Tag: Masque de Mort

  • 110 – Enceinte

    Phrase donnée par Masque de Mort

    « Chérie, je ne t’avais jamais dit que je ne peux pas avoir d’enfant ? » John Bell, assis au volant de sa superbe Jaguar, attendait pour démarrer.

    Sue-Helen et lui sortaient de chez le docteur qui venait de leur annoncer un heureux événement. John n’avait plus dit un mot après cette annonce. Il réfléchissait. Ça faisait un bout de temps qu’il soupçonnait Sue-Helen de le tromper mais il n’avait aucune preuve. C’était une femme intelligente qui savait brouiller les pistes.

    Elle changea malgré tout de physionomie quand son mari lâcha la nouvelle. Celui-ci voulut y voir la preuve de sa culpabilité.

    Un long silence s’installa dans l’habitacle du véhicule. Sue-Helen fixait son mari impassible. John regardait au loin, dans le vague. Au bout d’un temps qui leur parut très long à tous les deux, il démarra le moteur et partit en trombe.

    Finalement, Sue-Helen n’y tint plus :

    « Tu es sûr de toi, John ? Ça n’est pas possible. Le docteur est formel, je suis enceinte. De qui veux-tu que cet enfant soit ?

    — Je ne sais pas. Il y a plusieurs possibilités. Le jardinier, ton prof de sport, le voisin peut-être…

    Sue-Helen éclata de rire.

    — Tu me vois vraiment coucher avec Ervin ? Il est gros et chauve, et en plus, il est complétement idiot et prétentieux. Je t’en prie…

    — Donc tu ne démens pas avec les deux autres ! John s’enfonçait dans une colère sourde et sa voix devenait de plus en plus grave, presque couverte par le son du moteur. Il fonçait sur la route de la falaise, prenant les virages à la corde, essayant de se concentrer plus sur les lacets que sur ces nouvelles.

    — Mais tu racontes n’importe quoi !! Je ne t’ai jamais trompé. Je t’aime, John !!

    — Alors comment expliques-tu que tu arrives à tomber enceinte ?

    — Je n’en sais rien ! Et puis, qu’est-ce qui me prouve que tu es vraiment stérile ? C’est moi qui devrait me poser des questions sur ton amour si tu ne m’as jamais avoué ça jusqu’à maintenant ! Et rien ne me dit que tu ne vas pas voir ailleurs en profitant de ça pour être sûr de ne pas engrosser ta secrétaire ou cette salope de Shannon !

    — Je t’interdis de parler de Shannon comme ça ! C’est une femme formidable !

    — Tu vois ! Tu la défends ! Salaud !

    Explosant en sanglots, Sue-Helen frappa John à l’épaule avec sa pochette. Il tourna la tête un instant pour jeter à sa femme un regard à tuer quelqu’un sur place. Quand il regarda à nouveau la route, le camion était trop près, ils allaient trop vite. John mit un coup de volant pour essayer de l’éviter. Le camion aussi. L’aile de la Jaguar frotta la roue du camion avant de déchirer la rambarde de sécurité. La voiture dégringola et fut rapidement happée par l’océan après quelques tonneaux sur la roche.

    Les sonneries s’égrainèrent jusqu’à basculer l’appel sur la messagerie.

    « Madame Bell, rebonjour, ici le Docteur Schwartz. Je suis désolé mais ma secrétaire est malade et sa remplaçante a fait une inversion dans les résultats des prises de sang. Je… euh… Voilà. Je suis désolé de vous l’annoncer par téléphone mais vous n’êtes pas enceinte. À part cela, vos résultats sont normaux et vous êtes en très bonne santé. » s’empressa-t-il d’ajouter.

  • 108 – Au milieu de la nuit

    Phrase donnée par Masque de Mort

    « Il m’a demandé de passer pour lui donner un coup de main, je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il allait me demander de faire. Tu te rends comptes ? J’ai passé dix ans à faire médecine et à me spécialiser pour qu’il m’appelle et me demande de… »

    Jane ne put terminer sa phrase, les larmes au bord des yeux, tremblante de rage, essayant de déposer les cendres de sa cigarette dans le cendrier devant elle. Ses spasmes nerveux la firent en mettre partout. Elle s’excusa auprès de son amie avant de tirer une nouvelle grosse bouffée de produit cancérigène.

    Olivia attendit que son amie se calme en sirotant son café. Jusque là, elle ne comprenait pas pourquoi Jane était dans cet état.

