Tag: nouvelle

  • 260 — [NMN2017] nouvelle n°17 – Ghost & Soul

    Bonne Année tout le monde.

    À partir de cette semaine, je ne sais pas si je peux continuer le marathon. Peu de temps et je voudrais me concentrer sur mes autres projets. Donc, ça sera une surprise pour vous à chaque semaine.

    Et pour commencer l’année, une phrase donnée par Juliette A B, qui m’a donné par mal de fil à retordre (la phrase, pas Juliette). J’espère que le résultat vous plaira.

    Bonne lecture.


    « Ghost ! Eh p’tite sœur ! Viens donc ! Notre nouvelle amie voudrait enfin parler ! Ceci dit, il était temps, Père commence à s’inquiéter pour la rançon…

    — Arrête de l’appeler comme ça, répondit une voix qui résonnait dans la pièce vide. Ce n’est pas notre père ! »

    Grande et maigre adolescente, Soul regardait en tous sens, mais ne voyait aucune trace de sa sœur.

    Dans la maison abandonnée, elle tournait en rond en attendant que Ghost daigne se montrer. Sa petite sœur aimait se réfugier dans les coins les plus reculés de la vieille bâtisse : elle avait la chance de le pouvoir. Malheureusement pour Soul, il fallait avoir une carrure de petite souris comme Ghost pour s’y glisser.

    (more…)

  • 248 — [NMN2017] Les Féminazies

    Cette semaine, une nouvelle phrase donnée par Sheldon Lymchat. Cette nouvelle est plus longue que les autres puisqu’elle s’approche des 4000 mots. C’est toujours de la SF, mais de la post-apocalyptique cette fois. J’accepte les insultes et les menaces en commentaires 😉

    Un très très gros merci à [quelqu’un qui a préféré rester anonyme] pour sa relecture minutieuse alors qu’elle avait une kick-off de NaNoWriMo à gérer sur les zInternets (oui, cette phrase est complètement crypto-marxiste).


