comptoir ne s’était pas attardé sur l’estropié. On n’aimait pas trop les étrangers et ceux dans son genre n’attiraient en général pas la confiance des habitués, ni celle du patron.

    Au bout d’un long moment à rester immobile et boire sa cervoise, l’intrus héla le tavernier :

    « Patron, sauriez-vous si, dans votre clientèle de gentilshommes, se trouve un dénommé Patte d’Ours ?

    Le tavernier avait eu un mouvement sarcastique en entendant la façon dont cet inconnu qualifiait ses habitués. Il devint plus méfiant en entendant le nom de Patte d’Ours.

    — ’Connais pas ! Jamais entendu parler ! répondit-il sèchement avant de repartir à l’autre bout du comptoir.

    L’inconnu but une nouvelle gorgée avant d’être bousculé par une grande armoire à glace.

    — T’excuse pas, surtout, quand tu bouscules quelqu’un ! » lui lança l’arrogant. L’estropié resta silencieux et immobile, ignorant cette agression.

    L’opportun tapa sur la chope de l’intrus. La cervoise s’étala en éclat sur le sol. Bien loin de s’énerver ou de réagir, l’homme en guenilles se baissa tranquillement pour récupérer sa chope. En se relevant, il frappa maladroitement de l’arrière de sa tête le menton du molosse. Se frottant la tête, l’inconnu se rendit compte qu’il venait de laisser tomber sa béquille. Alors que, en rage de n’avoir pas vu cet assaut, sans vraiment être sûr que c’en était un, l’autre envoya un coup de poing qui manqua sa cible. Celle-ci à nouveau baissée attrapa son bâton et fit trébucher son assaillant.

    Voyant leur compère choir devant si frêle ennemi, la quasi-totalité des clients se levèrent.

    L’inconnu leva les mains au-dessus de sa tête et annonça simplement :

    « Je suis venu trouver Patte d’Ours ! Je ne veux pas vous causer de problèmes ! »

    Seuls des rires gras et cruels lui répondirent juste avant que les premiers ne se jettent sur lui. Frappant du sol avec sa béquille, une lame de feu circulaire repoussa les agresseurs. L’inconnu se débarrassa de son manteau sale et troué pendant que le bout de chiffon camouflant le haut du sceptre s’embrasait.

    L’homme avait l’air d’avoir grandi et portait une riche robe de mage, de velours et de fil d’or. Toute la taverne en fut impressionnée. Le mage les avait, pour la plupart, tous reconnus. Albert le poinçonneur, Dent de Fouine, le grand et le petit Auguste — qui n’en avait que le nom —, Sanglier Sanguinaire et tant d’autres dont la tête était mise à prix. Mais Patte d’Ours manquait.

    Alors que les plus proches des sorties tentèrent courageusement de fuir, le mage lança un sort de fermeture des portes et fenêtres. Ça ne tiendrait pas longtemps mais suffisamment pour s’occuper de tout le monde ici. Il monta sur le comptoir, cherchant du regard le tavernier. Il avait dû bien se cacher. Il n’était plus là. Le mage grogna. Son premier agresseur se releva, bien amoché par l’attaque de feu.

    « Qui es-tu ? demanda-t-il en se tenant toujours le menton.

    — Geoffroy de Tallisard, mais ça n’a pas d’importance. Dites-moi où se trouve Patte d’Ours et je ne vous tuerai pas ! »

    Ces menaces étaient à prendre au sérieux mais il était clair qu’ils ne donneraient par leur ami comme ça. Un second assaut se lança contre l’homme sur le bar. Ce n’était qu’un mage après tout. Si l’un d’eux arrivait à le mettre à terre en l’éloignant de son sceptre, le tuer serait un jeu d’enfant.

    Le problème fut de l’atteindre. L’homme était agile et puissant. Il parvint à défaire chaque assaut grâce à une vague d’énergie assommante. Rapidement, il se retrouva seul debout dans l’établissement. Mais toujours aucune trace de sa cible et surtout plus personne en état pour lui donner d’information.

    Le mage sauta du comptoir, attrapa sa chope, encore à sa place, et regarda tristement le vide qu’elle contenait.

    Des bruits de pas lourds retentirent soudain dans l’escalier arrivant de l’étage. L’intrus posa rapidement sa chope vide et enserra son sceptre, prêt à incanter.

    « Qui me cherche ici et maltraite mes amis ? annonça la voix rauque et reconnaissable entre toutes de Pattes d’Ours. Le colosse, à côté duquel le premier agresseur du mage n’était qu’un gringalet, ce qui lui avait valu son surnom, apparut dans la salle.

    Ses yeux, à moitié cachés par de broussailleux sourcils scrutèrent la seule personne encore debout dans la taverne, mécontents et méfiants.

    « Ils ne sont pas très accueillant, tes amis ! annonça le mage. Le regard dur de Patte d’Ours se détendit et un sourire se dessina à travers sa barbe.

    —  Geoffroy, mon frère !! Dans mes bras ! »

    Pendant que les deux hommes s’étreignaient cordialement, Patte d’Ours regarda le spectacle de tous ces hommes comateux.

    — Tu aurais peut-être pu t’annoncer !