    Benoît, le fiancé de la jeune femme, médecin de garde en plein campagne, avait été appelé pour une urgence au beau milieu de la nuit. Prenant la voiture à moitié endormi, il avait réussi à aller chez le couple de jeune gens en détresse. La femme était enceinte de huit mois et avait de fortes douleurs. Le mari ne savait s’il devait aller à l’hôpital, qui était à quarante kilomètres de là. Jane s’était rendormie, rien de vraiment grave à ces yeux. Ça ne sortait pas beaucoup de l’ordinaire des nuits de son chéri.

    Finalement, toujours au beau milieu de la nuit, le téléphone avait encore une fois sonné. Jane avait décroché, s’attendant à tomber sur un des patients de Benoît mais fut très surprise d’entendre sa voix à lui.

    « Ma chérie ! Sa voix était emplie d’un stress qu’elle ne lui connaissait pas. Ça la réveilla sur-le-champ. Je suis dans la merde, il faut que tu viennes me filer un coup de main. Dépêche-toi, s’il te plaît. »

    Il avait continué en lui expliquant comment le rejoindre. Jane avait enfilé les premiers habits qu’elle avait trouvés et pris sa trousse médicale, avant de sauter dans sa voiture et de partir en trombe sur les petites routes de campagne. Elle se demandait ce qu’il devait bien se passer pour que son fiancé, pourtant si calme, posé, tout en self-control, l’appelle de la sorte. Elle espérait qu’elle arriverait à temps pour permettre à la maman et au bébé de finir la nuit et bien plus. Jane savait que Ben était un bon médecin et que s’il demandait de l’aide, c’était vraiment grave.

    Après une bonne demi-heure de route dans la nuit, la forêt et les nappes de brouillards, Jane arriva là où son fiancé avait dit. Mais c’était au milieu de nulle part, dans la forêt. La voiture de Benoît, une vieille Volvo, était sur le bas côté, les warnings déchirant la nuit par à-coups. Jane se gara derrière. Elle ne voyait pas son homme. Elle descendit rapidement. Dans la lumière des phrases, à travers le brouillard mouvant, elle eut l’impression de voir une flaque de liquide sombre sur la route. Était-ce du sang d’un animal sauvage ou d’une personne qu’il avait percuté ? Ou le sien peut-être ? Le temps qu’elle fasse les quelques pas qui la menèrent à l’avant de la Volvo, son esprit s’emballa et lui firent imaginer les pires choses. Elle ne fut qu’à moitié rassurée en n’y trouvant aucun cadavre. Où était donc Benoît ? Jane se hasarda à crier son nom dans l’obscurité. Elle faillit faire un infarctus et ne put retenir un cri strident en voyant une silhouette surgir de derrière l’aile qui donnait sur le bas-côté, le visage recouvert lui aussi de saleté, une clé démonte pneus à la main. Benoît tenta de la rassurer immédiatement mais il fallut presque une minute à Jane pour se calmer.

    « Et là, moi je m’attendais à lui donner un coup de main pour l’accouchement, ou un autre patient, je sais pas ! Non ! Lui, tranquillement avec ce sourire un peu con qu’il a des fois, il m’annonce que l’accouchement s’est très bien passé, que c’est un garçon, trois kilos huit, cinquante deux centimètres, limite s’il m’annonce pas les constantes de la mère…  Il a fallu que je lui demande qu’est-ce qu’il foutait là, comme s’il avait déjà oublié qu’il était presque quatre heure du mat’. Là, il me dit qu’en rentrant, il a percuté un sanglier, ce qui explique le sang, et qu’il a crevé à cause de ça.

    — La nuit pas de bol ! appuya Olivia.

    — Et là, il me demande, tiens-toi bien, il m’a fait me lever au milieu de la nuit pour ça quand même… Il m’a demandé de lui changer sa roue, parce qu’il sait pas le faire.

    — Oh ! Le con ! Olivia ne put s’empêcher de rire. Moi, j’aurais fait demi-tour et laissé se démerder tout seul pour lui faire comprendre la leçon. Et alors, t’as fait quoi ? Tu lui as changé, sa roue ?

    — Non… Moi non plus je sais pas le faire… »

