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  • 105 – Le cercueil

    Phrase donnée par Ambrose

    « Mais qu’est-ce que vous avez fait du cercueil ?

    L’employé des pompes funèbres regardait le sol comme un enfant qui a fait une grosse bêtise, jouant du bout du pied avec un caillou.

    — Et la camionnette ? J’attends une explication claire et rapide ! J’ai un client qui demande des nouvelles de sa grand-mère ! J’aimerais pouvoir lui dire quelque chose ! «

    Le patron n’était pas content du tout. C’était bien compréhensible. En trente ans de carrière, il n’avait jamais eu à déplorer de problème et depuis qu’il avait engagé cet hurluberlu, les erreurs s’enchaînaient jours après jours. Mais cette fois, il avait dépassé les limites. Perdre un véhicule et le cercueil qu’il contenait, comment était-ce possible ?

    L’employé, que nous appellerons Larry pour lui garder des chances de retrouver du travail un jour, devait transférer le corps du lieu du décès vers le lieu de l’enterrement, soit un déplacement de près de huit cents kilomètres. Logiquement, il s’arrêta durant son périple pour manger un bout et prendre un peu l’air. Larry avait laissé la camionnette ouverte. Il ne voyait pas l’intérêt de verrouiller un corbillard. Mais alors qu’il urinait dans un fourré non loin de là, il en entendit un bruit de portière et n’eut que le temps de voir quatre personnes monter à l’intérieur et lui voler le cercueil. Ils le chargèrent dans une camionnette ressemblant en tout point à la sienne et partirent en trombe. Larry se dépêcha de remonter maladroitement sa braguette et jeter sa cigarette avant de sauter à son tour dans son corbillard, oubliant même de fermer les portes arrière. Il devait les rattraper et récupérer la boîte contenant Élisabeth Dubois, d’après les papiers officiels de transport.

    Fonçant sur la route nationale —  Le patron de Larry ne voulait pas qu’il prenne l’autoroute, question d’économie qu’il disait —, derrière l’autre véhicule, Larry arrivait à gagner un peu de terrain. Ils étaient quatre plus un corps, lui roulait à vide à présent.

    Alors qu’il n’était plus qu’à une dizaine de mètres de la camionnette des voleurs, les portes arrière s’ouvrirent. Larry eut l’impression de vivre un épisode de l’agence tous risques. Deux des voleurs avaient des armes à feu. Larry n’y connaissait pas grand choses là-dedans, ça ressemblait juste à des mitraillettes. Ils n’attendirent pas pour faire feu. Dans un réflexe, Larry se baissa pour se protéger derrière le tableau de bord. Deux ou trois balles firent voler le pare-brise en éclat. De la fumée entra dans l’habitacle. Ces salauds avaient sûrement atteint le radiateur, voire le moteur même. Il allait se faire distancer. Rétrogradant tout en accélérant au maximum, Larry parvint à rejoindre la camionnette et à la percuter malgré le tir nourri des voleurs. L’impact fut immédiatement suivi d’un bruit étrange, comme une petite explosion. Le moteur venait de rendre l’âme, le véhicule de Larry se mit à ralentir. C’était fini. Il allait se faire virer. Relevant la tête, il vit les malfrats s’éloigner mais fut stupéfait de voir glisser au milieu de la route le cercueil qui lui avait été volé. L’impact l’avait sûrement fait tomber. Pourquoi les voleurs avaient préféré s’enfuir plutôt que de le récupérer, Larry n’en savait rien. Il le comprit rapidement en se faisant dépasser par trois véhicules de police. Un quatrième s’arrêta devant lui. Le conducteur sortit rapidement et braqua son arme sur le convoyeur des pompes funèbres qui leva les mains, tremblant de peur.

    Menotté, la joue contre le métal froid de la carrosserie de sa camionnette, Larry se demandait ce qu’il allait lui arriver. Le collègue du policier qui venait de l’arrêter était allé voir le cercueil et revenait tranquillement.

    « Vous savez ce que contient ce cercueil ? demanda-t-il.

    — Madame Dubois… bafouilla Larry, Élisabeth Dubois, née le 24 septembre 1927, morte il y a trois jours. Je l’emmène pour qu’elle soit enterrée dans le caveau familial.

    Le policier montra à Larry une poche transparente entourée de cellophane remplie de poudre blanche.

