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  • 032 – Manque d’originalité

    Phrase donnée par Luigi B.-B.

    Si un jour on avait pu me prédire que je serais, en pleine nuit, en train d’écrire une phrase sur mon portable sans trop savoir où cela me mènerait, j’aurais essayé de me montrer plus original qu’en cet instant.

    J’aurais pu répondre que je ne crois pas en ces conneries de prédictions faites dans un coin sombre d’une pièce enfumée par l’encens, ou ailleurs.

    Que si prévoir l’avenir est si simple, pourquoi ne pas me donner directement les numéros gagnants du loto ?

    Que je ne crois pas au coup de foudre, à l’amour au premier regard ni à toutes ces conneries qui sont la base de chaque comédie romantique mielleuse bourrée de clichés qu’on voit au ciné ou à la télé.

    Que de réfléchir trois plombes pour écrire un petit SMS, juste pour être sûr de pas en mettre trop ou pas assez, de peur de ne pas être assez explicite mais craignant de prendre un vent, je trouve ça parfaitement ridicule, parce que prendre un vent, après tout, c’est pas bien grave.

    Que de vouloir s’engager, de toute façon, c’est de la connerie et, surtout, c’est pas pour moi, je suis bien trop jeune pour ça, j’ai encore le temps.

    Que je préfère draguer tout ce qui bouge pour des histoires sans lendemain.

    Si un jour on avait pu me prédire que je serais, en pleine nuit, en train d’écrire une phrase sur mon portable sans trop savoir où cela me mènerait, voilà ce que j’aurais dû répondre, parce que c’est ce que je pense.

    Alors pourquoi ai-je du mal à envoyer ce message à cette fille que j’ai rencontré il y a trois jours, qui n’est pas sortie de mes pensées depuis, que j’ai l’impression d’avoir attendue toute ma vie ? Et pourquoi ai-je l’impression qu’une réponse négative de sa part me briserait en mille morceaux ?

    Finalement, je prends mon courage à deux mains et j’envoie ce message, d’une simplicité navrante et qui me fait l’impression d’être le plus important de toute ma vie.

  • 031 – Le poignet

    Phrase donnée pas Celle de X

    « Trois métacarpiens étaient fracturés ainsi que l’amatum et le triquetrum ! annonça le médecin.

    — Faut être un sacré branleur pour arriver à se péter tout ça d’un coup, rajouta la manip radio.

    Le docteur lui lança un regard sévère, puis retournant la radio de la main et du poignet :

    — Il s’est fait ça comment ?

    — D’après lui, une chute, mais j’ai du mal à y croire.

    — Quel âge il a ce garçon ? 15, 16 ans ?

    — Soixante-douze.

    — Pardon ? C’est impossible ! Vous avez mélangé les clichés. On voit bien que ce patient-là a encore son cartilage de croissance !

    — Peut-être mais c’est sûr que c’est bien le cliché de ce monsieur. C’est moi qui ai fait la radio, je sais ce que je fais encore ! Mais bon, il fait quand même assez jeune pour son âge, alors il a peut-être un problème d’hormones qui le font vieillir moins vite et ça aura empêché son cartilage de s’ossifier. Je sais pas.

    — Je n’ai jamais vu ça de ma carrière, ni jamais entendu parler d’une chose pareille. C’est la première fois qu’il vient chez nous ?

    — Oui, je crois. Je peux demander aux secrétaires, si vous voulez.

    — Faites-le plutôt rentrer en salle de radio, je vais l’examiner. Il faut que je voie ça de mes yeux. »

    Le manip radio, sceptique, alla dans la salle d’attente récupérer le patient au poignet d’adolescent et l’emmena dans une des salles et prévint le radiologue.

    Le patient ressemblait à un homme dans la force de l’âge. Il se tenait bien droit et bougeait comme si de rien n’était. Normalement, il aurait dû garder sa main contre lui, de façon à la garder bien immobile et éviter les douleurs.

    Le docteur s’assit sur un tabouret et invita cet étrange bonhomme à faire de même. Il manipula le poignet cassé et pourtant le vieux n’avait pas l’air d’avoir mal.

    « Monsieur, commença le radiologue, pouvez-vous me rappeler votre âge ?

    — J’ai soixante-douze ans.

    — Vous êtes vous déjà cassé quelque chose ?

    — Non, docteur, jamais.

    — Et quand je vous manipule le poignet, ça vous fait mal ?

    — Non, plus maintenant, répondit l’homme étonné. C’est ma fille qui m’a poussé à venir. Je lui ai dit que ce n’était rien. Mais elle a insisté. Vous savez comme les enfants s’inquiètent quand on atteint un âge certain. Vous avez des enfants, docteur ?

    — Oui, une fille moi aussi, mais elle est encore trop jeune pour s’inquiéter pour moi. Monsieur, cela vous dérange-t-il si je fais reprendre une radio de votre poignet ?

    — Non, évidemment, docteur. Mais ce n’est rien de grave, dites-moi ?

    — Non, non, juste un cliché de contrôle pour vérifier quelque chose qui apparaît mal sur le précédent.

    Le docteur se leva.

    — Restez assis, je vous envoie le technicien qui va prendre une nouvelle radio, ça ne prendra qu’une minute. »

    Le docteur récupéra son manipulateur et l’envoya refaire exactement les mêmes clichés que précédemment. Une fois celui-ci développé, ils restèrent comme deux ronds de flancs.