  • 106 – Une journée normale

    Phrase donnée par Masque de Mort

    En y repensant bien, toute la journée avait été normale.
    Jim s’était levé aux aurores, enfin très tôt. Dans l’espace, cette expression n’avait plus vraiment de sens, à la vitesse à laquelle il tournait autour de la Terre, l’aurore était un moment qu’il voyait plusieurs fois par jour.
    Après un petit déjeuner protéiné fait de produits lyophilisés et de pâte de plats qui n’avaient jamais dû exister sur Terre, Jim avait enfilé sa combinaison pour aller prendre son poste. Réserviste au poste de tir 152, il allait tous les mardis monter la garde. C’était un poste important parce qu’il nécessitait une vigilance de tous les instants et une capacité à tirer avec précision avec ces canons à ions de première génération. Un vaste programme de remise à niveau des armes de protections de la station orbitale était en cours depuis trois ans mais le nombre de canons à changer couplé aux graves problèmes financiers en bas laissait Jim à penser qu’il serait déjà en retraite que le poste 152 n’aurait toujours pas les nouveaux canons (Laser ou autres, suivant l’avancée des technologies).
    Jim s’installant dans le siège encore chaud, Robert lui fit un rapide compte rendu de la nuit, calme. Rien d’inhabituel, avait-il dit. Jim connecta ses iEars sur le canal 32, la radio réservée aux militaires. Un message d’accueil lui souhaita la bienvenue.
    « Ici Tour de contrôle, bonjour.
    — Jim Morrison, en poste au 152. Activation de la tourelle.
    — Activation confirmée. Nous vous souhaitons une belle journée, Jim. »
    Il n’avait jamais su si cette voix appartenait à une vraie personne ou n’était qu’une synthèse vocale de plus. Jim appréciait sa vie mais il lui manquait de voir du monde. Des gens. Il n’avait d’interaction réelle qu’avec Robert qu’il relevait, Mitchell qui le relevait et David, son collègue de travail.
    Jim, en dehors de sa journée réserviste hebdomadaire, était laveur de carreaux. Cinq jours sur les six restants, il sortait dans l’espace et nettoyait les immenses baies de la station. Évidemment, ils n’étaient pas que deux à faire ce job mais il ne voyait jamais les autres, chaque équipe ayant un secteur bien défini. Sa journée de temps libre, il n’avait pas suffisamment de crédits pour pouvoir aller s’amuser dans les différents dancing et bars de la station. C’était d’ailleurs pour ça qu’il s’était engagé dans la réserve à l’origine. Jim voulait juste arrondir ses fins de mois et voir du monde. Au fin fond du poste 152, on pouvait dire qu’il avait raté son coup sur tous les points. Il n’était payé qu’au nombre de cibles abattues. Et comme son canon n’était pas des plus précis et son poste pas très bien placé, il ne gagnait pas autant que ceux faces à la Lune. Au moins, Jim avait une vue sur la Terre dans l’angle gauche. Il se consolait en se disant qu’un jour, il irait vivre là-bas. Sur le sol. Depuis deux ans, il avait décidé d’économiser le fruit de ses primes pour pouvoir se payer le visa et le voyage.

    14h37, la voix-off de la radio annonça une vague de vaisseaux ennemis en approche. Les habitants de la Lune essayaient souvent de passer à travers le maillage de stations orbitales pour atteindre l’atmosphère de la planète. Il y en avait bien quelques vaisseaux qui y parvenaient mais la plupart était détruite par Jim et ses camarades. Les quelques qui passaient devaient être détruits par la D.C.A. terrestre. Certains disaient que les Luniens étaient des extra-terrestres qui avaient installé un poste avancé sur le satellite terrien pour essayer de conquérir la planète bleue. D’autres racontaient que c’étaient des colonies terriennes qui avaient fait dissidence et tentaient de renverser le gouvernement terrien par des attaques répétées. Jim n’avait aucune idée de quelle histoire était la vraie et il s’en fichait. Tout ce qu’il voyait, c’était la prime qu’il touchait chaque fois qu’il abattait un vaisseau. Chaque prime qui le rapprochait un peu plus de la Terre.
    Les combats furent âpres, comme chaque fois. Les canons à ions chauffèrent. Dans ses oreilles, Jim entendait les ordres, l’avancée de l’offensive et surtout le décompte officiel de ses cibles. Il espérait chaque fois pouvoir dépasser son record de onze — une fois où la rangée de poste de tir du front avait subi une avarie.

    17h28, la fin de l’attaque fut officiellement prononcée. Le score de Jim se montait à sept vaisseaux abattus. « Félicitations ! » avait rajouté la voix-off.
    La dernière demi-heure du tour de Jim passa très lentement. C’était toujours comme ça après une attaque. Le temps s’écoulait différemment.

    Une fois Mitchell en place, Jim rentra chez lui, exténué mais content de pouvoir compter sur ces nouvelles primes.
    Allongé sur son lit, suçant une ration de lapin à la moutarde qui n’avait jamais dû voir ni de lapin ni de moutarde, Jim regardait à la télé le reportage sur l’attaque, jalousant les postes les mieux placés et leurs primes.
    Se préparant à dormir, Jim repensa à cette journée. Ça avait été une journée tout à fait normale.