    — À moins qu’elle n’ait déjà subit sa crémation, je ne suis pas sûr que ce soit elle… »

    À cet instant du récit, le patron de Larry le coupa.

    « Quoi ? Il y avait de la drogue dans le cercueil ? Vous vous foutez de moi ! Ça n’est pas possible, j’ai scellé le cercueil moi-même !! »

    Larry regarda son patron d’un air défaitiste en haussant les épaules. Il avait perdu une dépouille et était inculpé de trafic de drogue par la police. Ces états d’âme ne l’atteignaient pas trop.

    « Mais qu’est devenue la mamie ? Et comment vous êtes vous retrouvé en possession de cette marchandise ?

    Larry haussa une nouvelle fois les épaules.

    — Je ne veux plus vous voir ! Vous êtes viré ! Allez-vous-en ! »

    Pendant que Larry s’éloignait tranquillement de son nouvel ex-travail, son nouvel ex-patron entra furieux dans son bureau. Il décrocha le téléphone.

    « C’est moi ! Quelqu’un savait pour le transport. Mon idiot s’est fait attaquer avant de se faire arrêter par les filcs ! … Évidemment qu’ils ont saisi la marchandise ! Putain !! Cent-cinquante kilos de dope. C’était facile, ça devait se passer sans problème ! Trouvez la taupe et faite lui comprendre qu’on joue pas aux cons avec l’argent des autres ! »

     Le patron raccrocha. Au même instant, un jeune homme d’une trentaine d’années entra dans le bureau.

    « La gestion administrative, c’est au secrétariat ! » aboya le patron, visiblement sur les nerfs.

    Le jeune homme sortit de sa poche un porte feuille qu’il ouvrit d’un mouvement mécanique, montrant son habitude, et laissant apparaître une carte d’officier de police. Le patron laissa tomber sa tête et ses épaules sous le poids de la fatigue. Ça n’était vraiment pas son jour.

  • 085 – Trinlandia

    Phrase donnée par Ambrose

    « Sers-toi, j’en ai plus besoin de toute façon.

    Fligorn avait dit ça à son neveu comme s’il parlait d’un pot à lait ou d’un râteau à feuilles mortes.

    — Sérieusement ? Tu ne te sers plus de Trinlandia, la tueuse de dragons ? demanda encore Wilhmir, ébahi par la proposition.

    — Ben, j’en tue plus beaucoup, à vrai dire, depuis que je suis à la retraite.

    Le jeune homme haussa les épaules et décrocha l’épée légendaire du mur. Il fut tout d’abord surpris par son poids et ne put étouffer un soupir de stupéfaction.

    — Ah ! Oui ! reprit Fligorn. C’est pas une arme de mage. Il faut avoir un peu d’expérience et de force pour s’en servir. »

    Mais déjà, Wilhmir s’amusait à faire tournoyer la lame en tous sens pour mesurer sa facilité d’utilisation. D’aussi loin qu’il puisse se souvenir, il avait vu cette épée posée contre le mur dans la maison de son oncle. Et pour le faire s’endormir, sa mère lui racontait les histoires des aventures du légendaire Fligorn, le plus grand tueur de dragons.

    Wilhmir avait toujours rêvé de le suivre dans ce métier dangereux mais apportant la renommée et la fortune. Fligorn avait toujours été son exemple à suivre même s’il n’avait jamais osé en parler à ses parents pour ne pas les inquiéter. Malgré sa fougue et son inconscience, le jeune homme savait que c’était un métier dangereux.

    Wilhmir déposa délicatement l’épée sur un meuble et donna une accolade à Fligorn.

    — Mon oncle, je te remercie énormément pour ce cadeau !

    — Va t’amuser avec et dis-moi ce que tu en penses. Elle devrait te faire gagner par mal de niveau » termina le héro.

    Wilhmir reprit Trinlandia avec délicatesse et partit, la jubilation peinte sur son visage.

    « J’aurais peut-être dû lui dire qu’elle a un malus contre les orcs… pensa Fligorn, puis haussant les épaules : Bah ! Il s’en rendra bien compte tout seul, ça fera parti de sa formation. »

  • 083 – L’horloge

    Phrase donnée par Ambrose

    L’horloge s’arrêta.