    — Je l’ai fait, à un moment ! »

    Les deux frères éclatèrent de rire et fêtèrent leurs retrouvailles.

  • 090 – La disparition

    Phrase donnée par Julien V.

    Il voulut déverrouiller son iPhone mais ses empreintes digitales avaient disparu.

    Au milieu de la rue, alors que le flot des gens allant et venant le bousculait, il resta là un instant, son téléphone dans une main et fixant l’autre, grande ouverte. Comment était-ce possible ? Ce matin encore, il les avait. Il avait réussi à utiliser son iPhone et avait parfaitement vu son pouce déposer son empreinte sur son verre de jus d’orange pendant le petit déjeuner. Ou peut-être était-ce hier ? Il n’était plus sûr.

    Il fallait qu’il appelle Aby et ne pouvait utiliser cette connerie de machine. Pas la peine d’espérer trouver une cabine téléphonique, il n’en avait pas vu depuis au moins dix ans. Aby, cette belle brune qu’il avait rencontrée dans une soirée étudiante alors qu’ils préparaient leur diplôme d’ingénieur en physique quantique. Ils avaient complétement flashé l’un sur l’autre et elle était rapidement venue s’installer chez lui. Il s’en souvenait comme si c’était hier. Ou alors, c’était lui qui avait emménagé chez elle ?

    Essayant de se calmer, il leva le nez pour voir où il était et surtout pour prendre le temps de savoir ce qu’il allait faire. Logiquement, il avait rendez-vous au musée d’art moderne. Ou bien était-ce à l’exposition de sculpture dans le parc. Il avait l’impression d’avoir de la boue à la place du cerveau à présent. Impossible de se souvenir de quoi que ce soir de vraiment clair. Passant la main sur son visage, il fut surpris par la taille de son menton et de son nez, le manque de saillant de ses pommettes. S’approchant d’une vitrine, il fut surpris de ne pas reconnaître la personne dans le reflet. Ses yeux n’avaient plus leur couleur habituelle, ses cheveux étaient plus brun, son visage n’avait plus les mêmes traits. Que se passait-il ? Était-il dans un cauchemar ?

    Il fallait qu’il rentre chez lui et prévienne cette fille avec qui il vivait, mince comment s’appelait-elle déjà ? Il n’était même plus sûr de se souvenir d’elle.

    Soudain, une camionnette blanche arriva en trombe et s’arrêta à sa hauteur dans un crissement sec de pneu. Deux armoires à glace en costumes noirs débarquèrent de la porte latérale arrière, lui tombèrent dessus et le traînèrent à l’intérieur du véhicule malgré ses tentatives veines à se débattre.

    Rapidement plaqué sur un brancard, un troisième homme, en blouse blanche, le piqua au bras, sans plus de délicatesse. Il hurla sous la douleur. L’un des deux molosses lui posa, sans trop de délicatesse, un tissu sur la bouche pour étouffer ses cris.

    « Réimplantation du programme ! annonça le docteur, appuyant sur son oreillette. Ça tient de moins en moins longtemps ! Il va falloir trouver une solution rapidement, une fois sa mission terminée ! »

    Le docteur approcha une sorte de stroboscope des yeux du prisonnier qui vit des images entre les flashes, pas certain de savoir s’il s’agissait de souvenirs ou d’autres choses.

    Sans réfléchir, agissant comme par réflexes, il envoya un coup de tête dans le stroboscope. De surprise, un des molosses relâcha son étreinte, suffisamment pour permettre au prisonnier de libérer son bras et de lui envoyer un violent coup dans le nez, l’assommant. Arrachant l’étrange machine des mains du docteur, il frappa avec force le second molosse. L’homme en blouse recula autant qu’il le put, jusqu’à être plaqué contre la paroi du véhicule.

    Le prisonnier bondit du brancard, ouvrit rapidement les portes arrières du véhicules et sauta sans plus réfléchir du véhicule en marche.

    Atterrissant dans un roulé-boulé sur le bitume sous les regards ébahis des passants, il parvint à se relever rapidement et pris ses jambes à son cou, malgré l’extrême fatigue qui commençait à le prendre. Il ne savait pas quel type de sédatifs il avait reçu mais s’il n’arrivait pas à se cacher rapidement, ces salauds le rattraperaient sans problème. Les pneus du van crissèrent. Le véhicule manqua de créer un accident.

    Il n’y avait pas de temps à perdre.

    Il vit le molosse encore en état sortir et courir dans sa direction, bousculant les gens sans ménagement.

    S’engouffrer dans un grand magasin était peut-être le seul moyen de parvenir à le semer. Il monta quelques étages en prenant les escaliers, redescendit par d’autres et, de plus en plus assommé par les drogues, décida d’aller se cacher dans les toilettes. Dans un sursaut d’esprit, il s’engouffra dans celles pour dames et s’enferma dans une des cabines. Recroquevillé sur la cuvette, la tête posé sur ses bras croisés, il essayait de comprendre ce qu’il lui arrivait.

    Mais plus il réfléchissait, moins il parvenait à se souvenir de quelque chose. Jusqu’à ce que le trou noir de l’anesthésiant le happe.

  • 089 – Ellen & Gisèle

    Phrase donnée par Luigi B.-B.