  • 102 – Les autres

    Phrase donnée par Masque de Mort

    Les zombies. Les zombies c’était dur au début, mais quand les autres sont arrivés, on a compris que ce n’était que de la rigolade.
    Certes, ça n’a pas été simple de survivre avec ces bouffeurs de chairs qui risquaient à tout moment de nous faire notre affaire. Je crois que j’ai passé presque un mois à ne pas dormir. À la fin, j’avais l’impression de ne plus vraiment être réveillé. Comme si je ne contrôlais plus rien. Un peu comme quand on a trop bu et qu’on fait les choses sans réfléchir, qu’on est au poste de pilotage mais qu’on est plus que spectateur de nos conneries.
    Et puis, on était tous sur les nerfs. On devenait comme ces bestioles, au final, prêts à nous entre-tuer pour un oui, pour un non. À part que nous, c’était pas pour bouffer, juste pour assouvir des coups de sangs dus au stress et au manque de sommeil. C’est à cause de ça qu’on a perdu Joan et Mitchell. Après que les têtes se soient échauffées, les mots ont fusé, ça a failli en venir aux mains et finalement, ils ont décidé de partir plutôt que de rester avec des « malades » comme nous. Je pense malheureusement pas qu’ils aient fait long feu, là dehors.
    Après, ça a été le tour de Peter. Il nous a toujours affirmé qu’il ne savait pas comment il s’était fait blesser au bras par ces saloperies mais ce con mentait. Moi, je sais bien qu’il descendait de temps en temps au garage, où c’était juste un grillage qui nous protégeait de ces monstres. Là, il les excitait en les narguant. Tu parles, c’est pas difficile. Il devait pas rester beaucoup de chair fraîche aux alentours. Et cet idiot devait s’approcher trop près pour leur tirer à bout portant à travers le grillage. C’est là qu’il a dû être contaminé. Heureusement qu’on s’en est rendu compte rapidement, il  aurait pu tous nous bouffer sans qu’on le voit venir. Finalement, il s’est tiré une balle dans la tête avant qu’il ne meure de lui-même. Dans le doute qu’il se réveille quand même, on lui a ouvert le bide et truffé de grenades, avant de le jeter aux zombies. On a réussi à en éliminer quelques uns. Ces cons se jettent sur tout ce qui a l’air plus frais qu’eux. Et ça devenait rare à ce moment.
    Finalement, alors qu’on commençait à manquer de nourritures et surtout d’eau potable, les choses ont vraiment mal tourné. D’abord, ça avait eu l’air de s’améliorer dehors. Il y avait moins de zombies, ils avaient l’air de mourir pour de bon au bout d’un moment. Mais les autres sont arrivés, plus rapides, plus agiles. Je savais pas ce que c’était à ce moment. Ils on réussi à monter aux murs du bâtiment comme moi je monte un escalier, peut-être même plus facilement. On s’en est sortis de justesse. Heureusement qu’on avait préparé le camion, au cas où. Le fait qu’il y ait moins de ces saloperies dehors nous aura permis de nous échapper sans trop de problème. Le sacrifice du padré aussi…
    Nous n’avions presque plus de vivre. Il fallait qu’on retourne vers une grande ville pour trouver un supermarché et y faire le plein. Au bout d’une demi-journée de route, nous les avons vus au-dessus de notre destination. D’abord j’ai cru que j’hallucinais mais non. Michaela et Andrew aussi les voyaient. Ces soucoupes volantes. Les mêmes que dans les théories les plus farfelues qui disaient que les gouvernements étaient au courant d’une présence extra-terrestre. Je ne sais pas ce que ces cons de politiciens ont branlé pour les foutres en rogne mais ces saloperies de zombies ont l’air d’être de leur fait. Une putain d’attaque bactériologique au niveau mondial. Ça a pas dû être compliqué. Et vu la vitesse à laquelle ça se propage, ils auront la planète pour eux tous seuls dans un mois, peut-être deux.
    Évidemment, arrivés en ville, nous avons été « arrêtés » par des escouades de ces petits hommes verts. Il était plus difficile de leur échapper qu’à leur armée de monstres.
    À présent, je suis dans cette cellule, à trois cents mètres du sol, dans ce vaisseau étrange. Les murs semblent bouger, j’ai l’impression qu’ils sont en matière vivante. J’ose pas trop y toucher. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait de mes deux camarades de misère. Et je ne sais pas ce qu’ils vont faire de moi.
    Les zombies c’était dur mais, au moins, nous arrivions à les combattre.

  • 099 – Madame Wolkberg

    Phrase donnée par Masque de Mort

    « Allo, Madame Wolkberg, ici l’Ambassade de Hongrie. Sauriez-vous actuellement comment nous pourrions entrer en contact avec votre mari ? »

    La voix à l’autre bout du fil avait un léger accent. Hongrois peut-être mais elle ne pouvait pas l’affirmer. Pourquoi diable des gens de ce pays si éloigné voulaient contacter Nestor ? Inquiète, la dame, dans la cinquantaine bien avancée, demanda la raison de cette question.