    Marie sentit la migraine monter. Elle regarda l’horloge encore quelques secondes pour être sûre. Rien ne bougeait plus. Plus aucun son ne se dégageait ni de l’objet ni des alentours.

    Il était temps d’agir. Elle n’avait pas longtemps avant que le temps ne reprenne son cours. L’Inhibiteur qu’avait fabriqué l’ingénieur en chef Sanboussy ne devait agir que vingt cinq minutes. Ensuite, tout reprendrait comme si de rien n’était. En attendant, il ne lui restait plus que vingt quatre minutes et quarante sept secondes pour accomplir sa mission.

    Marie était agent secret ; la plus rapide et la plus capable de résister aux effets des distorsions du temps. Mais cette fois, ça n’était pas juste un simple ralentissement, c’était une pause complète. Les douleurs psychiques que les truchements du temps entraînaient sur les agents étaient impressionnantes mais l’arrêt complet, c’était Waterloo dans la tête de Marie. Elle s’attendait à quelque chose du genre mais rien d’aussi fort.

    Elle allait avoir du mal à tenir le décompte du temps restant mais il fallait qu’elle avance.

    La mission était simple dans son but, moins dans sa réalisation. Elle devait assassiner un président. Le président Navarrais. Il fallait faire passer cela pour un attentat de ses opposants. La Reine avait des vues sur ce petit pays et en couper la tête tout en faisant accuser l’opposition l’aiderait à mettre la main dessus.

    Marie sortit de la calèche électrique et se précipita dans l’hôtel, faisant bien attention à ne bousculer personne pendant la suspension. Il fallait éviter un maximum les interactions avec les êtres vivants pendant ces périodes. Évidemment, il était impossible d’utiliser les ascenseurs. Marie dut prendre les escaliers. Avec son mal de crâne, ça n’allait pas être de tout repos. Trente-cinq étages…

    Ça serait la partie la plus difficile.

    Essoufflée, au bord de la folie avec cet étau qui lui enserrait la tête, elle parvint en haut de l’immeuble avec encore dix minutes trente environ. Le décompte était approximatif.

    Il ne fut pas compliqué pour elle de trouver la suite du président Cathare. Tout en serrant bien l’Inhibiteur de temps pour qu’il continue à agir, Marie sortit de sa poche la grenade navarraise pui ouvrit la porte de la suite.

    Tout le monde était debout sauf le président, assis derrière un bureau. Il écrivait une lettre. Marie prit un instant pour lire ce qui pouvait constituer une source de renseignements. Elle fut plus qu’étonnée de voir que le président Navarrais s’attendait à un attentat et accusait directement la Reine. Comment pouvait-il le savoir ? Marie attrapa la feuille et la tira d’un coup sec. Le stylographe du Président laissa un grand trait sur le papier.

    La jeune femme allait poser sa grenada au milieu du bureau quand son esprit vit quelque chose bouger dans un coin de son regard. Elle réagit plus vite que sa conscience et d’un bond esquiva un tir.

    Criant un juron en se plaquant au sol, elle eut à peine le temps de voir qu’un des agents navarrais bougeait.

    C’était impossible ! Ils n’étaient pas sensés avoir cette technologie. Ce n’était pas vraiment le moment de réfléchir au comment du pourquoi. Elle devait le neutraliser et laisser la grenade rapidement si elle ne voulait pas avoir des problèmes à s’extraire de l’hôtel après l’explosion et la reprise du temps.

    Le gars tira encore une salve de trois coups. Marie jeta un coup d’œil rapide pendant qu’elle changeait d’abri. D’après le modèle de pistolet, il ne lui restait plus que deux coups, voire moins. Après, elle pourrait s’attaquer à lui au corps à corps. Elle roula de derrière son divan en direction du bureau du président. L’agent dans un réflexe idiot tira ses deux derniers coups en suivant sa cible, oubliant le reste. Le président eut un sursaut et un tremblement étrange avant de reprendre la pose figée.

    Marie jubilait. Elle n’aurait même pas besoin de sa grenade. Elle sauta par-dessus le bureau et profita de la seconde d’étonnement de l’agent pour lui mettre un grand coup dans le visage avec la grenade qu’elle avait encore en main. Il tomba au sol, sonné, tant pas son acte que par le coup.