    « C’est pas possible ! lança finalement le docteur. Il n’y a plus rien !

    — Si j’avais pas fait les radios moi-même, j’aurais du mal à croire que c’est la même personne à vingt minutes d’intervalles.

    — Irréel. Il faut qu’on lui fasse des tests. Je dois savoir comment il arrive à guérir comme ça. Vous imaginez ce que ça peut apporter à l’humanité, la capacité à guérir d’une fracture dans la journée ? Allez me le chercher, il faut que je lui parle ! »

    Le docteur s’imaginait déjà prix Nobel de médecine quand son technicien revint penaud. Il annonça que le patient était parti et que le formulaire qu’il avait rempli était tellement illisible qu’il serait impossible de le retrouver.

  • 030 – Journée difficile

    Phrase donnée par Magalie

    Après une journée difficile, elle ne souhaitait qu’une seule chose mais tout avait changé.

    Affalée, plus qu’assise, dans son fauteuil, elle regardait avec désolation le salon qui était dans ce même état. Elle se disait que Capharnaüm un jour de marché ne devait pas être plus en désordre.

    Cela faisait des mois qu’elle passait ses journées à ranger après le passage de ses enfants. Nettoyer la maison, ranger les jouets, s’occuper du linge, passer l’aspirateur, ranger les jouets, donner le bains, préparer à manger, ranger les jouets.

    Des mois que ça durait et elle avait l’impression d’avoir vieilli de dix ans. Pourquoi avait-elle voulu des enfants déjà ?

    À cet instant, alors qu’il fallait encore préparer le repas du soir et que les monstres étaient encore en train d’éparpiller des jouets dans tout le salon, elle se posait vraiment la question, regrettant la vie de simple couple, finalement agréablement monotone, à tout jamais enterrée.

    Il n’y avait finalement pas si longtemps encore, et pourtant cela semblait tellement lointain, son mari et elle allaient assez souvent au restaurant, au cinéma ou danser.

    Tout ça était fini. Et elle avait l’impression qu’elle ne le vivrait jamais plus.

    Parvenant à sortir de sa léthargie, elle se dirigeait vers la cuisine quand elle entendit la serrure de la porte d’entrée s’actionner. Elle bifurqua pour accueillir son homme.

    Elle se sentait moche et usée. Lui, souriait.

    « Ma chérie, qu’est-ce que tu fais comme ça ? Va t’habiller ! Ma mère arrive dans vingt minutes pour garder les gosses, moi je t’emmène au resto et on finit la nuit à l’Hôtel !! »

    Elle sourit. Finalement, tout n’avait peut-être pas changé.

  • 029 – Le trou

    Phrase donnée Par Ambrose

    « Et voilà !

    — Reste plus qu’à reboucher, maintenant ! »

    J’ouvre les yeux, difficilement, et je vois un trou. En fait, je suis dans le trou. Allongé. Je vois le ciel. Et je vois la silhouette de deux bonshommes, penchés au-dessus de moi. Je crois qu’ils viennent de me jeter au fond de ce trou. Et maintenant, ils m’envoient de la terre dessus.

    Putain mais ils essaient de m’enterrer vivant !

    J’essaie de crier mais j’ai l’impression que ni ma voix ni ma bouche ne reçoivent les ordres de ma pensée. J’essaie de bouger mes membres, de remuer, mais la fenêtre sur le ciel ne bouge pas d’un poil. Je ne sais pas si je suis attaché ou complètement paralysé. C’est dingue.

    Et puis pourquoi moi ? Je ne suis personne. J’ai jamais rien fait de mal, jamais mal parlé à quelqu’un, jamais emprunté d’argent à quelqu’un qu’à une banque, jamais eu de dettes de jeux. Qu’est-ce que je fiche au fond de ce trou ?

    Ils continuent à me jeter de la terre dessus, des pelletées, encore et encore.

    Je n’arrive toujours pas à bouger ou crier. J’ai envie de pleurer de rage de ne pas être capable de faire quoi que ce soir pour sauver ma peau.

    Finalement, Je reçois une pelletée de terre sur le visage. Je ne vois plus rien. Seulement, là, je trouve la force de me relever. Étrangement, je m’attendais à avoir plus de difficulté à soulever tout ce poids de terre qui m’écrase.

    Hors du trou, je vois les deux hommes qui s’éloignent. La fosse est entièrement rebouchée. Je ne sais pas vraiment comment j’ai réussi à m’en extirper. Je cours derrière mes deux meurtriers pour leur demander des explications. Ce n’est pas très intelligent, je suis seul, je ne sais pas me battre. Il y a de fortes probabilités que je risque de retourner d’où je viens de me sortir.

    Ils marchent tranquillement. À trois pas d’eux, j’ai juste le temps d’entendre :

    « On devrait jamais voir partir ses enfants.

    — Ouais. Un A.V.C. à vingt-cinq ans, c’est moche quand même ! »

  • 028 – Le doute

    Phrase donnée par Chloé

    « Elle a couru après un train pour finalement en retrouver un autre, direction nulle part, terminus je-ne-sais-où.

    — Non, mais tu parles de Tati, là aussi. On sait très bien comment elle est. Avec son caractère, c’est pas étonnant qu’elle fasse fuir tous les mecs biens et qu’elle n’ait que des relations merdiques !

    — Ne parle pas comme ça !

    Gwladys leva les yeux aux ciels. Sa grand-mère pouvait être d’un vieux-jeu parfois.