    — Nous avons reçu une demande de visa pour votre mari mais il nous manque une pièce au dossier, Madame.

    — Je suis désolé, il n’est pas joignable pour le moment. Il est parti à la campagne il y a trois jours pour pêcher. Il n’a pas pris de téléphone avec lui et ne rentrera que dans quatre jours, normalement. Je peux lui dire de vous rappeler dès qu’il rentre.

    — Vous ne savez pas où il est parti pêcher par hasard, Madame ?

    Cette question parut beaucoup plus suspecte à madame Wolkberg. Si tout ça n’était qu’une question de paperasse, il n’était pas logique du tout qu’ils essaient de savoir sa position exacte.

    — Non, je suis désolée, mais il ne m’a pas dit exactement où il allait.

    — Très bien, Madame. Dans ce cas, nous rappellerons dans cinq jours. » La voix au téléphone remercia l’épouse dévouée avant de raccrocher.

    Madame Wolkberg resta un instant le téléphone ne main. Cette histoire n’était pas claire et elle commençait à se méfier. Après une minute de réflexion, elle se dirigea directement dans la buanderie, empoigna le bac à linge sale et démonta le fond. Elle en tira un téléphone mobile chiffré démonté. Son mari lui avait dit qu’en cas de problème ou de situation très étrange, elle devrait l’appeler avec cet appareil. Insérant la puce puis la batterie, Madame Wolkberg dut attendre que la machine ne s’initialise. Elle se sentait stressée sans vraiment savoir pourquoi.

    Soudain, elle entendit un fracas de verre et de bois. Elle comprit immédiatement que ses fenêtre et sa porte venait se voler en éclats. Que se passait-il. Était-ce une grenade qui avait fait ça ou une flopée de gars d’un groupe d’intervention venus s’occuper d’elle ? Cette journée commençait vraiment trop bizarrement pour elle.

    Et ce satanée téléphone qui mettait trois plombes à se connecter aux satellites. La quinquagénaire se plaqua au sol. Son mari lui avait dit qu’une arme se trouvait en dessous de l’armoire. Elle mit quelques instants à la trouver. Le chargeur était à côté, garni. Elle entendait des pas furtif marcher sur les débris de verre et sûrement aussi de bibelots. Armant le pistolet, elle resta allongée visant la porte, prête à tirer sur qui que ce soit qui passerait devant.

    Le téléphone afficha enfin s’être relié à un réseau. Madame Wolkberg appela le seul numéro préenregistré. Il avait plutôt intérêt à décrocher. Après tout si elle se trouvait dans cette position ridicule au fond de sa buanderie, c’était sa faute. Elle ne savait pas ce qu’il faisait exactement comme travail mais elle avait compris depuis très longtemps qu’il n’était pas contrôleur des impôts comme il lui avait dit à leur rencontre, mais elle savait qu’il baignait parfois dans des histoires étranges. Quelques fois déjà, elle avait eu des coups de téléphones sans queue ni tête, ressemblant plus à des messages codés, venant de différents consulat, département des télécoms ou de soi-disant démarcheurs tentant de vendre des encyclopédies sur l’histoire des armes à feu dans la Russie soviétique. Et la fois où il l’avait emmenée s’entraîner au tir aussi, alors qu’elle n’avait jamais tenu une arme de sa vie et qu’elle n’en avait jamais émis le désir. Mais ce qui l’avait confortée dans l’idée que son mari avait un métier très spécial fut la fois où il lui indiqua la position de ce pistolet et de ce téléphone chiffrée. Tout ça ne pouvait être anodin.

    À présent, elle était là, à attendre de se faire tirer dessus par elle ne savait qui, même pas sûre que ce soit un Hongrois ou autre chose, alors que son mari était perdu dans la campagne, bien tranquille en train de pêcher.

    Et il fallait combien de temps pour établir une communication avec cette antiquité ? Elle commençait à perdre patience. Enfin, la sonnerie retentit dans l’écouteur. Presque aussitôt, une sonnerie résonna dans la maison. Se pouvait-il que son mari ait laissé son téléphone d’urgence ici la seule fois que son épouse en eut besoin ? Madame Wolkberg soupira, lasse et résignée sur son sort. Elle sursauta, appuyant presque sur la détente de son arme par inadvertance, en entendant un coup de feu fort, une grosse arme, plutôt un fusil à pompe, de ce qu’elle en reconnaissait par rapport aux sons dans les films. Cette détonation fut suivie par le bruit d’un poids lourd qui s’écrase au sol.