    Même si la mission était remplie, Marie ne pouvait partir sans s’occuper de cet homme qui ne devait absolument pas parler d’elle. Elle inséra la grenade dans la bouche de l’agent et tira la goupille.

    Le lendemain, on lirait dans les journaux qu’un des agents du président Navarrais l’avait tué par balle avant de mettre fin à ses jours.

    Marie ne savait plus vraiment combien de temps il lui restait. Elle devait faire vite. Elle dévala les escaliers aussi vite qu’elle put.

    La jeune femme arrivait dans le hall de l’hôtel quand l’Inhibiteur eut un soubresaut étrange. Les gens, arrêtés dans leurs mouvements, reprirent vie d’un coup, comme si rien ne s’était passé. Ce qui était vrai pour eux.

    Il ne restait plus que le temps à Marie du retard d’allumage de la grenade pour sortir de l’hôtel et être récupérée par la calèche. Le groom la salua comme elle sortit. L’explosion retentit à cet instant. Les vitres de la suite présidentielle volèrent et tombèrent en pluie une seconde plus tard. Le groom se mit à l’abri sous l’auvent de l’hôtel cherchant la jeune femme qui venait de sortir pour la mettre elle aussi à l’abri. Elle avait disparu.

    Une calèche partit tranquillement vers l’esplanade des Victoires.

  • 046 – Le soleil

    Phrase donnée par Ambrose

    Le soleil brille, mais pas ici.

    Au plus profond de la croûte terrestre, là où la chaleur du noyau de la planète permet de n’avoir jamais froid, toute la lumière que nous recevons est artificielle. Ou créée par les vieux néons récupérés de la surface, ou fabriquée par des champignons modifiés génétiquement pour avoir des spores lumineuses. La lumière est alors comme irréelle, douce, vaporeuse, parce que les spores volent partout dans les airs. C’est peut-être la seule chose qui me fait encore m’émerveiller de ce monde.

    Je suis un gardien de la lave. Mon travail consiste à creuser des galeries pour faire s’écouler le sang de la Terre correctement et empêcher qu’elle ne remonte à la surface.

    Nos ancêtres ont tellement fait n’importe quoi avec leurs technologies foireuses et leur égoïsme collectif que maintenant, nous devons faire extrêmement attention à tout. La croûte terrestre est devenue extrêmement sèche et friable. La lave ne la déchire plus, elle l’enflamme comme un vieux morceau de tourbe séchée. Les eaux des mers sont déchaînées à cause des vents violents qui parcourent le globe sans cesse. Quand on me dit qu’avant, des navires pouvaient aller d’un continent à l’autre, et même faire le tour du monde, j’ai du mal à le concevoir. Une fois, bien à l’abri sur un des bunkers en hauteur, j’ai vu les vagues un jour qu’on m’avait donné comme calme. Les vents sont tellement forts que les vagues s’écrasent à plus de trente mètres du rivage, le sel se répand partout et brûle le sol, empêchant toute végétation de pousser.

    Le seul avantage à ce vent infatigable, c’est que nous avons de l’énergie quasiment infinie grâce à nos parcs éoliens. Par contre, je plains vraiment les gars qui en font l’entretien. Je préférerais toujours être à ma place qu’à la leur. Avec leur combinaison lestée et leur fil d’Ariane pour les empêcher de se faire emporter par les bourrasques. J’ai connu un mec, les sécurités n’ont pas marché, il s’est envolé. On a retrouvé son cadavre à plus de trois cents kilomètres. À chaque instant, ils risquent de se faire transpercer par des déchets emportés par les airs. Le moindre bouchon de bouteille devient aussi dangereux qu’une balle de fusil. Merci les ancêtres d’avoir laisser traîner vos déchets n’importe comment. Au moins, au fond de mon trou, à part mourir d’asphyxie ou en tombant dans la lave, je n’ai pas de grands risques. Je pourrais devenir fou de vivre enfermé aussi, comme le vieux Nils, il y a quelques années. Le manque de lumière naturelle avait dit le doc. Vivre enfermé, ce n’est pas vraiment une vie. Quand on pense qu’avant, tout le monde pouvait vivre à la surface, ça fait rêver.

    Quand je vois l’état du monde, je me demande encore pourquoi les gens continue de faire des gosses. À quoi bon mettre au monde des individus qui souffriront comme nous d’être sur cette planète devenue si inhospitalière.