    — Mamy, c’est bon ! J’ai plus huit ans. Et puis c’est quoi cette métaphore avec des trains ?

    — Je veux que tu comprennes qu’un homme bien comme ton Jérémy, il faut le garder, y faire attention, ne pas le laisser tourner comme ça autour d’autres filles.

    — je comprends bien que tu t’inquiètes pour moi, mais ça va. Il m’a dit que c’était une copine de primaire. J’ai confiance. Et puis, bon, je vais pas jouer à celle qui est hyper jalouse et lui interdire de voir d’autres filles si je suis pas avec… Il me prendrait pour une psychopathe.

    — Oui, oui. »

    Gwladys sentit bien tout le sarcasme de sa grand-mère dans cette réponse laconique. Elle préféra laisser tomber et rejoignit son père qui tondait la pelouse. Elle s’affala sur la table du salon de jardin, ses mains appuyées sur ses joues, les faisant plisser d’une façon peu gracieuse.

    Il fallut un instant à son père, concentré sur sa tâche, pour remarquer sa fille dans cette position étrange. Il savait que, quand elle grimaçait comme ça, cela voulait dire qu’elle était préoccupée. Il coupa le moteur de la tondeuse et alla s’asseoir en face d’elle.

    « Qu’est-ce qui t’arrives, mon ange ?

    — C’est mamy, elle me fout le doute avec ses sous-entendus !

    — C’est-à-dire ?

    — Jérém’ voit une copine à lui cette après-midi. Une connaissance de primaire. Et mamy me dit d’aller le surveiller parce qu’elle pense que c’est une concurrente pour moi.

    — Ah ! Et toi ? Tu en penses quoi ?

    — Pfff. Tout à l’heure, je voyais pas de problèmes mais maintenant, je sais plus trop.

    — Elle est mignonne, cette fille ?

    — Ouais, d’après les photos, elle est pas mal.

    — Tu l’as déjà rencontrée ?

    — Non, jamais.

    — Et ils ne se voient que cet après-midi ? Tu vois Jérémy ce soir ?

    — Non, elle vient de loin, alors il passe la soirée avec aussi.

    Le père de Gwladys fit une moue peu encourageante.

    — Tu penses que c’est dangereux ? demanda-t-elle, inquiète.

    — Jérémy est un bon gars, j’ai confiance en lui, mais je vais pas te mentir. C’est un gars. Et si une jolie fille tourne autour, surtout après une après-midi et une soirée juste eux deux… il y a toujours un risque de dérapage… »

    Gwladys se leva d’un bon, attrapa sa veste dans l’entrée avant de déguerpir en claquant la porte d’entrée.

    Son père alla dans la cuisine prendre une bière dans le frigo.

    « Tu vois, commença la grand-mère, elle est comme ta sœur. Elle va rater son train et rester sur le quai, à ce rythme.

    — Mais ça va bien se passer Maman. Jérémy est un bon gars… Et puis c’est quoi cette histoire de trains ? »

  • 027 – Médiation

    Phrase donnée par Anna Hat

    Assis dans la posture dit du Lotus, il contemplait le coucher du soleil sur les Pyrénées.

    Il ferma les yeux et essaya de respirer lentement. Il se concentrait pour entrer en méditation. Les brins d’herbe agités sous la légère brise caressaient agréablement ses jambes nues. Il se sentait entrer en communion avec la nature toute entière. Il se sentait soulevé du sol, porté par les airs.

    Il survolait les champs, les forêts, les rivières, arrivait au-dessus de ces belles montagnes qu’encore peu de temps plus tôt il contemplait de loin. Continuant à s’élever, il sortit de l’atmosphère. Sa vue embrassait la planète entière. Il voyageait dans le cosmos, frôlant la Lune, Mars, Jupiter, Saturne. Prenant la tangente, il admirait le ballet majestueux des planètes de notre système solaire.

    Il traversa un moment l’espace, dépassant nombre de soleils, pour finalement redescendre vers un système à 4 planètes. Il s’approchait de la plus éloignée de ce si petit soleil. Elle était bleue comme la Terre mais les continents en étaient bien différents. Il continuait sa descente et s’approchait d’un bord de mer. Les montagnes n’étaient pas loin, mais semblait plus petites, différentes de chez lui. Finalement, il survolait des rivières, des forêts, des champs. Ce monde était tellement semblable au sien.

    Il posa un pied au sol avec la grâce d’une plume puis commença à marcher sur l’herbe. Rapidement, il se trouva devant un être à la forme vaguement humaine mais beaucoup plus fine, filiforme. Son visage avait de très grands yeux et un nez presque inexistant. Ils se regardèrent un instant. Il tendit sa main et dans un geste timide, ils se frôlèrent le bout des doigts puis posèrent leurs paumes de mains l’une contre l’autre comme pour communier.

    L’autre ouvrit la bouche. Lui, attendit, fébrile, d’entendre la voix de cet être extraordinaire.

    « Roger !! Cria-t-il avec la voix de sa femme. Arrête de dormir sur la pelouse ! On passe à table ! Les gosses crèvent la dalle !! »

  • 026 – La crevasse

    Phrase donnée par Charly aka Lapin

    Le soleil, après deux ans perdu dans cette crevasse, je suis tellement pressé de retrouver mes enfants.

    J’ai tellement cru que je ne sortirais jamais de là. J’aurais dû écouter ma femme, le jour où j’ai décidé d’aller faire de la spéléologie tout seul comme un grand.