    Second, troisième, quatrième coup de feu.  Chaque fois suivi d’un fracas ou d’un corps qui tombe au sol.

    Toujours aussi tendue sur son arme, madame Wolkberg s’attendait à voir passer quelqu’un devant sa porte d’un moment à l’autre. Ça ne tarda pas. Une silhouette passa devant l’embrasure mais fit immédiatement marche arrière en voyant la dame armée. Le réflexe fut bon puisque le coup de feu partit rapidement et la manqua de peut.

    « Chérie ! Tu as déjà manqué de me faire tuer avec ton appel, tu vas pas me tirer dessus pour faire leur boulot, non ?

    Son mari était là. Il allait devoir lui expliquer beaucoup de choses, s’il ne voulait pas dormir sur le canapé les prochains jours.

    — Allez viens, il faut pas qu’on reste là ! annonça-t-il avant de tirer une nouvelle fois sur un assaillant. C’est bon, je crois que c’était le dernier !

    — Tu as intérêt à m’expliquer le lien entre les Hongrois et tout ce bazar ! annonça madame Wolkberg en voyant son salon complétement dévasté.

    — Pas de problème. Mais pour l’instant, tu as trois minutes pour prendre des affaires. Il faut qu’on se mette en sécurité. »

  • 093 – L’anecdote

    Phrase donnée par Masque de Mort

    « Je m’apprête à vous raconter l’anecdote la moins intéressante du monde. »

    Patrick avait annoncé ça pendant un de ces longs silences gênants de la pause café. Malgré l’ennui annoncé de ce qu’il allait relater, personne n’eut la force de l’arrêter. Ça vaudrait toujours mieux que ce silence pesant.

    « Et bien voilà, commença-t-il, essayant malgré tout de mettre un peu d’effet dans la présentation de son anecdote. Quand j’avais douze ans, mon père m’a amené faire du camping. »

    Il fit une pause, pour boire une gorgée de son café. Ces collègues aimaient bien quand il racontait des anecdotes. Il savait les rendre vivantes, mettre les pauses où il fallait, faire monter la tension. . Ils savaient que Patrick tenait à faire monter la tension.

    Jean-Philippe imaginait déjà, malgré l’avertissement du narrateur, une histoire avec un meurtrier en série qui aurait poursuivi le jeune Patrick et son père à travers la forêt. Ils auraient découvert que la voiture avait été sabotée, dû fuir, se cacher, attendre le jour, tendre un piège au tueur et le ramener à la police après avoir réussi à le capturer. Accoudé à la table, le gobelet à quelques centimètres de la bouche, il retenait déjà sa respiration.

    Bernard, quant à lui, imaginait quelque chose de plus tranquille. Le père de Patrick l’aurait emmené dans un coin tranquille de la forêt voisine et ils auraient peut-être trouvé un trésor ou une vieille pièce de monnaie. Quelque chose de simple, loin des histoires abracadabrantesques habituelles.

    Yvette, qui n’aimait pas les histoires de Patrick, n’attendait rien d’autre qu’il finisse son histoire pour arrêter d’attirer l’attention sur lui, comme il le faisait toujours.

    Manu, le stagiaire, qui avait l’habitude avec ses amis d’aller en forêt chercher une sorte bien spéciale de champignons, imagina immédiatement le père et le fils faire la cueillette et tomber malade d’avoir une amanite pour un cèpe, ou quelque chose comme ça.

    Au bout de quelques secondes et après qu’il eut bu sa troisième ou quatrième gorgée de café, Patrick n’avait toujours pas continué son histoire. Jean-Philippe n’en pouvant plus, demanda avec envie :

    « Et alors ? Il s’est passé quoi ?

    Patrick le regarda avec un regard étonné. Il cligna des yeux plusieurs fois.

    — Bah ! Rien ! Mon père m’a amené faire du camping. C’est tout.

    Il y eut un soupir d’incompréhension dans la petite salle café.

    — Hé ! Je vous avez prévenu que c’était pas intéressant, quand même ! »

  • 076 – Le message instantané

    <Message de service> À partir de maintenant, je mettrai en italique la ou les phrases données. </Message de service>

    Phrase donnée par Masque de Mort

    Il répondit de manière fort évasive au message instantané.

    Il était tard et n’avait aucune envie d’entrer dans une de ces discussions interminables où chacun tenterait d’avoir raison et n’essaierait pas de comprendre ni même d’écouter l’autre.

    Mais elle revint à la charge, répétant sa question presque mot pour mot.

    Au lieu de répondre, il préféra ne rien dire et continuer ce qu’il faisait. C’était bien plus intéressant qu’une dispute.