    Quand je me mets à trop réfléchir, je deviens morose. J’en viendrais presque à me laisser tomber dans la lave tellement je ne vois pas l’intérêt de continuer cette vie sans réel sens.

    C’est en général dans ces moments qu’elle arrive de sa zone de travail pour déjeuner avec moi et bizarrement, toutes ces pensées maussades disparaissent devant le sourire et les yeux moqueurs de cette jolie fille.

    Le soleil ne brille peut-être pas ici, mais avec Lucie à mes côtés, je n’en ai pas besoin.

  • 029 – Le trou

    Phrase donnée Par Ambrose

    « Et voilà !

    — Reste plus qu’à reboucher, maintenant ! »

    J’ouvre les yeux, difficilement, et je vois un trou. En fait, je suis dans le trou. Allongé. Je vois le ciel. Et je vois la silhouette de deux bonshommes, penchés au-dessus de moi. Je crois qu’ils viennent de me jeter au fond de ce trou. Et maintenant, ils m’envoient de la terre dessus.

    Putain mais ils essaient de m’enterrer vivant !

    J’essaie de crier mais j’ai l’impression que ni ma voix ni ma bouche ne reçoivent les ordres de ma pensée. J’essaie de bouger mes membres, de remuer, mais la fenêtre sur le ciel ne bouge pas d’un poil. Je ne sais pas si je suis attaché ou complètement paralysé. C’est dingue.

    Et puis pourquoi moi ? Je ne suis personne. J’ai jamais rien fait de mal, jamais mal parlé à quelqu’un, jamais emprunté d’argent à quelqu’un qu’à une banque, jamais eu de dettes de jeux. Qu’est-ce que je fiche au fond de ce trou ?

    Ils continuent à me jeter de la terre dessus, des pelletées, encore et encore.

    Je n’arrive toujours pas à bouger ou crier. J’ai envie de pleurer de rage de ne pas être capable de faire quoi que ce soir pour sauver ma peau.

    Finalement, Je reçois une pelletée de terre sur le visage. Je ne vois plus rien. Seulement, là, je trouve la force de me relever. Étrangement, je m’attendais à avoir plus de difficulté à soulever tout ce poids de terre qui m’écrase.

    Hors du trou, je vois les deux hommes qui s’éloignent. La fosse est entièrement rebouchée. Je ne sais pas vraiment comment j’ai réussi à m’en extirper. Je cours derrière mes deux meurtriers pour leur demander des explications. Ce n’est pas très intelligent, je suis seul, je ne sais pas me battre. Il y a de fortes probabilités que je risque de retourner d’où je viens de me sortir.

    Ils marchent tranquillement. À trois pas d’eux, j’ai juste le temps d’entendre :

    « On devrait jamais voir partir ses enfants.

    — Ouais. Un A.V.C. à vingt-cinq ans, c’est moche quand même ! »

  • 018 – Le temps

    Phrase donnée par Ambrose

    Le temps n’est plus ce qu’il était.

    C’est ce que je me dis chaque matin quand je me regarde dans le miroir pour me raser. Ou bien c’est moi qui vieillis. Je ne sais pas trop.

    Et maintenant, me voilà dans cette satanée salle d’interrogatoire. À perdre mon temps. Oh, je sais bien pourquoi je suis là. Ils n’ont pas eu besoin de me le dire quand ils m’ont ramassé sur les quais de Seine. Même si je me demande comment ils ont su. Je revenais d’un boulot pour un gros client. J’allais planquer à l’endroit habituel mon butin en attendant de réunir la commande complète. Heureusement, ils m’ont chopé juste avant que je ne me serve de la cachette. Ce n’est pas la seule planque que j’ai dans la ville mais c’est toujours ennuyeux d’en perdre une. Il est très difficile de trouver un abri qui résiste au temps.

    Je regarde encore une fois les murs. Il n’y a pas d’horloge. C’est à devenir fou d’être là, enfermé à imaginer les secondes s’égrainer comme le sable d’un sablier. Au moins à l’époque de cet objet, ils ne s’embêtaient pas à faire des « pressions psychologiques » en faisant poireauter un suspect pendant des heures en garde à vue. À l’époque, ils le torturaient direct, au moins on perdait pas de temps. Mais là. Là ! Je n’y tiens plus. J’ai envie de hurler. Mais je sais que c’est ce qu’ils veulent. Me voir craquer. Ils attendent que je sois à point.