    Un claquement sec fit remonter derechef une multitude de souvenirs.

    Ellen avait déjà vu ressurgir une quantité d’images enfouies trop profondément dans sa mémoire en arrivant près de la maison. La clôture lui avait rappelé très vaguement quelque chose mais rien de bien précis. Le bruit du mécanisme du portillon avait résonné de façon étrange, serrant son cœur d’une émotion lointaine. Remontant l’allée pavée, elle avait regardait le jardin voyant réapparaître devant ses yeux des images floutées par les années, abîmées pas la poussière de ses neurones.

    Sous le porche, Ellen se voyait en train de jouer à la poupée. Elle sentait les larmes serrer sa gorge, atteindre ses yeux.

    La porte de la maison était d’une couleur différente. Enfin, elle le pensait. Plus de quarante cinq avaient passé, elle avait peut-être simplement été repeinte depuis.

    Ellen souffla un grand coup pour essayer de calmer ses émotions et sonna. Des bruits de pas se firent entendre de l’intérieur. La porte s’ouvrit sur une dame qui semblait à peine plus âgée qu’Ellen. Elles se fixèrent un instant sans rien dire. Elle avait l’impression d’être devant un miroir qui lui renvoyait son image avec quelques rides en plus et des yeux d’une couleur différente.

    La propriétaire des lieux regardait Ellen. Ses yeux couraient sur cette femme qui se présentait et qui semblait être un clone d’elle dix-sept ans plus jeune. Ses lèvres tremblaient, ses yeux brillaient fort.

    « Gisèle ? » demanda-t-elle.

    Gisèle. Ce prénom résonna si violemment dans la tête d’Ellen qu’elle mit quelques instants à comprendre. Elle saisissait enfin pourquoi elle s’était toujours sentie mal à l’aise avec les filles qui portaient ce prénom, pourquoi il lui avait toujours fait se sentir triste sans raison. C’était son vrai prénom.

    Ellen sourit à sa mère, les larmes coulant abondamment sur ses joues. Elle ne pouvait plus les retenir. La vieille dame prit la tête d’Ellen dans ses mains et l’embrassa chaleureusement sur les jours avant de l’inviter à entrer et à s’installer dans le salon. Oubliant toutes les règles de savoir vivre, elle s’installa aussi ; sans même penser à lui offrir quelque chose à boire ou à manger. Qu’importait ? Elle venait de retrouver sa fille.

    Ellen avait perdu son père dix ans plus tôt. Sa mère venait de mourir. Juste avant de rendre son dernier souffle, elle lui avait avoué la vérité. Ellen avait été adoptée quand elle avait trois ans. Elle ne se souvenait plus de son prénom originel et n’avait plus le dossier d’adoption depuis des années dans un des nombreux déménagements. Elle se souvenait juste de la maison où Ellen avait été récupérée.

    Une fois les funérailles terminées, Ellen s’était mise en recherche de cette maison d’après les indications de sa mère adoptive. Elle avait aimé ses parents mais se sentait curieuse de rencontrer ses géniteurs, de connaître ses vraies racines. Elle avait surtout l’impression de pouvoir guérir un certain mal être qui l’embêtait depuis toujours, même si son enfance avait été très heureuse.

    Roseline, sa mère biologique, lui raconta l’histoire entrecoupée de nombreux sanglots. Le père de Gisèle était décédé d’un accident à l’usine, laissant Roseline avec cette enfant de moins de trois ans sur les bras et sans réels revenus. L’accident avait permis de payer la maison mais Roseline allait devoir trouver du travail pour subvenir à ses besoins et ceux de l’enfant. Beaucoup de problèmes arrivèrent avec ça. On conseilla à Roseline de faire adopter Gisèle pour lui permettre d’avoir une enfance et une vie plus facile. Après des semaines de réflexion qui lui déchirèrent le cœur, les moyens matériels l’obligèrent à prendre une décision. Et Gisèle fut adoptée par les parents d’Ellen.

    Roseline avait passé le reste de sa vie seule ici, à se morfondre sur cette décision qui avait brisé son cœur.

    La vieille dame se leva soudain. Elle partit un instant pour revenir avec une vieille peluche en très bon état. Le doudou d’Ellen. Une nouvelle vague de souvenirs et d’émotions la submergea.

  • 088 – Le rendez-vous

    Phrase donnée par CHloeildh

    On s’était donné rendez-vous douze ans plus tard, même bar, même table.

    Et moi, comme un con, je suis là à attendre qu’elle passe la porte. J’ai l’impression que mes mains tremblent. Je ne sais pas si c’est à cause des innombrables cafés que j’ai bu depuis ce matin ou juste le trac de la revoir.

    Quelle idée à la con !

    Je crois que c’est la pire chose que j’ai faite de ma vie, de suivre cette idée étrange qu’elle avait balancé.

    C’était parti d’une connerie. Du temps où elle était fan de ce chanteur pour midinettes qui s’est reconverti dans les tournois de cartes. Il avait une chanson qui disait quelque chose comme ça. L’idée lui a plu. Elle partait faire ses études supérieures au Canada. Moi, j’avais raté mon bac et mes parents déménageaient à l’autre bout de la France. Nous nous sommes envoyé quelques lettres avant de perdre l’habitude dans nos nouvelles vies ou je ne sais quoi. Une époque où Internet, les emails, les téléphones portables et les SMS n’existaient pas pour le commun des mortels.