    « T’as déjà essayé le truc du bout de viande dans le verre de Coca ? Ben, c’est meilleur avec une rondelle de citron. J’espère qu’on trouvera un endroit où on peut faire pousser des citrons. »
    Je regarde Kev avec des yeux ronds. Je ne sais pas d’où lui vient cette idée de parler de ça.
    Sous la chaleur du soleil dans ce ciel bleu limpide, nous sommes assis sur le capot d’une vieille bagnole. D’après la peinture, elle était bleu métallisé, mais il ne reste plus grand-chose de cette couleur d’origine à part quelques traces par-ci par-là. Il ne reste plus grand-chose de la voiture non plus, en fait, à part la carcasse. Le pare-brise a disparu. Vu l’absence de brisures dans l’habitacle, il a dû être volé il y a longtemps. La poussière a presque entièrement recouvert la moquette de sol. Les pneus sont encore sur place ; ils sont crevés. La trappe du réservoir a été éventrée. Moi, je pense qu’il y a eu une embuscade. Il devait y avoir une herse un peu plus loin, les gens dans la bagnole ont été forcés de s’arrêter, au moins pour changer les roues, s’ils voyageaient avec du stock — ce qui n’est pas sûr du tout. C’est là qu’elles ont attaqué. À l’origine, l’embuscade devait être en place pour récupérer le carburant, mais comme il n’y a aucune trace de cadavre, je pense qu’il n’y avait que des hommes dans la voiture. Des femmes auraient été tuées et laissées sur place. Les tribus n’ont pas besoin d’autres femmes ; c’est déjà difficile de trouver de la nourriture saine pour les membres. Les hommes, eux, servent de monnaie d’échange. Ils sont vendus, échangés, bradés, entre les tribus survivantes pour réussir à faire perdurer la race humaine.
    Kev et moi, c’est comme ça qu’on s’est rencontrés, prisonniers dans un camp de ces féminazies. Il paraît qu’à l’origine, c’était une insulte, m’a dit Kev. Maintenant, c’est le nom qu’elles se donnent elles-mêmes pour montrer qui sont les chefs. Et nous, les hommes, sommes les esclaves. Juste retour des choses pour certains, hérésie pour d’autres. Toujours est-il que les hommes n’ont plus leur mot à dire à présent. À part comme donneur de gamètes, nous valons moins qu’un chien ou qu’un chat.
    Je ne sais toujours pas comment on a réussi à s’en échapper. Je sais qu’on ne leur manquera pas. Ma tribu avait au moins trente-cinq types de tous âges et de toutes ethnies. Ce n’est pas un vieux quinquagénaire bedonnant et un handicapé avec une prothèse en fin de vie qui ont dû leur manquer.
    Ça doit faire deux mois, maintenant, que nous avançons un peu plus chaque jour dans ce grand désert qu’est devenue la planète. Nous cherchons un coin agréable et moins hostile aux mecs, un coin de tropique, comme m’en parle Kev. Lui a encore connu le monde avant les grands bouleversements du changement climatique. Il me parle de temps de ce monde qui semblait si agréable, où la bouffe était tellement abondante qu’on se permettait d’en jeter la moitié sans faire gaffe, où on pouvait parcourir des centaines de kilomètres en voiture voire des milliers en avion en une seule journée. Nous, on est condamnés à manger des racines, à boire de l’eau contaminée par les métaux lourds et à marcher pour avancer.
    Assis sur le capot de cette bagnole, Kev a le regard dans le vide. Quand il est comme ça, il n’est plus bon à rien. Il se rappelle l’ancien temps, il divague, il y est à nouveau. Impossible de le ramener à la réalité. Il faut qu’il y revienne par lui-même.
    « Tu sais, Kev, je lui dis, du coca, j’en ai bu que du périmé, et des citrons, j’en ai vu qu’en photo… Et la viande… Il faudrait d’abord qu’on en trouve, de la viande.
    Kev hausse les épaules.
    — Tu sais que c’est une des rares mixtures qui permet d’enlever les toxines de la viande, le Coca ? N’empêche que c’est meilleur avec du citron, le coca, de toute façon. »
    Je bascule en arrière et m’allonge sur le capot, les bras derrière la nuque. Il fait chaud. D’après Kev, il fait bien plus chaud qu’avant. Moi j’en sais rien. À 15 ans, j’ai connu que ce monde pourri. Et j’ai même pas eu la chance de naître entier. Avec toutes les saloperies de produits utilisés par les agriculteurs de l’époque, tout est contaminé. Ma mère a dû boire de l’eau pleine de produits dont je n’ai aucune idée — il n’y a que de ça partout dans tous les cas —, toujours est-il que je suis né avec une patte en moins. Ça aurait pu être pire. Il paraît que mon petit frère est né complètement difforme. Il a même pas vécu d’après ce que m’a dit mon père. Je dis mon père, mais je sais que c’était pas vraiment mon père. Dans les tribus féminazies, il n’y a pas de mères. Celles qui accouchent sont gardées à l’écart de leurs enfants pour éviter de tisser des liens. Ça pourrait compromettre l’ordre établi d’avoir des sentiments pour son enfant. Les filles sont élevées par un collège de femmes nullipares pour éviter aux femmes mères de rechercher un lien avec leur fille. Les bébés mâles sont envoyés dans les cages des hommes. S’ils survivent à leurs trois ans, ils sont échangés avec des tribus — plus ou moins — amies pour servir de reproducteurs une fois qu’ils en auraient la capacité. Moi, avec mon infirmité, je n’ai pas été vendu tout de suite. Les femmes de la tribu préféraient attendre de voir comment j’évoluerais, parce que même un infirme, ça peut servir (au moins pour tendre des embuscades aux tribus ennemies).
    Mon père, Mike, il était noir. Moi qui avais la peau blanche rosée même sous ce soleil, j’ai vite compris que c’était pas vraiment mon père, mais il était le seul à s’occuper de moi, alors je l’ai appelé papa tant que j’ai pu. C’est lui qui m’a fabriqué mes premières prothèses, qui m’a appris à marcher, à parler, à lire, à tout, en fait. Il a été vendu un jour quand j’avais six ans. C’est arrivé comme un claquement de doigts. Je n’ai rien vu venir. Je n’ai même pas eu le temps de lui dire au revoir, de le serrer une dernière fois dans mes bras, ni de lui dire que…
    Qu’est-ce qu’il me manque.