    Je n’étais absolument pas préparé à vivre cette mésaventure. Qui l’aurait été ? Deux années bloquées dans les boyaux de la Terre. Je n’ai survécu que grâce à l’eau qui ruisselait par là et cette sorte de mousse qui poussait heureusement un peu partout. Au début, je trouvais que ça avait un goût de terre mais au bout d’un certain temps, je ne sais pas combien, je me suis habitué. Je ne savais pas pourquoi je continuais à me nourrir et à boire mais même dans mes pires moments d’égarement, je n’ai pas réussi à me résigner à me laisser mourir. La pensée de mes enfants, malheureux à l’idée de ne plus jamais me revoir m’en empêchait.

    Au début, il me restait la lumière. Quand j’ai compris que j’étais perdu dans ce dédale, j’ai attendu. Je me suis dit que quelqu’un viendrait me chercher. J’ai économisé la lumière pour qu’elle dure le plus longtemps possible. Je me souviens d’histoire de spéléologues chevronnés qui s’étaient retrouvés bloqués et qui n’avaient pu être sauvé qu’au bout de deux longues semaines. Il fallait être prévoyant. J’économisais la nourriture et même l’eau potable. Mais finalement, je suis tombé à court très rapidement. Quand on est habitué à faire trois repas par jour, il est très difficile de se rationner. Surtout quand on est bloqué dans le noir, sans rien à faire.

    J’ai compté les jours les premiers temps. Je sais que la lumière m’a lâché au bout de huit jours. Après je continuais à compter grâce à ma montre mais je ne voulais pas ruiner la batterie trop rapidement avec le rétro-éclairage donc je me forçais à ne pas regarder trop souvent la date ou l’heure.

    Finalement, au bout de trois mois, je crois que j’ai sombré dans la folie. J’ai essayé de me laisser mourir de faim mais la douleur au ventre était trop forte. Je n’ai pas réussi. Avec le temps, j’avais l’impression de devenir tel Golum dans sa grotte.

    Ce qui m’a sauvé la vie, c’est cette mousse. Non seulement parce qu’elle m’a nourri pendant si longtemps mais parce que pour en trouver chaque jour, j’ai été obligé de me déplacer. Et c’est grâce à ça que je suis revenu sur une zone de passages réguliers de spéléologues. Ceux qui m’ont trouvé n’en ont pas cru leurs oreilles quand je leur ai dit qui j’étais. Tout le monde me croyait mort. Deux ans. C’est normal.

    Ils ont appelé des secours pour venir me récupérer et s’occuper de moi.

    À présent, les rayons du soleil m’aveuglent. Alors que l’équipe médicale me fait un rapide check-up, je demande des nouvelles de ma famille, de mes enfants. On me répond qu’ils sont en route et qu’ils ne devraient plus tarder. Je ne sais pas si ma perception du temps a changé ou s’ils n’ont effectivement pas tardé mais quand je les ai vus, j’ai couru vers eux. Enfin, j’ai marché comme un vieillard. Deux ans à moitié plié dans un boyau sans pratiquer de réels exercices, ça rouille un peu.

    Mes enfants ont tellement grandis. Ils ont changé et pourtant sont toujours les mêmes. Ils me regardent étrangement. Avec un mélange de joie et de tristesse. Je ne sais pas à quoi je ressemble, je ne me suis pas encore vu dans un miroir. J’embrasse ma femme et je serre mes enfants fort contre moi. Je leur dis qu’ils m’ont manqué.

    J’ai à peine le temps de discuter avec eux que les médecins viennent et me traînent littéralement vers leur véhicule. Ils me disent de me calmer, que nous devons aller à l’hôpital et que ma famille nous suit. Finalement, je me laisse faire.


    Une fois que le patient est reparti dans sa chambre, le docteur va voir son épouse et ses enfants.

    « Il n’a pas l’air d’aller mieux, annonce-t-elle presque stoïque.

    — En effet, madame, répond le psychiatre. Le traitement ne fait pas beaucoup d’effet mais il est déjà à son dosage maximum. Comme je vous le dit à chaque fois, il n’y a que la patience et votre présence régulière qui le feront recouvrer son esprit.

    — Ça fait plus d’un an et demi que vous me dites ça, docteur ! Chaque fois il a l’impression de nous revoir pour la première fois depuis sa disparition. C’est comme s’il sortait de ce trou chaque fois.

    — La quantité de mousse toxique qu’il a avalé pendant cette captivité souterraine a attaqué sa raison.

    — Je sais docteur, vous m’avez déjà dit tout ça de nombreuses fois… Je commence à craquer. Il a passé trois mois au fond de cette crevasse mais on dirait que son esprit y est resté quand il a été secouru. Des fois, je me dis que j’aurais préféré qu’on ne découvre que son corps. »

  • 025 – La mort de l’écuyer

    Phrase donnée par Yoda des Bois

    Il avait toujours ignoré les raisons de la disparition de son écuyer, jusqu’à ce jour de décembre.

    La veille des fêtes du solstice.

    Il faisait extrêmement froid depuis déjà la mi-novembre. Les rivières étaient gelées sur de grosses épaisseurs. Avec le redoux des deux derniers jours, il avait commencé à neiger pour ne plus s’arrêter. Il y en avait plus haut que le niveau des fenêtres de la plupart des chaumières. La vie semblait s’être arrêtée.