    Nous fêtions son départ et en fin de soirée, nous avons commencé à divaguer sur notre futur, à un âge où tout est encore possible et rien n’est vraiment important. C’est là qu’elle a lancé cette idée folle de ce rendez-vous douze ans plus tard.

    Elle allait commencer des études de médecine. Elle voulait devenir pédiatre. Je me demande si elle a réussi. Je me demande ce qu’elle dirait de moi si elle me voyait maintenant. Je me demande si elle ne serait pas déçue.

    Je crois que j’ai toujours été amoureux d’elle, en fait. Depuis le premier jour où je l’ai vue. Je sais ça fait cliché, et pourtant… Je m’en souviens comme si c’était hier. La rentrée de seconde. Nouveau lycée. J’avais toujours l’impression de ne pas être à ma place à l’époque. Dans un coin de couloir, je l’ai vue débarquer avec son sourire, ses cheveux longs légèrement bouclés. Je crois que ce sont ses éclats de rire qui ont condamné mon cœur à ne plus penser qu’à elle.

    Évidemment, j’ai rencontré d’autres filles, mais elle restait dans ma tête et m’empêchait de croire dans mes relations. Je m’en veux encore de n’avoir pas continué la correspondance avec elle. En réalité, je ne me souviens pas bien si c’est elle ou moi qui avons arrêté d’envoyer des lettres en premier. Oh ! J’ai bien essayé de la retrouver grâce à la magie du net, il y a cinq ans mais je n’ai trouvé aucune trace. Elle s’est peut-être mariée et a changé de nom.

    Vingt-trois heures. La journée est bientôt finie, le bar va bientôt fermer. J’invite les derniers clients à payer avant de rentrer chez eux. Je me sens complétement usé par la déception. La déception de quoi ? Je ne suis pas sûr. La déception qu’elle ne soit pas venue ou la déception de voir que je crois encore aux contes de fées après tout ce temps.

    Il y a quatre ans environ, le bar était à vendre. Le tenancier partait à la retraite et le commerce était à reprendre. J’ai eu peur qu’il reste fermé. Dans ma tête, la première chose qui a fusé fut de savoir comment nous ferions pour nous revoir si le bar n’existait plus. Sans vraiment réfléchir, j’ai quitté mon boulot, qui n’était pas génial et ne payait pas très bien, pour reprendre la direction de ce troquet. Je suis content de cette nouvelle vie, mais je me sens toujours un peu con quand on me demande la raison de mon soudain revirement professionnel.

    Les derniers clients viennent de partir. Je lance un dernier lave-vaisselle et fais un tour dans la salle pour vérifier que personne n’a rien oublié. Le vieux max a oublié sa casquette. Il oublie toujours sa casquette. Je range les chaises, j’essuie les tables.

    Ou alors je fais tout ça pour tirer la journée le plus en longueur possible.

    En train d’essuyer les derniers verres que je range sur les étagères, j’entends le grelot de la porte sonner. Je me retourne vivement espérant la voir arriver mais la déception est énorme quand je vois le vieux max. Il vient récupérer sa casquette. Je souris tristement en me traitant de tous les noms d’oiseaux que je connais d’avoir espéré encore si tard. Je vois la bouteille de cognac, elle me fait de l’œil. Un petit verre pour me remonter le moral. Pourquoi pas ?

    Je tends la main vers la bouteille quand je me rends compte que je n’ai pas entendu le grelot. Max n’a pas bien refermé la porte. Je soupire exaspéré, plus par la fatigue et l’attente de la journée que par Max. Ce n’est qu’une fois de l’autre côté du bar que je me rends compte qu’il y a quelqu’un dans l’embrasure de la porte. Surpris, il me faut deux secondes pour comprendre.

    Elle est là. C’est bien elle. Ses cheveux légèrement bouclés et son sourire sont les mêmes. Je vois des larmes de joie aux coins de ses yeux. J’ai du mal à retenir les miennes.

  • 087 – Bilan marathon II

    Débuté sur un coup de tête le 18 juillet dernier parce que je voulais écrire mais pas du long, continué pour le fun et le défi, me voilà 2 mois ½ plus tard avec 70 nouvelles. Pfiou ! Quand même ! Je suis moi-même étonné d’avoir tenu autant de temps.

    Si au début, j’avais décidé d’écrire du très très court, puisque mes 2 premières nouvelles font moins de 300 mots, ma propension à faire du long a vite repris le dessus. J’ai quand même réussi à la refréner pour rester dans le court, voire très court (mais il paraît que ce n’est pas la taille qui compte).

    Le marathon, s’il est quelque chose d’assez difficile à tenir pour un humain normalement constitué, apporte beaucoup au niveau de la connaissance de soi et de sa façon de travailler, permettant de pointer les lacunes et donc de s’améliorer.

