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  • 053 – Désobéissance

    Phrase donnée par Ness Cinéma

    Me voilà, je piétine la trappe mais ne peux me résoudre à l’ouvrir. Je suis toujours incapable de résister à la tentation, mais je n’arrive jamais à sauter le pas. J’ai peur de la sanction. Et Dieu sait que ma grand-mère en connaît un rayon sur le sujet. Elle a dû être tortionnaire dans une autre vie. Ce n’est pas vraiment étonnant que je n’arrive pas à me décider à ouvrir cette trappe. Pourtant j’ai envie de voir ce qu’elle renferme.

    Mais je sais que ma grand-mère m’a interdit d’y toucher exprès pour que j’aille voir. Elle sait que je suis curieuse comme tout et que dès qu’elle m’interdit d’aller quelque part, surtout sans préciser pourquoi, je n’attends pas longtemps pour transgresser les ordres. Et en général, c’est là qu’elle m’attrape la main dans le sac et qu’elle me punit bien comme il faut. C’est une spécialiste.

    Évidemment, je suis passé par les classiques, les tirages d’oreilles, les fessées, les passages au coin, mais rapidement elle est passée au niveau supérieur. Me faire mettre à genoux sur une règle en métal, pas la plate, la carrée. Votre poids n’appuie que sur la petite surface d’un centimètre de large et rapidement vous ne sentez plus que la chair à cet endroit qui donne l’impression de brûler et de se déchirer, même longtemps après la fin du supplice. Il y a eu aussi prendre le bain à l’eau glacée, manger dans la niche du chien ou dormir avec les cochons.

    Elle n’est pas vraiment violente, enfin pas directement. Non. Elle préfère la violence psychologique, la douleur de l’humiliation.

    Je ne sais pas pourquoi mes parents me font encore aller chez elle. Ils savent qu’elle n’est pas ce qu’on peut appeler une grand-mère modèle mais on dirait que leurs scrupules face à cette tourmenteuse disparaissent rapidement face au bonheur de m’abandonner le temps des vacances. Peut-être que c’est pour ça que je continue à transgresser les règles de cette vieille femme aux apparences avenantes mais au tempérament acariâtre, pour qu’un jour ça aille trop loin et qu’ils se sentent coupables de ce qu’elle m’a fait subir depuis toute petite.

    Et devant cette trappe, qui renferme je-ne-sais-quoi, je piétine, déchirée entre deux sentiments contradictoires. Je sais que la vieille est partie à la ville, qu’elle en a pour deux bonnes heures et que j’ai le temps de voir ce qui se cache dans ce sous-sol mais j’ai peur qu’elle ne l’apprenne. Plus jeune, je me demandais comment elle faisait pour savoir que j’avais dépassé les limites fixées. Plusieurs fois, je me suis demandé si elle n’était pas une sorcière. Si c’était le cas, elle saurait que j’ai ouvert cette trappe même si elle n’était pas là.

    Je regarde la plaque de métal et sa poignée rouillée. Si jamais, cette fois, ma grand-mère apprend ce que je m’apprête à faire, il n’y a plus de doutes sur sa nature et il ne me restera plus qu’à rester absolument sage jusqu’à ce que j’arrive à contacter un prêtre pour qu’il la fasse brûler. Mais à notre époque, plus personne ne croit aux sorcières à part moi.

    Je secoue la tête pour chasser toutes ses idées complètement folles.

    Fixant la trappe, je prends une très profonde inspiration et agrippe la poignée. Tout en tirant de toutes mes forces, je me jure que c’est la dernière fois que je lui désobéis. Encore.

  • 023 – Ruby

    Phrase donnée par Ness Cinéma

    L’obséquiosité régnante dans cette maison pour Ruby si « aimable et loyale » me donne de furieux haut-le-cœur.