    C’était un des bûcherons qui était venu au château pour y apporter la nouvelle. Il avait trouvé un corps dans la neige, un jeune homme, pas plus de vingt ans. À cette annonce, il fut immédiatement introduit dans la grand’salle du château.

    « M’seigneur, l’pauv’gars doit-z-y être d’puis pas longtemps, parcequ’eul neige est encore toute blanche. N’y a point d’sang autour. Alors qu’l’pauv’môme, il ben amôché qu’même !

    Melderic avait immédiatement pensé à son écuyé. D’un regard au seigneur Parteine, il avait demandé la parole. Ce dernier la lui accorda d’un simple mouvement de tête. Melderic, chevalier de l’Ordre et fidèle bras droit du seigneur, se leva.

    — Mène-moi à ce corps, je vais m’occuper du reste. »

    Le bûcheron s’inclina en guise d’acceptation de l’ordre — il n’avait pas vraiment le choix non plus — pendant que Melderic, d’un geste convoquait une escorte de huit gardes.

    Arrivés à une vingtaine de pas du corps, le chevalier fit stopper la troupe et demanda à ce qu’on le laisse seul pour l’examiner. Il avait arrêté de neiger pendant leur trajet et le ciel se dégageait tranquillement.

    Il y avait des traces de morsures un peu partout sur le corps. Ses habits n’étaient plus que des lambeaux. Le visage avait été littéralement labouré par des griffes mais Melderic n’eut pas de mal à reconnaître son écuyer, Borhm, disparu depuis près d’un mois. La dernière fois qu’on l’avait vu, il quittait la taverne bien plus aviné qu’il n’aurait dû. À présent, mort, il lui manquait une jambe et un avant-bras.

    « Que t’est-il donc arrivé, Borhm ? demanda Melderic au cadavre de son écuyer pendant qu’il l’examinait en détail, ainsi que les alentours. Une fois qu’il eut fini, il fit signe aux gardes qui l’accompagnaient :

    — Récupérez le corps. Ramenez-le au château pour qu’une messe soit dite et qu’il reçoive sépulture. Vous deux, restez avec moi !

    Puis il se tourna vers le bûcheron.

    — Tu peux reprendre ton travail, l’ami. Je te remercie d’être venu nous trouver.

    — Sont-ce des loups qu’y’ont fait ça, m’seigneur ? Il regardait en tout sens, peu rassuré.

    — Non, ne t’inquiète pas. Tu n’as rien à craindre dans ces bois ! »

    Melderic lui tapa amicalement sur l’épaule. Le bonhomme baissa les yeux par déférence. Le chevalier suivit de la troupe laissa le bûcheron au milieu de la forêt.

    Le seigneur Parteine fut très surpris quand son fidèle chevalier revint, près de vingt minutes après le corps de son triste écuyer, avec entre les deux gardes le maître tanneur de la ville.

    Parteine regarda son ami avec étonnement.

    « Sire, commença le chevalier. Je viens ici, vous demander de rendre justice contre Johann le tanneur pour le meurtre de mon écuyer, Borhm.

    Il voulait faire ça dans les règles. Le seigneur savait très bien que si Melderic venait avec quelqu’un et qu’il voulait immédiatement un jugement, c’est que ce pauvre hère devait bel et bien être le coupable.

    — Accusé ! qu’avez-vous à dire pour vous défendre ? demanda le seigneur de la voix la plus grave et sinistre qu’il pouvait.

    — Seigneur, je ne sais absolument pas de quoi parle le chevalier, répondit le tanneur, fébrile.

    — Je parle du cadavre de l’écuyer qui a été retrouvé ce matin dans la forêt, près de la zone de travail du bûcheron que nous avons vu ce matin. D’un claquement de doigt, Melderic fit apporter le cadavre devant le seigneur et l’accusé. Il fut déposé à même le sol. Et voici les preuves incontestables qui me font affirmer que vous êtes l’assassin de mon ami. Le corps a été trouvé dans la forêt, au-dessus d’une épaisse couche de neige, pas en-dessous. Cela, plus le fait qu’il n’y avait pas une seule goutte de sang là où le pauvre bougre a été trouvé, signifie qu’il n’est pas mort là mais que son cadavre a été déplacé. Par qui ? Comment ? Je n’en suis pas encore sûr à l’heure actuelle mais passons pour le moment. Pourquoi a-t-il été déplacé ? C’est une bonne question. Parce que le temps s’est radouci depuis deux jours et que les températures sont remontées au-dessus de la température de la glace. On sait que nous n’avons pas eu de température aussi douce depuis avant la disparition du sieur Borhm. Le redoux aura permis au corps d’entrer en décomposition. De continuer le travail à peine débuté puis arrêté à cause du froid. Le tueur s’en sera rendu compte et surtout aura assurément eu peur que l’odeur n’attire des curieux. Il aura préféré déplacer le corps.

    Le seigneur, le tanneur et même l’assistance avait le souffle coupé. Melderic captivait par sa voix et sa démonstration.

    — Voyez, Sire, comme le malheureux Borhm a été mutilé. Mon avis sur ce fait est que l’assassin a voulu se débarrasser petit à petit de son encombrant fardeau. En le débitant. Morceau par morceau. Et en le dissimulant dans les déchets. En petits parts, impossible pour quiconque de se rendre compte de la présence de reste humain. Mais le redoux a coupé court au plan.

    Le chevalier lança un regard noir à Johann.