    Où l’on voit les difficultés

    Il est clair qu’écrire tous les jours demande en premier lieu de l’organisation personnelle, ne serait-ce que pour trouver le temps écrire. Y parvenir tous les jours demande au moins une demi-heure (pour les plus talentueux dont PAS moi) de temps libre dans un état de forme cérébrale suffisante pour se concentrer. À part deux ou trois fois, j’ai réussi à sortir une nouvelle quotidienne, donc même avec une vie bien chargée, ça peut se trouver.

    Ce qui est assez difficile pour moi, c’est la pression du timing. Se lancer en focalisant sur le peu de temps qu’on a, en espérant finir sans trop empiéter sur les autres activités de la vie (dormir ou aller au travail). J’ai effectivement, quelque fois, choisi de boycotter mon sommeil pour finir mais toujours avec un stress latent, la peur de ne pas y arriver à temps, ou pas y arriver tout court. (Oui, c’est con, je me mets la pression tout seul, on peut pas trop lutter contre sa nature).

    Je me suis aussi rendu compte que suivant la période et l’intensité du boulot, je n’écris pas aux mêmes heures. Quand je suis claqué, je n’arrive pas à écrire le soir. Je préfère alors me lever une bonne demi-heure avant et écrire après la douche quand les neurones sont bien activés par la vapeur bouillante. C’est ce que j’ai fais une bonne partie du mois de septembre où les soirs (où je ne bossais pas) je restais comme une serpillière devant mon écran à n’arriver à rien. Le problème est que je ne me relis pas puisque je pars au boulot dans la foulée (ça m’est même arrivé d’être en retard à cause de mon marathon, mais chut, c’est un secret). Par contre pendant les vacances, je préfère me coucher plus tard et écrire à ce moment.

    Comme personne n’est un robot, et surtout pas moi (enfin, qu’en sais-je vraiment ? Je suis peut-être programmé pour croire que je n’en suis pas un ? euh… oui, je m’égare), j’ai bien sûr des jours où la motivation flanche, des phrases qui m’inspirent moins que d’autres. La motivation, tant que je tiens la nouvelle quotidienne et que je ne flanche pas sur ce point, j’arrive à me bouger le cul pour continuer. J’ai peur du jour où j’aurai trop la flemme parce qu’il suffit d’une fois pour casser le rythme. Pour les phrases… comme je les choisis moi-même d’après celle gentiment données par mes amis et lectrices & lecteurs (que je remercie au passage), j’ai une tendance (naturelle?), à prendre celles qui m’inspirent le plus en premier. Je me retrouve donc avec les phrases les plus « difficiles » vers la fin de mon « stock » de phrases. Si en plus, je suis fatigué, je ne suis pas forcément fier du résultat.

    Le dernier point, je n’ai relu aucune de mes nouvelles depuis le lancement du marathon. J’attends d’avoir le temps pour les relire et leur apporter les corrections nécessaires.

    Où l’on parle de technique & de feignasse

    D’un point de vue technique, je n’ai pas vraiment l’impression de m’être amélioré ou quoi. Juste une personne qui m’a dit qu’elle trouvait mon style plus fluide qu’au début. Je ne sais pas. Vos avis m’intéressent, n’hésitez pas à me les donner dans les commentaires ici, sur twitter, par pigeon voyageur ou tout autre moyen qu’il vous plaira.

    Au-delà de ça, j’ai pu voir que mon schéma narratif (je ne sais absolument pas ce que ça veut dire mais ça fait classe dans une phrase, non ?) avait une tendance à rester le même dans ma façon d’amener les choses, même si j’ai essayé de changer de temps (passé simple ou présent), de point de vue narratif (1ère, 3ème personne. J’ai même réussi à en faire une à la 2nde personne du singulier).

    Et, beaucoup de gens m’ont fait la remarque sans être un reproche, j’ai la mauvaise habitude de faire mourir mes personnages principaux. Je l’avoue, je cède à la facilité (ou alors, je suis dépressif, c’est possible). Je cède à la facilité parce que finalement, faire mourir le personnage principal pour terminer une histoire, c’est quand même ce qu’il y a de plus simple.

    Où l’on essaie de s’améliorer

    S’il est vrai que la régularité est une bonne chose, je ne suis pas sûr que se forcer à écrire tous les jours soit une vraie solution en soi parce qu’il faut qu’écrire reste un plaisir certain. Se forcer à faire quelque chose ça va bien quand c’est juste pour se pousser un peu parce qu’on a un peu la flemme ou quelque chose dans le genre mais au-delà d’un certain seuil, ça risque plus de dégoûter qu’autre chose. Donc il faut se forcer mais avec parcimonie.

    J’avais en fait deux bonnes raisons de pas trop forcer mais j’ai oublié la deuxième le temps d’écrire la première (Aloyse sort de mon cerveau)

    Malgré tout, écrire tous les jours permet d’apprendre à se connaître un peu mieux et surtout de vraiment apprendre comment on travaille et on aime travailler (ce qui est une nuance certaine).

    Et évidemment, il faut lire beaucoup. Je dirais même : beaucoup de choses dans des styles qu’on n’aime pas (ou pas forcément), histoire d’apprendre d’autres façons, d’autres tournures, d’autres points de vues… des choses nouvelles quoi.