    Suis-je bête. C’est ce que je devrais faire. Faire semblant de péter un câble pour qu’ils viennent enfin me parler, m’inculper, ou essayer, et me laisser partir.

    Enfin, deux agents arrivent. Ils sont en civil. Le genre décontracté. Je déteste ces gens-là. Ils sont tellement vulgaires dans leurs postures pseudo-cools. Au moins après la révolution française, les policiers étaient sérieux et prenaient leur rôle très au sérieux. Ils ne la jouaient pas les héros de série américaine.

    « Bien, bien, bien ! commence le premier en posant sur la table le bracelet franc en bronze sculpté incrusté de pierres précieuses qu’ils m’ont pris en m’arrêtant.

    — D’après nos experts, reprend-t-il, ce bijou est authentique. D’époque. Entre le IV° et le VI° siècle. On attend les analyses complémentaires au carbone 14 pour être sûr. Seulement, il n’a jamais été répertorié par aucun archéologue et ne porte aucun signe de détérioration dû à un enterrement prolongé.

    — C’est normal, il n’a jamais séjourné dans le sol, réponds-je.

    — Seulement voilà, continue le second flic, il y a un bon ami à moi qui travaille au service d’histoire du Louvre. Service du folklore régional. Et il y a peu de temps, il m’a raconté une histoire étrange d’un bracelet que Clovis aurait perdu une nuit. Une histoire racontée qui s’est transformée en légende dans un petit village de Picardie. Heureusement, il y a des écrits qui ont apporté cette histoire étrange jusqu’à nous. Clovis avait un bracelet qu’il aimait beaucoup et qu’il portait toujours. C’était une sorte de porte-bonheur. Il s’en servait surtout lors des combats. Et puis, une nuit, il a vu une personne s’introduire dans sa tente, lui prendre le bracelet et s’enfuir. Quand Clovis est sorti de sa tente, immédiatement après son voleur, celui-ci avait disparu dans la nuit. Aucune trace de lui dans le camp. Personne ne l’avait vu. Et personne n’a jamais retrouvé ce bracelet.

    — Vous essayez de me faire croire que c’est ce bracelet là, celui que j’avais sur moi ? Soyons sérieux deux minutes. Vous me dites que vous m’arrêtez sur base d’une légende d’un patelin paumé ?

    — Le truc c’est qu’il y a tout au long de l’Histoire, des légendes similaires à des lieux et de époques très différentes…

    — Sérieusement, reprends-je sans me démonter et comme si je n’avais pas entendu cette dernière phrase, c’est quoi le chef d’inculpation ? Si c’est vol, y a prescription depuis, non ? »

    Les deux flics se regardent. Le premier soupire et se lève. Il me fait signe de l’imiter.

    Après qu’il m’a libéré de mes menottes, il me raccompagne jusqu’à l’entrée du commissariat.

    « Faites attention à vous ! me préviens le second agent. Nous vous avons à l’œil. Vous ferez un faux pas un jour ou l’autre. Nous avons le temps.

    — Le temps n’est plus ce qu’il était, vous savez ! » dis-je en souriant. Avant de quitter les lieux, je demande à récupérer mon bien. Il a de la valeur et je n’ai aucune raison de leur laisser.

    Une fois loin du poste de police et de ces deux agents un peu trop pressants à mon goût, je m’arrête un instant. La rue est vide. Je range le bracelet bien à l’abri de l’air et des interférences quantiques. Je regarde ma montre. Finalement, j’ai encore le temps de revenir un peu en arrière me prévenir de cette arrestation, histoire que je sache qu’ils sont à mes basques, et d’aller récupérer les ferrets d’Anne d’Autriche avant mon rendez-vous avec le client. Je souris Après tout, j’ai toujours le temps.

  • 016 – L’ascension

    Phrase donnée par Ambrose

    De là-haut on aurait pu croire que les gens n’existaient pas.

    Il était facile de comprendre pourquoi Dieu, encore plus haut, avait oublié ceux qu’il avait créés.

    L’ascension avait été difficile et très périlleuse. Il avait fallu des jours pour arriver là.

    Mais le spectacle valait le coup.