    — À présent Sire, si vous voulez bien approcher, vous verrez que le visage de Borhm a été affreusement mutilé par un ou plusieurs animaux. Comme il a été retrouvé dans la forêt, nous pourrions croire que ce sont des loups qui ont fait cela, mais nous savons très bien qu’aucun animal de la sorte n’a été vu depuis près de trois hivers. Sans exclure totalement, cette hypothèse, je pense que nous pouvons la mettre de côté sans trop nous tromper. Je pense plutôt que l’assassin a voulu se débarrasser de ce cadavre trop encombrant en le donnant à ses chiens. Mais les animaux ne sont pas idiot et savent reconnaître quand une viande est mangeable ou non, alors ils l’ont laissé après quelques morsures en surface. L’assassin, lâché par les seuls êtres qui pouvaient encore l’aider à ce stade, n’a eu d’autre solution que d’emmener le cadavre de Borhm dans la forêt et espérer que personne ne le trouve avant que la nature ne fasse son œuvre.

    Melderic s’arrêta de parler quelques instants, autant pour ménager ses effets que pour reprendre son souffle.

    — Bien ! s’exclama Parteine. La démonstration me va, jusqu’ici. Mais pourquoi accusez-vous donc le tanneur, chevalier, alors que la façon de faire me ferait plutôt penser au boucher, rapport à la découpe de… Il n’acheva pas sa phrase mais montra vaguement les membres amputés de l’écuyer.

    — Je comprends mon seigneur. Je pensais de même avant d’examiner les restes du corps. Si vous regardez le bas du dos, vous verrez sur la peau et sur les habits, ainsi que sur le bout des doigts et la tranche de la main encore présente, des traces tenaces de teinture. L’odeur caractéristique persistante et la couleur sombre montre que la concentration du produit était élevée et donc en cours de décoction. Et il n’y a que chez le tanneur que nous trouverons pareil produit. Quand j’ai quitté Borhm à l’entrée de la taverne, le soir de sa disparition, il n’avait pas ces marques sur la main. Il ne se les sera pas faites en buvant. Il ne peut se l’être faite qu’après. Tout porte donc à croire que le meurtrier de l’écuyer est le tanneur Johann ici présent. Il possède aussi trois chiens, deux de grande taille et un plus petit. Vous pourrez voir que les morsures sur le corps montrent deux tailles bien distinctes de mâchoires, correspondant à celles des animaux de Johann.

    Melderic s’arrêta encore une fois, regardant le seigneur, manifestement convaincu par la démonstration, puis il se tourna vers le tanneur. Celui-ci restait stoïque devant le chevalier.

    — Les témoins montrent que Borhm était ivre quand il a quitté la taverne, continua le chevalier directement à sa proie, et vous avez une très jolie fille. Je sais qu’elle plait à mon écuyer pour avoir été son confident à ce sujet. Trop ragaillardi par le vin, Borhm sera allé la trouver chez vous, ce soir-là. Ça ne vous aura pas plus et vous l’aurez tué sous un accès de colère. Avouez. AVOUEZ !!

    Le chevalier commençait à perdre son sang-froid devant le tanneur dont la physionomie ne laissait rien paraître. Mais voir Melderic s’énerver était quelque chose de rare qui parvint à faire flancher le courage du tanneur. Il éclata en sanglot.

    — Oui ! C’est vrai ! Mais c’est parce que ce porc voulait prendre ma fille par la force. Elle criait et se débattait. Il avait beau être écuyer, il y a des manières à avoir avec une fille ! Alors je suis arrivé, je l’ai attrapé par le col. Il a voulu se débattre mais il était trop ivre. Je l’ai mis à la porte mais il a commencé à vouloir enfoncer la porte. Au bout de trois coups d’épaule, j’ai ouvert la porte. Je l’ai vu traverser la maison et atterrir dans mon atelier. Il s’est cogné à un des bacs de décoctions de couleur, c’est là qu’il a dû se tâcher. Je me suis approché de lui. Il voulait se battre avec moi, mais aviné comme il était, il tenait à peine debout. Il a fait un faux pas et s’est étalé de tous son long. Sa tête a buté contre une des cuves et il s’est rompu le cou. Je ne savais pas quoi faire, alors je l’ai mis dans la réserve de bois à l’extérieur, en attendant de trouver quoi faire. Tout le reste s’est passé comme le chevalier l’a dit, termina le tanneur hagard en se tournant vers le seigneur Parteine.

    — Chevalier Melderic, je vous félicite pour la découverte du coupable aussi rapidement. Johann le tanneur, vous allez avoir droit à un procès populaire que je présiderai dès ce soir pour savoir quel châtiment vous subirez. Quand au pauvre Borhm, qu’une messe soit dite et qu’il soit enterré au plus vite, il a suffisamment attendu. »

  • 024 – Avis “Logitech Illuminated Keyboard”

    Jusqu’à il y a peu de temps, je pensais (naïvement) que tous les claviers se valaient pour l’écriture. L’année dernière, j’ai investi dans un mac book pro, pour pouvoir assouvir mes pulsions scripturales où que je me trouve, et j’ai compris que non, les claviers sont tous différents et que la qualité de fabrication joue énormément. Au point d’être rebuté d’écrire sur mon PC fixe tellement le clavier vendu avec, et qui pourtant au début me paraissait vraiment génial, me semble à présent inconfortable. J’ai l’impression qu’il faut appuyer sur chaque touche bien plus fort pour que ce soit pris en compte, là où sur le portable de la marque à la pomme, il suffit de les effleurer pour que le texte suive à l’écran. Magique.