    Conclusion

    Dans tous les cas, ce marathon, même s’il est lourd sur ma vie quotidienne reste quelque chose d’agréable à faire (paradoxe, quand tu nous tiens). J’aime le petit stress que je ressens en choisissant une phrase qui ne m’inspire pas sur le coup, j’aime la sensation des idées qui naissent au fur et à mesure que les mots apparaissent à l’écran, faisant faire des revirements inattendus à l’histoire, et j’aime le sentiment du devoir accompli une fois que j’ai réussi à en tirer quelque chose de pas trop mal.

    Je vais continuer ce marathon jusqu’au début du NaNoWriMo qui commencera au début du mois prochain. J’ai quand même hâte de me remettre à écrire du long.

    Les chiffres

    Parce qu’on vit toujours dans un monde de chiffres :

    • débuté le 18 juillet 2013 (avec 4 jours de pause étalés)
    • 70 nouvelles
    • 130 pages de fichier word (avec saut de page en fin de nouvelles)
    • environ 40 000 mots
    • environ 227 000 signes espaces comprises
  • 086 – Dix, onze, douze

    Phrase donnée par Polgara d’Erat

    « 1, 2, 3, nous irons au bois. 4, 5, 6 planter des saucisses.

    — 7,8,9 et s’taper des meufs.

    L’escouade s’esclaffa à l’arrière du blindé. L’habitude était de décompresser un maximum pendant le trajet de la mission. Personne ne savait ce qu’il y aurait après, alors autant en profiter. Pour celle-ci, la présence du petit nouveau faisait que le niveau de grivoiserie et de lourdeur de l’humour atteignait des sommets. L’habitude était de voir quelle était la limite d’outrage des bleus.

    Le première classe Hersnivia venait d’être affecté à l’escouade 201. Il n’avait que dix-neuf ans et un physique un peu moins étoffé que ses nouveaux camarades mais il avait passé tous les tests sportifs et psychomoteurs avec d’excellents résultats possibles. Évidemment, il n’avait pas fini premier au classement général mais les quelques autres qui l’avaient précédé n’avait pas osé choisir cette affectation renommée, prestigieuse mais contraignante.

    L’escouade 201 avait pris part aux missions les plus importantes des dernières guerres sur le territoire national et sur de très nombreux théâtres d’opérations à l’étranger. Les légendes urbaines disaient même qu’elle aurait été à l’origine d’un certain nombre de changement de chefs d’État dans les anciennes colonies. Mais les méthodes souvent discutables, parfois répréhensibles au regard du droit international, de l’équipe empêchaient les gouvernements successifs de confirmer ou non l’information.

    Hersnivia avait pris le poste de tireur d’élite. Personne ne voulait parler de la façon dont le précédent était mort. La seule chose de sûre était qu’il n’avait pas pris la quille. La jeune recrue essayait de ne pas trop se poser de question et de ne pas trop en poser. Il avait essayé une fois et s’était fait plus ou moins gentiment rembarrer par le sergent Martins.

    Alors qu’une blague de mauvais goût, mélangeant étrangement l’âge d’Hersnivia, du lait qui coulerait encore de son nez, une chèvre et une cuillère en bois et le ceinturon du capitain, venait encore de fuser, le véhicule arrêta de bringuebaler dans un freinage brutal comme les aimait le caporal Lefèvre.

    Martins se retourna vers son groupe.

    « Ok les gars ! Vous connaissez la mission et vos positions ! Pas de questions ?

    Silence.

    — Le nouveau ?

    — Non, sergent ! Pas de question ! répondit Hersnivia en serrant un peu plus son fusil et soutenant le regard de son supérieur.

    — Bien ! Alors, te fait pas dessouder pour ta première mission ! J’ai pas envie d’annoncer à ta mère que tu t’es fait bouffer le cul par l’ennemi ! Allez ! Débarquez !! »

    La porte arrière du blindée s’ouvrit. Le groupe sortit rapidement pendant que le conducteur, après s’être allumé un cigare, s’installait à la tourelle et commençait déjà à envoyer du tir de couverture.

    Hersnivia inspira profondément. Il y était. Sa première mission, ce pour quoi il avait accepté de souffrir pendant ces quatre mois de classes. Il entendait distinctement le bruit de mitrailleuses et de tirs d’artillerie ennemi. Tous autant qu’ils étaient, ils risquaient de mourir aujourd’hui, ou demain ou pour n’importe quelle mission. Cette idée lui donna la sensation d’être plus en vie que jamais. C’était pour ça qu’il s’était engagé.

    Le première classe sauta à son tour du véhicule. Le sergent lui mit un coup sur le casque.

    « Ça y est ? T’as fini de te pisser dessus ?

    Le tireur d’élite hocha la tête, souriant béatement et le regard dans le vide, concentré sur sa mission, il répondit évasivement au chef de groupe :

    — 10, 11, 12 fêter la victoire devant une binouze ! »

    Le groupe se sépara pour accomplir, encore une fois, sa mission.

  • 085 – Trinlandia

    Phrase donnée par Ambrose

    « Sers-toi, j’en ai plus besoin de toute façon.

    Fligorn avait dit ça à son neveu comme s’il parlait d’un pot à lait ou d’un râteau à feuilles mortes.