    La mer de nuages en-dessous de nous faisait comme un parterre cotonneux. J’avais envie de m’y jeter pour tester son moelleux. Heureusement, malgré l’altitude, mon cerveau recevait encore assez d’oxygène pour me rappeler l’épreuve que ça avait été pour la traverser. Et je me souvenais parfaitement que nous avions perdu encore deux de nos compagnons de cordée. Je ne serais pas le prochain.

    « Tiens ! Bois vite tant que c’est encore chaud !

    Je remerciais Thyra pour la tasse de café fumant qu’elle venait d’apporter. Je le regardai avec insistance.

    — T’inquiète pas ! J’ai pas mis de poison dedans ! » me lança-t-elle avant que je ne porte la tasse à mes lèvres.

    Nous n’étions plus que trois dans cette ascension. Plus que trois sur les vingt au départ. Plusieurs fois, je m’étais demandé pourquoi j’avais voulu être là et qu’est-ce qui me manquait sur cette terre pour vouloir m’en éloigner le plus possible. Pourquoi diable avais-je voulu gravir cette tour abandonnée depuis toujours. La curiosité de découvrir ce qu’il y avait à son sommet ou juste le plaisir de la vue ? De toute façon, maintenant, j’y étais, plus moyen de revenir en arrière. Tous les autres y étaient restés au fur et à mesure. Une véritable hécatombe.

    Nous étions encore cinq quand l’un de nous avait émis l’étrange idée que pour pouvoir continuer dans la tour, il fallait qu’environ à chaque kilomètre, l’un des membres de la cordée meure. C’était complétement farfelu comme idée. Même s’il était vrai que nous avions perdu des membres de façon assez régulière, peut-être trop régulière. Et puis, nous étions vingt au départ pour l’ascension d’une tour qui aux dires des anciens en mesurait vingt kilomètres. La théorie se tenait mais c’était trop bizarre comme idée.

    Nous avions traversé la mer de nuages et nous avions perdu deux personnes, dont le malheureux prophète…

    Mon café fini, je me relevai et manquai de tomber de la tour. Le manque d’oxygène. La fatigue. Après tous ces efforts, rester immobile quelques instants semblait m’affecter fortement. Il ne fallait que nous bougions.

    Il n’était pas très tard et nous pourrions encore gravir un bon kilomètre avant de nous poser pour la nuit. Je rejoignis Thyra qui se trouvait non loin. Elle aussi était assise sur le bord de la tour. À ce niveau, elle n’était plus très large, pas plus de trente mètres de diamètres. L’ascension continuait par un petit escalier en colimaçon à moitié délabré par les vents violents et ne présentant que peu de protection pour ceux qui le gravissaient. Là, un faux pas ou une bourrasque un peu trop forte et c’était la chute assurée dans la mer de nuages.

    Je tendis la main à ma compagne de cordée pour l’aider à se relever et éviter qu’elle ne tombe comme j’avais failli le faire. Une demi-seconde l’histoire de notre compagnon me traversa l’esprit en même temps que l’idée de pousser la jeune fille. Si effectivement il ne pouvait y en avoir qu’un qui arrive au sommet, je devais peut-être faire quelque chose pour que ce soit moi.

    Je me repris rapidement. Je ne croyais pas à ces balivernes. Tous les autres y étaient restés parce qu’ils n’avaient pas le niveau physique suffisant ou un mental assez fort pour résister. Nous arriverions ensemble.

    « Où se trouve Mirk ? demandai-je comme je ne le voyais plus.

    — Il est parti devant pour voir.

    Thyra frissonna. Elle se blottit contre moi. Je sentis la chaleur de son corps. C’était agréable.

    — Nous avons tiré à la courte-paille, reprit-elle.

    Je la repoussai délicatement et la dévisageait. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire.

    — C’est moi qui ai perdu, avait-elle continué.

    — Perdu pour quoi ? C’était quoi l’enjeu ?

    — Savoir qui… »

    Thira se cacha le visage comme elle commençait à pleurer. J’essayai de la prendre dans mes bras pour la consoler sans vraiment comprendre de quoi et dans un mouvement violent, elle me repoussa. Je partis en arrière, mon pied s’enfonça dans le vide.

    Je ne vis qu’un de ses yeux quand elle releva la tête mais je fus sûr qu’il n’y avait pas de larme.