    Donc pour palier à ça, après avoir rodé dans de nombreux forums dont j’ai depuis perdu la trace, j’ai réussi à trouver que le système « PerfectStroke » (je vous laisse voir par vous-même ce à quoi ça correspond exactement sur le site de logitech)

    Comme je suis un vieux con (et surtout un grand maladroit), j’ai opté pour un clavier AVEC un fil. Oui, comme ça, s’il vient à vouloir s’envoler ou se jeter au sol, il est retenu par son fil comme Mike Brant par ses Santiags. Mais c’est une autre histoire.

    J’ai donc jeté mon dévolu sur le simplement nommé : « Illuminated Keyboard »

    Il est vendu 80€ sur le site de Logitech, bien moins cher chez Amazon. Je vous laisse deviner où je l’ai acheté. 🙂

    Et voilà à quoi ressemble la bête :


    Alors, je dois bien avouer qu’il remplit parfaitement son office (et celui de Crosoft aussi ^^ ). La frappe est légère, nerveuse, rapide.
    Dans les points positifs, en plus de la qualité de frappe pour laquelle je l’ai acheté, on peut mettre que les touches sont rétroéclairées. Il est ultra fin (sans possibilité de le relever donc ça fait pas mal aux poignets) et il a un petit repose poignets intégré. Il y a aussi l’accès direct aux touches de fonction (F1, F2, etc) sans avoir à appuyer sur la touche “Fn”. Ça, vraiment, c’est bien.
    Et puis il est un peu classe quand même, non ? Hein ? Question de goût ? Ok !

    La touche Snob de ce clavier ce sont les indicateurs de verrouillage majuscule, numérique et scroll qui sont intégrés en bas du pavé numérique de façon très sobre et chic.

    Le seul point négatif à mes yeux est que chez Logitech, ils ont fait sauter la touche “Clic-droit”, placée en général entre les touches “Alt Gr” et “Ctrl” à droite pour la mettre au-dessus du bloc “suppr.”, “page up”, “page down” etc. en combo avec la touche “Imprime Écran” et en plus, il faut appuyer sur la touche “Fn” pour y accéder.

    Personnellement, moi ça m’embête beaucoup parce que sous Word (entre autres), le clic droit sur une faute permet d’avoir les propositions de corrections. Utiliser cette touche me permettait de corriger rapidement sans avoir à lever les mains du clavier pour aller jouer avec la souris. C’est pas grave, je vais m’y faire.

    La touche “Fn”, elle, a été mise à la place des touches “Clic-droit” donc, et “Windows” de droite. Au moins c’est accessible.

    Pour moi, ce clavier est quand même parfait. Je lui donne allégrement :

  • 023 – Ruby

    Phrase donnée par Ness Cinéma

    L’obséquiosité régnante dans cette maison pour Ruby si « aimable et loyale » me donne de furieux haut-le-cœur.

    Cette fille est l’exacte copie de la peste qu’aucun enfant ne peut piffrer mais elle est assez intelligente pour que les adultes lui laissent tout passer. Le fait qu’elle s’arrange toujours pour que ce soit l’un de nous qui porte le chapeau joue aussi énormément. Et que ces parents soient les patrons de l’entreprise qui finance cette colonie de vacances doit aussi être une raison de l’attitude des gens qui nous encadrent.

    Nous ne sommes arrivés il y a trois jours. Trois longues journées. C’est impressionnant comme le temps peut ralentir quand ce qu’on vit semble des plus désagréables et c’est fou comme trois jours peuvent être immensément longs.

    Cette fille est un mélange parfait de Nelly de la petite maison dans la prairie et de Lavigna de Princesse Sarah. Je ne savais même pas que des personnes comme ça existaient dans le monde réel.

    Ruby. Déjà, rien que son nom est un avant-goût à sa personnalité. Elle doit avoir ce caractère horripilant à cause de ce prénom. Moi, je pense que je serais devenue une chipie aussi si je m’étais appelée comme ça, juste pour me venger. Sérieusement, ça devrait être interdit de donner des noms comme ça à ses gosses. Les parents devraient être déchus de leurs droits rien qu’à l’idée d’appeler leur fille Ruby.

    Dès qu’elle nous a croisés, elle nous a fait bien comprendre, à nous autres, gosses de pauvres, comme elle nous a appelés, que nous n’étions pas du même monde et que même si ses parents l’avaient envoyée-là pour se faire des amis, elle n’avait absolument pas l’intention de se mélanger avec nous. J’ai remarqué qu’elle m’avait tout particulièrement regardée. Nous sommes les deux plus vieilles du groupe, onze ans, mais, alors qu’elle ressemble à une photo de pub pour des magasins de grande marque, moi, je ressemble à une goth. Quelqu’un m’a demandé une fois si je faisais des castings pour jouer Mercredi dans une nouvelle version de la famille Addams. Mais je n’ai pas de couettes.

    Cette peste avait terminée sa première intervention devant nous en disant :

    « Restez-là pendant que je vais choisir ma chambre. Après tout cette maison est un peu à moi, c’est bien normal que je choisisse en premier. »

    Ruby était partie tranquillement par les escaliers. Nous étions restés à nous regarder les uns, les autres, assez incrédule de ce discours.