    — Sérieusement ? Tu ne te sers plus de Trinlandia, la tueuse de dragons ? demanda encore Wilhmir, ébahi par la proposition.

    — Ben, j’en tue plus beaucoup, à vrai dire, depuis que je suis à la retraite.

    Le jeune homme haussa les épaules et décrocha l’épée légendaire du mur. Il fut tout d’abord surpris par son poids et ne put étouffer un soupir de stupéfaction.

    — Ah ! Oui ! reprit Fligorn. C’est pas une arme de mage. Il faut avoir un peu d’expérience et de force pour s’en servir. »

    Mais déjà, Wilhmir s’amusait à faire tournoyer la lame en tous sens pour mesurer sa facilité d’utilisation. D’aussi loin qu’il puisse se souvenir, il avait vu cette épée posée contre le mur dans la maison de son oncle. Et pour le faire s’endormir, sa mère lui racontait les histoires des aventures du légendaire Fligorn, le plus grand tueur de dragons.

    Wilhmir avait toujours rêvé de le suivre dans ce métier dangereux mais apportant la renommée et la fortune. Fligorn avait toujours été son exemple à suivre même s’il n’avait jamais osé en parler à ses parents pour ne pas les inquiéter. Malgré sa fougue et son inconscience, le jeune homme savait que c’était un métier dangereux.

    Wilhmir déposa délicatement l’épée sur un meuble et donna une accolade à Fligorn.

    — Mon oncle, je te remercie énormément pour ce cadeau !

    — Va t’amuser avec et dis-moi ce que tu en penses. Elle devrait te faire gagner par mal de niveau » termina le héro.

    Wilhmir reprit Trinlandia avec délicatesse et partit, la jubilation peinte sur son visage.

    « J’aurais peut-être dû lui dire qu’elle a un malus contre les orcs… pensa Fligorn, puis haussant les épaules : Bah ! Il s’en rendra bien compte tout seul, ça fera parti de sa formation. »

  • 084 – Grimaldo

    Phrase donnée par Luigi B.-B.

    L’homme tapait en vain dans ses mains pour chasser les moustiques.

    Sur sa mule, il avançait lentement. Il transpirait même dans la chaleur de la nuit. Ce désert était un endroit qu’il détestait mais il était obligé de passer par là.

    Dans le ciel dégageait, Jupiter prenait une grande partie du champ de vision. C’était toujours un spectacle magique à ses yeux.

    Il psalmodiait à voix basse, lâchant quelques jurons contre ses insectes, créations du démon.

    Le père Grimaldo était un gros bonhomme qui aimait la bonne chère et le bon vin.

    À cet instant, il se demandait pourquoi il avait accepté cette mission de l’archevêché intergalactique. Même si la vie dans ce pénitencier de Callisto n’était pas des plus mauvaises pour lui, il ne supportait pas le voyage du spacioport jusque-là. À part les convois de prisonniers, aucun transport ne desservait la prison. Elle était complétement autonome en nourriture, eau et énergie. Évidemment, il était très content de revoir son ami, Lord Prentwood, le seigneur-directeur du pénitencier. Il s’étonnait d’ailleurs que celui-ci ne lui ait pas répondu à son annonce de visite et qu’il n’ait pas fait envoyer une navette pour le chercher.

    Ce qui expliquait qu’il se trouvait à présent en plein désert, sur cette mule jupitérienne, à maudire ces moustiques.

    Il n’avait pas vraiment de raison de s’inquiéter, les tempêtes galactiques causaient parfois des interférences dans la délivrance des messages.

    Le curé voyait enfin la fortification du pénitencier. Il arriverait d’ici deux heures et se délectait déjà du vin que lui servirait son ami. Pas qu’il n’avait rien à faire de l’âme des pauvres pêcheurs qui peuplaient la prison mais son propre bien-être l’importait plus encore.

    Finalement, il sonna à la porte gigantesque du pénitencier et fut mené au bureau du directeur.

    En lieu et place de Lord Prentwood, le père Grimaldo découvrit un jeune homme sec au regard dur.

    « Je suis Lord Kevinsky, le nouveau seigneur-directeur du pénitencier. Lord Prentwood fait désormais parti des détenus après avoir détourné les fonds de la structure pour ses fins personnelles. Je ne sais pas comment il vous recevait, mais, pour ma part, je suivrai les recommandations de l’archevêché intergalactique : repas simple, pas de boisson autre que de l’eau, et vie en cellule avec les détenus pour être au plus près de ces malheureux.

    Le père Grimaldo pâlit. Il avait l’impression d’être tombé dans un piège de sa hiérarchie.

    — Et vous ne repartirez qu’une fois votre relevant arrivé. »

    Il en était à présent certain.

  • 083 – L’horloge

    Phrase donnée par Ambrose

    L’horloge s’arrêta.

    Marie sentit la migraine monter. Elle regarda l’horloge encore quelques secondes pour être sûre. Rien ne bougeait plus. Plus aucun son ne se dégageait ni de l’objet ni des alentours.