    Cette fille est l’exacte copie de la peste qu’aucun enfant ne peut piffrer mais elle est assez intelligente pour que les adultes lui laissent tout passer. Le fait qu’elle s’arrange toujours pour que ce soit l’un de nous qui porte le chapeau joue aussi énormément. Et que ces parents soient les patrons de l’entreprise qui finance cette colonie de vacances doit aussi être une raison de l’attitude des gens qui nous encadrent.

    Nous ne sommes arrivés il y a trois jours. Trois longues journées. C’est impressionnant comme le temps peut ralentir quand ce qu’on vit semble des plus désagréables et c’est fou comme trois jours peuvent être immensément longs.

    Cette fille est un mélange parfait de Nelly de la petite maison dans la prairie et de Lavigna de Princesse Sarah. Je ne savais même pas que des personnes comme ça existaient dans le monde réel.

    Ruby. Déjà, rien que son nom est un avant-goût à sa personnalité. Elle doit avoir ce caractère horripilant à cause de ce prénom. Moi, je pense que je serais devenue une chipie aussi si je m’étais appelée comme ça, juste pour me venger. Sérieusement, ça devrait être interdit de donner des noms comme ça à ses gosses. Les parents devraient être déchus de leurs droits rien qu’à l’idée d’appeler leur fille Ruby.

    Dès qu’elle nous a croisés, elle nous a fait bien comprendre, à nous autres, gosses de pauvres, comme elle nous a appelés, que nous n’étions pas du même monde et que même si ses parents l’avaient envoyée-là pour se faire des amis, elle n’avait absolument pas l’intention de se mélanger avec nous. J’ai remarqué qu’elle m’avait tout particulièrement regardée. Nous sommes les deux plus vieilles du groupe, onze ans, mais, alors qu’elle ressemble à une photo de pub pour des magasins de grande marque, moi, je ressemble à une goth. Quelqu’un m’a demandé une fois si je faisais des castings pour jouer Mercredi dans une nouvelle version de la famille Addams. Mais je n’ai pas de couettes.

    Cette peste avait terminée sa première intervention devant nous en disant :

    « Restez-là pendant que je vais choisir ma chambre. Après tout cette maison est un peu à moi, c’est bien normal que je choisisse en premier. »

    Ruby était partie tranquillement par les escaliers. Nous étions restés à nous regarder les uns, les autres, assez incrédule de ce discours.

    Depuis, elle n’a pas arrêté de nous faire tourner en bourrique. Quand aucun adulte n’est là, elle nous traite comme si nous étions ses serviteurs. Dès qu’un surveillant arrive, elle va pleurer auprès de lui pour lui faire croire qu’on ne veut pas jouer avec elle. À chaque fois, ses réactions nous étonnent tellement que nous n’arrivons pas à répondre ou réagir. Le surveillant nous réprimande et nous exhorte à l’intégrer à notre groupe. Les premières fois nous n’avons rien dit, au bout de la quatrième ou cinquième fois où elle nous a fait le coup, j’ai essayé d’expliquer la réalité mais les adultes n’ont pas l’air décidés à me croire. Je sais qu’avec ma dégaine de gothique j’inspire moins confiance que mademoiselle gnan-gnan mais les faits sont là.

    En tout cas, si nous devons passer trois semaines ensemble, il est hors de question que ce jeu ne dure plus longtemps. Je suis venue ici pour m’amuser, par pour être le bouc-émissaire ou le souffre-douleur de cette… Je vais essayer de rester polie.

    Comme les autres gosses sont tous plus jeunes que moi, je me suis un peu retrouvée chef de bande de la révolte. Nous sommes quinze. Je ne compte évidemment pas la Peste. Le plus jeune a cinq ans. Nous sommes censés dormir dans des chambres de trois. Sauf évidemment Ruby qui a fait un caprice pour dormir seule. Elle a réussi à embobiner les moniteurs pour qu’ils acceptent. Ce qui a fait que Lucius et moi dormons dans le salon. Lucius est un garçon de dix et malgré qu’il a, lui aussi, un nom difficile à porter, il est très sympa.Comme quoi ! Nous dormons donc dans sur les canapés du salon. Ce qui a obligé les monos à migrer dans la cuisine pour finir leurs soirées quand tous les gosses sont couchés.