    Depuis, elle n’a pas arrêté de nous faire tourner en bourrique. Quand aucun adulte n’est là, elle nous traite comme si nous étions ses serviteurs. Dès qu’un surveillant arrive, elle va pleurer auprès de lui pour lui faire croire qu’on ne veut pas jouer avec elle. À chaque fois, ses réactions nous étonnent tellement que nous n’arrivons pas à répondre ou réagir. Le surveillant nous réprimande et nous exhorte à l’intégrer à notre groupe. Les premières fois nous n’avons rien dit, au bout de la quatrième ou cinquième fois où elle nous a fait le coup, j’ai essayé d’expliquer la réalité mais les adultes n’ont pas l’air décidés à me croire. Je sais qu’avec ma dégaine de gothique j’inspire moins confiance que mademoiselle gnan-gnan mais les faits sont là.

    En tout cas, si nous devons passer trois semaines ensemble, il est hors de question que ce jeu ne dure plus longtemps. Je suis venue ici pour m’amuser, par pour être le bouc-émissaire ou le souffre-douleur de cette… Je vais essayer de rester polie.

    Comme les autres gosses sont tous plus jeunes que moi, je me suis un peu retrouvée chef de bande de la révolte. Nous sommes quinze. Je ne compte évidemment pas la Peste. Le plus jeune a cinq ans. Nous sommes censés dormir dans des chambres de trois. Sauf évidemment Ruby qui a fait un caprice pour dormir seule. Elle a réussi à embobiner les moniteurs pour qu’ils acceptent. Ce qui a fait que Lucius et moi dormons dans le salon. Lucius est un garçon de dix et malgré qu’il a, lui aussi, un nom difficile à porter, il est très sympa.Comme quoi ! Nous dormons donc dans sur les canapés du salon. Ce qui a obligé les monos à migrer dans la cuisine pour finir leurs soirées quand tous les gosses sont couchés.

    Je suis sur le canapé et je réfléchis à ce que je peux concocter à cette si aimable et loyale Ruby. Comment les adultes peuvent être si aveugles quant à la réelle nature de cette sale gamine ? Je les entends rire derrière la porte de la cuisine. Des fois, je me demande si nos parents sont conscients de nous laisser aux mains de jeunes adultes peut-être moins responsables que moi.

    L’idée est née dans mon esprit comme une explosion de feu d’artifice. Il faut que la Peste soit prise en flagrant délit de fumer ou de boire de l’alcool. Elle serait directement renvoyée, même en étant la fille du patron.

    Le plan est assez simple à réaliser.

    Le lendemain, en début d’après-midi, pendant le moment où habituellement les monos nous laissent tranquilles pour faire ce que nous voulons, ils nous rassemblent dans le salon. Comme je l’espérais.

    « Cette nuit, commence la chef des monos, des bouteilles de bières ont été volées dans le frigo de la cuisine. C’est un comportement inadmissible. Vous êtes des enfants et vous n’avez absolument pas le droit de boire de l’alcool. J’attends donc que le coupable se dénonce et ramène ces bouteilles, en espérant qu’elles soient encore intactes. Je vais vous laisser une heure tranquilles. Si d’ici là, le coupable se fait encore attendre, nous irons chercher dans vos chambres ! »

    J’essaie de rester la plus sérieuse possible. Il ne faut pas que j’ai l’air trop euphorique, ça pourrait mettre la puce à l’oreille de la Peste ou des monos.

    L’heure écoulée, la chef des surveillants et deux de ses acolytes commencent le tour des chambres en commençant par le salon et mes affaires. Pas de problème. J’ouvre mon sac, et montre que je n’ai rien à cacher. Idem pour Lucius. Pendant que la troupe d’enfants et les trois enquêteurs montent à l’étage pour commencer la fouille dans les chambres, je pars voir un des moniteurs resté en bas. Je joue la timide, celle qui ne sait pas comment dire quelque chose d’embarrassant et finalement, je balance le pavé dans la mare.

    « Cette nuit, j’ai vu Ruby descendre dans la cuisine. J’ai cru qu’elle avait soif et qu’elle voulait boire un verre d’eau mais quand elle est remontée j’ai cru entendre un bruit de bouteilles.

    — Tu es sûre ? me demande le gars à qui je déballe tout ça.

    — Oui, mais je n’ai rien osé dire devant tout le monde tout à l’heure, comme ce sont ses parents qui… » Et je ne finis pas ma phrase pour lui faire croire que j’ai peur des conséquences de ma délation.

    Le gars me dit de rester là et d’attendre sur le canapé. Je le laisse monter prévenir la chef. Mes oreilles attirent le bord de mes lèvres mais je fais tout pour les empêcher de bouger. Il faut que je reste aussi neutre que possible.

    Quelques minutes plus tard, j’entends la Peste crier. Elle explose en sanglot, criant qu’elle ne sait pas ce que ces bouteilles font dans sa chambre ni pourquoi il y en a une de vide, que ce n’est pas elle qui l’a bue.

    Je reste assise sur le canapé, à regarder le fond de la cheminée en face.

    Quelques heures plus tard, le père de Ruby arrive pour la récupérer. C’est un gros bonhomme avec une grosse moustache qui roule dans une grosse voiture. Il est littéralement rouge de colère. J’ai presque de la peine pour la Peste quand je vois son père la traîner par le bras jusqu’à la voiture en lui hurlant dessus.

    Mais finalement, j’ai l’impression d’avoir vengé princesse Sarah. Je suis contente.

    Tous les gamins avec moi ont l’air soulagés, très heureux de ce qui vient d’arriver.

    Finalement, ce n’est pas si difficile que ça de manipuler les adultes.