    Il était temps d’agir. Elle n’avait pas longtemps avant que le temps ne reprenne son cours. L’Inhibiteur qu’avait fabriqué l’ingénieur en chef Sanboussy ne devait agir que vingt cinq minutes. Ensuite, tout reprendrait comme si de rien n’était. En attendant, il ne lui restait plus que vingt quatre minutes et quarante sept secondes pour accomplir sa mission.

    Marie était agent secret ; la plus rapide et la plus capable de résister aux effets des distorsions du temps. Mais cette fois, ça n’était pas juste un simple ralentissement, c’était une pause complète. Les douleurs psychiques que les truchements du temps entraînaient sur les agents étaient impressionnantes mais l’arrêt complet, c’était Waterloo dans la tête de Marie. Elle s’attendait à quelque chose du genre mais rien d’aussi fort.

    Elle allait avoir du mal à tenir le décompte du temps restant mais il fallait qu’elle avance.

    La mission était simple dans son but, moins dans sa réalisation. Elle devait assassiner un président. Le président Navarrais. Il fallait faire passer cela pour un attentat de ses opposants. La Reine avait des vues sur ce petit pays et en couper la tête tout en faisant accuser l’opposition l’aiderait à mettre la main dessus.

    Marie sortit de la calèche électrique et se précipita dans l’hôtel, faisant bien attention à ne bousculer personne pendant la suspension. Il fallait éviter un maximum les interactions avec les êtres vivants pendant ces périodes. Évidemment, il était impossible d’utiliser les ascenseurs. Marie dut prendre les escaliers. Avec son mal de crâne, ça n’allait pas être de tout repos. Trente-cinq étages…

    Ça serait la partie la plus difficile.

    Essoufflée, au bord de la folie avec cet étau qui lui enserrait la tête, elle parvint en haut de l’immeuble avec encore dix minutes trente environ. Le décompte était approximatif.

    Il ne fut pas compliqué pour elle de trouver la suite du président Cathare. Tout en serrant bien l’Inhibiteur de temps pour qu’il continue à agir, Marie sortit de sa poche la grenade navarraise pui ouvrit la porte de la suite.

    Tout le monde était debout sauf le président, assis derrière un bureau. Il écrivait une lettre. Marie prit un instant pour lire ce qui pouvait constituer une source de renseignements. Elle fut plus qu’étonnée de voir que le président Navarrais s’attendait à un attentat et accusait directement la Reine. Comment pouvait-il le savoir ? Marie attrapa la feuille et la tira d’un coup sec. Le stylographe du Président laissa un grand trait sur le papier.

    La jeune femme allait poser sa grenada au milieu du bureau quand son esprit vit quelque chose bouger dans un coin de son regard. Elle réagit plus vite que sa conscience et d’un bond esquiva un tir.

    Criant un juron en se plaquant au sol, elle eut à peine le temps de voir qu’un des agents navarrais bougeait.

    C’était impossible ! Ils n’étaient pas sensés avoir cette technologie. Ce n’était pas vraiment le moment de réfléchir au comment du pourquoi. Elle devait le neutraliser et laisser la grenade rapidement si elle ne voulait pas avoir des problèmes à s’extraire de l’hôtel après l’explosion et la reprise du temps.

    Le gars tira encore une salve de trois coups. Marie jeta un coup d’œil rapide pendant qu’elle changeait d’abri. D’après le modèle de pistolet, il ne lui restait plus que deux coups, voire moins. Après, elle pourrait s’attaquer à lui au corps à corps. Elle roula de derrière son divan en direction du bureau du président. L’agent dans un réflexe idiot tira ses deux derniers coups en suivant sa cible, oubliant le reste. Le président eut un sursaut et un tremblement étrange avant de reprendre la pose figée.

    Marie jubilait. Elle n’aurait même pas besoin de sa grenade. Elle sauta par-dessus le bureau et profita de la seconde d’étonnement de l’agent pour lui mettre un grand coup dans le visage avec la grenade qu’elle avait encore en main. Il tomba au sol, sonné, tant pas son acte que par le coup.

    Même si la mission était remplie, Marie ne pouvait partir sans s’occuper de cet homme qui ne devait absolument pas parler d’elle. Elle inséra la grenade dans la bouche de l’agent et tira la goupille.

    Le lendemain, on lirait dans les journaux qu’un des agents du président Navarrais l’avait tué par balle avant de mettre fin à ses jours.

    Marie ne savait plus vraiment combien de temps il lui restait. Elle devait faire vite. Elle dévala les escaliers aussi vite qu’elle put.

    La jeune femme arrivait dans le hall de l’hôtel quand l’Inhibiteur eut un soubresaut étrange. Les gens, arrêtés dans leurs mouvements, reprirent vie d’un coup, comme si rien ne s’était passé. Ce qui était vrai pour eux.

    Il ne restait plus que le temps à Marie du retard d’allumage de la grenade pour sortir de l’hôtel et être récupérée par la calèche. Le groom la salua comme elle sortit. L’explosion retentit à cet instant. Les vitres de la suite présidentielle volèrent et tombèrent en pluie une seconde plus tard. Le groom se mit à l’abri sous l’auvent de l’hôtel cherchant la jeune femme qui venait de sortir pour la mettre elle aussi à l’abri. Elle avait disparu.

    Une calèche partit tranquillement vers l’esplanade des Victoires.