    Je suis sur le canapé et je réfléchis à ce que je peux concocter à cette si aimable et loyale Ruby. Comment les adultes peuvent être si aveugles quant à la réelle nature de cette sale gamine ? Je les entends rire derrière la porte de la cuisine. Des fois, je me demande si nos parents sont conscients de nous laisser aux mains de jeunes adultes peut-être moins responsables que moi.

    L’idée est née dans mon esprit comme une explosion de feu d’artifice. Il faut que la Peste soit prise en flagrant délit de fumer ou de boire de l’alcool. Elle serait directement renvoyée, même en étant la fille du patron.

    Le plan est assez simple à réaliser.

    Le lendemain, en début d’après-midi, pendant le moment où habituellement les monos nous laissent tranquilles pour faire ce que nous voulons, ils nous rassemblent dans le salon. Comme je l’espérais.

    « Cette nuit, commence la chef des monos, des bouteilles de bières ont été volées dans le frigo de la cuisine. C’est un comportement inadmissible. Vous êtes des enfants et vous n’avez absolument pas le droit de boire de l’alcool. J’attends donc que le coupable se dénonce et ramène ces bouteilles, en espérant qu’elles soient encore intactes. Je vais vous laisser une heure tranquilles. Si d’ici là, le coupable se fait encore attendre, nous irons chercher dans vos chambres ! »

    J’essaie de rester la plus sérieuse possible. Il ne faut pas que j’ai l’air trop euphorique, ça pourrait mettre la puce à l’oreille de la Peste ou des monos.

    L’heure écoulée, la chef des surveillants et deux de ses acolytes commencent le tour des chambres en commençant par le salon et mes affaires. Pas de problème. J’ouvre mon sac, et montre que je n’ai rien à cacher. Idem pour Lucius. Pendant que la troupe d’enfants et les trois enquêteurs montent à l’étage pour commencer la fouille dans les chambres, je pars voir un des moniteurs resté en bas. Je joue la timide, celle qui ne sait pas comment dire quelque chose d’embarrassant et finalement, je balance le pavé dans la mare.

    « Cette nuit, j’ai vu Ruby descendre dans la cuisine. J’ai cru qu’elle avait soif et qu’elle voulait boire un verre d’eau mais quand elle est remontée j’ai cru entendre un bruit de bouteilles.

    — Tu es sûre ? me demande le gars à qui je déballe tout ça.

    — Oui, mais je n’ai rien osé dire devant tout le monde tout à l’heure, comme ce sont ses parents qui… » Et je ne finis pas ma phrase pour lui faire croire que j’ai peur des conséquences de ma délation.

    Le gars me dit de rester là et d’attendre sur le canapé. Je le laisse monter prévenir la chef. Mes oreilles attirent le bord de mes lèvres mais je fais tout pour les empêcher de bouger. Il faut que je reste aussi neutre que possible.

    Quelques minutes plus tard, j’entends la Peste crier. Elle explose en sanglot, criant qu’elle ne sait pas ce que ces bouteilles font dans sa chambre ni pourquoi il y en a une de vide, que ce n’est pas elle qui l’a bue.

    Je reste assise sur le canapé, à regarder le fond de la cheminée en face.

    Quelques heures plus tard, le père de Ruby arrive pour la récupérer. C’est un gros bonhomme avec une grosse moustache qui roule dans une grosse voiture. Il est littéralement rouge de colère. J’ai presque de la peine pour la Peste quand je vois son père la traîner par le bras jusqu’à la voiture en lui hurlant dessus.

    Mais finalement, j’ai l’impression d’avoir vengé princesse Sarah. Je suis contente.

    Tous les gamins avec moi ont l’air soulagés, très heureux de ce qui vient d’arriver.

    Finalement, ce n’est pas si difficile que ça de manipuler les adultes.