    Mais elle ne lâchait pas l’affaire. Elle le harcelait, sachant très bien que le son des notifications qui entrecoupait la musique l’énerverait suffisamment pour le pousser à bout. Elle savait qu’il ne couperait pas le son, même si c’était la meilleure solution pour se débarrasser du problème finalement.

    Il craqua au bout de la cinquième fois que ce sample horripilant fut joué et alla voir ce qu’elle racontait.

    Il étouffa un juron en voyant qu’elle ne s’était même pas embêtée et avait copié/collé le même message.

    Un sixième, identique, arriva et fit sonner encore une fois cette horrible mélodie.

    Il se résigna à répondre. De toute façon, elle savait la vérité. Il était impossible de nier. Peut-être qu’avouer permettrait d’arranger les choses, ou au moins de la calmer. Soupirant lourdement, il tapa rapidement et envoya sa réponse sans relire, de peur de changer d’avis.

    « Oui, J’AI mangé le dernier yaourt !! »

  • 074 – Demain

    Phrase donnée par Masque de Mort

    Demain, nous arriverons à destination. Et ce sera le dernier jour de ma vie.

    Bien sûr, je n’y mourrai pas forcément demain, voire pas du tout avec de la chance mais j’ai vu tellement de gens revenir sans leur raison… ils n’étaient plus eux-mêmes… C’est peut-être pire que la mort. Vivre dans un monde où les gens qui nous aiment ne nous reconnaissent plus et où l’on n’arrive pas à leur faire comprendre ce qu’on a vécu là-bas, ce qu’on ressent… Je ne suis même pas sûr qu’on arrive à le comprendre soi-même.

    Rassemblé avec mes camarades, un ensemble disparate de vieux et de jeunes, de gens de la ville et de paysans, j’attends silencieusement que l’inéluctable arrive en écrivant frénétiquement sur mon carnet mes peurs et mes regrets.

    Surtout ceux concernant Catherine.

    Je revois son triste sourire quand je lui annonçai ma mobilisation. Je n’ai jamais osé lui avouer mes sentiments, même à ce moment-là. Je crois que je l’ai perdue pour toujours. Même si elle m’attendait, j’ai tellement peur qu’elle retrouve quelqu’un qui ne soit plus moi après, comme ma mère avaient retrouvé mon père totalement différent à la fin de la précédente guerre.

    Elle avait tenu le coup parce qu’elle se considérait comme chanceuse d’avoir retrouvé son mari, contrairement à la plupart des voisines, mais ça avait été loin d’être la panacée. Il était devenu très nerveux et violent.

     

    Voilà donc les choix qu’il me reste. Mourir ou devenir fou.

     

    Regardant par la porte grande ouverte du wagon de marchandise qui  nous transporte, je réfléchis encore un instant. Je me lève et tends mon carnet de notes à mon voisin. Il me regarde incrédule avant de prendre l’objet. Je me déleste de mon paquetage et de mon fusil. Je saute dans l’air frais de ce mois de septembre.

     

    Je préfère mourir en sauvant ma peau plutôt qu’en trouant celle de quelqu’un d’autre.

  • 072 – L’amitié

    Phrase donnée par Masque de Mort

    « C’était une soirée merveilleuse avec toi, mais je ne veux pas gâcher notre amitié »

    Fred avait annoncé ça avec un tel aplomb que Matt resta une seconde silencieux, se demandant ce que voulait vraiment dire son ami. Ils venaient de passer une excellente soirée et avaient rencontré deux jolies demoiselles. Après deux ou trois verres, ils avaient décidé d’aller tous se promener dans la fraîcheur estivale de la nuit. Les traits d’humour avaient fusé, les œillades, les rires un peu niais. Les parades amoureuses dignes de volatiles s’étaient jouées, plus ou moins consciemment, du côté des quatre jeunes gens. Et finalement, avant qu’aucune conclusion ne se fasse, les demoiselles avaient dû rentrer, laissant leurs numéros de téléphones à ces deux charmants garçons pour une prochaine entrevue.

    « Qu’est-ce que tu racontes ? s’inquiéta Matt au bout d’un trop long moment de silence de son ami. Celui-ci hésita une seconde.

    — Je dois t’avouer un truc.

    Matt déglutit, embarrassé.

    — … Je préfère la blonde, termina Fred au bout d’encore quelques secondes de suspens.

    — Putain tu m’as fait peur !! J’ai cru que…

    — Cru quoi ?

    — Non rien !…

    — Enfin, comme t’avait l’air de bien la kiffer, j’espère que ça t’embêtera pas.

    Matt sourit.

    — En fait, ça tombe bien : je préfère la brune ! mais comme t’avais l’air plus sur elle que sur sa copine…

    — C’était parce que toi t’avais l’air plus occupé par la blonde.

    Fred et Matt éclatèrent de rire de ce quiproquo qui leur avait fait perdre un peu de temps dans leur parade amoureuse. Chacun rassuré par la volonté de son ami, Matt conclut :

    — Allez, on va finir de gâcher notre amitié avec une dernière bière ! »

  • 070 – Kykathamoro

    Phrase donnée par Masque de mort

    « Les indigènes nous regardent, professeur. Je crois qu’ils ont compris »

    Au fond de la grotte sacrée de la tribu Kykathapoek, le professeur Lingenstein et son assistant étaient cernés. Les regards des indigènes mêlant colère et indignation s’appuyaient sur les deux étrangers. Leurs mains posées sur la relique du village, la statuette à l’effigie du dieu local Kykathamoro, mélange de grand singe, araignée et serpent, et le fait de les trouver là au milieu de la nuit levaient les derniers doutes qu’avait le chef de la tribu quant aux réelles intentions de ces deux hommes habillés de façon trop étrange. Ils n’avaient rien à faire ici et encore moins sans être accompagnés par le shaman.

    Le professeur Lingenstein se redressa et parla dans le dialecte de ces hommes :

    « Votre Dieu m’a envoyé chez vous pour le prendre et le ramener dans mon pays. Il veut que je répande sa volonté et sa parole.

    — Kykathamoro ne parle pas, répondit sèchement le shaman. Et personne n’a le droit de poser les mains dessus sans initiation. »

    Le professeur avait bien l’intention d’emporter avec lui cette statuette avec lui. Il avait passé des années à présenter des recherches sur cette divinité dont trop peu de traces prouvaient l’existence. À tel point que ces autres collègues commençaient à le railler de s’acharner sur ce mythe au lieu de passer à autre chose.

    Il emporterait cette statue avec ou sans leur consentement. Ça n’allait pas être une bande de primitifs qui l’en empêcheraient.

    « Je vous demande de me laisser passer avec votre relique. Je vous promets de la ramener d’ici quatre lunes.

    — Nous n’avons pas confiance en vous, professeur ! coupa sèchement le chef, puis à ses hommes : Attrapez-les ! »

    Le premier rang de chasseurs de la tribu fit un pas en avant vers les deux intrus. Ils n’étaient armés que de simple lance en bois. Très rudimentaire, elles étaient pourtant très efficaces pour le gibier. L’assistant du professeur dégaina son arme. Il n’avait que six cartouches contre une bonne trentaine d’autochtones mais ils savaient à quoi cette arme servait pour l’avoir vu utilisée pendant une chasse. Le premier rang eut un petit mouvement de recul mais poussé par le rang suivant, ils continuèrent à avancer vers le professeur, les mains toujours posées sur la statue, et l’assistant.

    Celui-ci fit feu, deux fois, trois fois, jusqu’à ce qu’il ne fasse plus qu’actionner le mécanisme de son revolver dans le vide. Les chasseurs Kykathapoek marchèrent sur le corps de leurs frères sans hésiter et s’emparèrent violement des deux profanateurs.

    Au petit matin, ils se trouvaient attachés à deux arbres, côte à côte, en plein milieu de la forêt. De la tribu, il ne restait plus que le chef et le shaman. Ce dernier avait allumé un feu et dansait autour en chantant très fort.

    « Nous laisserons Kykathamoro décider de votre sort. Si demain au levé du soleil, vous être toujours là, en vie, vous serez libre de quitter nos terres vivant ! » annonça le chef avant de partir.

    Le professeur et son assistant ne purent que regarder le shaman continuer son rituel. Au bout d’un instant, la terre trembla légèrement. Par à-coup. Comme une démarche. Des oiseaux s’envolèrent en grands nombres au-dessus des arbres.

    Le shaman se tourna vers les prisonniers et, avec un regard sadique, ne leur dit que ce dernier mot, qui signifie adieu mais que l’on dit seulement qu’aux incinérations des morts de la tribu. Il s’enfuit plus qu’il ne partit.

    Les tremblements se firent plus forts, les cimes des arbres un peu plus loin s’agitaient étrangement, comme si le vent s’était levé mais c’était d’une façon très localisée.

    Rapidement, écartant les arbres centenaires comme de simples joncs, une créature immense, plus grande que les plus hauts arbres arriva devant les deux prisonniers. Mélange étrange entre un grand singe, une araignée et serpent, le dieu Kykathamoro regarda les offrandes. Il poussa un cri qui sembla de colère et abattit sa main sur les petits êtres attachés aux arbres.

    On n’entendit plus jamais parler du professeur Lingenstein ni de son assistant.