    Je me redresse et essuie les larmes naissantes dans mes yeux. Kev le voit. Il semble être de retour sur terre.
    « Il vaudrait mieux y aller », me dit-il simplement.
    J’acquiesce et me laisse glisser par terre.
    On ne sait pas où on va, mais on y va quand même. Il paraît qu’au nord ce sera plus frais et qu’il y aura plus de végétation. Je n’y crois pas. J’aimerais, vraiment, mais si c’était réel, pourquoi toutes les féminazies seraient encore ici dans ce désert ? C’est complètement illogique.
    Nous avons à peine quitté la vieille guimbarde qu’un moteur se fait entendre au loin. Merde. Au milieu de nulle part, il n’y a rien pour nous cacher hormis les petites dunes de chaque côté de cette route. Kev accélère le pas en m’attrapant le bras. Il sait que je ne peux pas courir avec ma patte, mais en me tirant un peu, il peut m’aider à aller plus vite. Avant, j’arrivais à marcher normalement et même à courir avec cette prothèse que je me suis construite moi-même. Mais l’absence de pièces de rechange et le manque de matériel ne m’ont pas permis de la garder en état bien longtemps, surtout avec toute cette poussière. Maintenant, c’est une jambe de métal, toute raide et dont la seule utilité se résume à m’empêcher de tomber quand je reste debout sans bouger. Je suis amer parce qu’avec tout ce que j’ai réussi à apprendre avec Mike, Kev ou d’autres, je pourrais la remettre en état mais dans ce monde désertique, il n’y a rien. Ou si peu. Et tout est aux mains de ces folles.
    Quand on pense que les chiens sont mieux traités que nous. Il paraît qu’avant les hommes étaient considérés comme le sexe fort, et les femmes, le sexe faible, qu’elles vivaient oppressées et avaient moins de droits que nous. Je ne sais pas qui a donné le qualificatif de « faible » pour les femmes, parce que toutes celles que j’ai connues étaient féroces et prêtes à tuer pour un oui pour un non. Et pour cette histoire d’oppression, elles ont bien repris le dessus et rattrapent le temps perdu. Mais moi j’ai l’impression de payer pour des crimes dont je ne suis pas responsable.
    À peine avons-nous passé le sommet de la dune toute proche que Kev me lâche. Je me laisse tomber au sol en même temps que lui. Un serpent fuit dans son trou. Un venimeux, mais qui aurait été délicieux. Dommage que j’ai pas eu le réflexe de l’attraper. Étrangement, les reptiles sont moins chargés en trucs toxiques.
    Le bruit de moteur qui se fait plus fort. C’est un diesel, un vieux qui claque fort et lentement. Ce doit être un camion. Modifié pour fonctionner à l’alcool. C’est assez simple à fabriquer, même avec peu de moyens. Il n’est plus très loin. Kev attrape le fusil qu’il a dans le dos et vérifie qu’il est bien chargé, prêt à être utilisé. Il n’a jamais eu l’occasion de s’en servir sur des êtres humains. On l’a récupéré il y a deux semaines, je crois, sur un cadavre dans une vieille cabane à côté de ce qui avait dû être un lac. À l’époque, le coin avait dû être sacrément arboré quand on voyait le nombre de troncs secs encore debout. Le lac n’était plus qu’une petite mare rouille. Des algues toxiques y avaient proliféré jusqu’à transformer l’eau en une boue gélatineuse. Aurait été bien fou celui qui aurait osé ne serait qu’y plonger un doigt. Bref, quand Kev a trouvé le fusil, il l’a testé sur la cabane. Moi, je n’étais pas très chaud, j’avais trop peur que ce truc lui pète à la gueule. Finalement, c’est la cabane qui s’est écroulée. Comme il ne s’était jamais servi de ce genre de choses, Kev a aussi volé pour atterrir à trois pas de là. Il a eu mal à l’épaule quelques jours, mais il a gardé l’arme. Dans ce monde, c’est plutôt une bonne idée que d’avoir de quoi se défendre et là, tout de suite, l’idée me semble vraiment très bonne.
    Nos têtes dépassant à peine de la dune, nous voyons le camion apparaître. C’est un camion vert moche. Un truc qui appartenait à l’armée, avant. Je retiens mon souffle au moment où il va nous passer devant. Pourtant, il ralentit. Que fait-il ?
    « Parfait », lâche Kev.
    Il perd la tête ! Ce n’est pas parfait. Il y a trois personnes à bord de la cabine ; peut-être d’autres à l’arrière, je ne sais. Ce sont des femmes, évidemment. Elles aussi sont armées, elles ne sortent jamais sans un pistolet, au moins. Pourquoi s’arrêtent-elles ?
    Le camion soulève un nuage de poussière en s’arrêtant complètement. La portière de la passagère s’ouvre. Une femme en débarque. Elle n’est pas très vieille, la vingtaine à peine. Elle s’approche de la carcasse de voiture sur laquelle nous étions à peine quelques instants plus tôt. Évidemment, elles veulent voir s’il est encore possible d’en soutirer quelques pièces. Une deuxième sort à son tour, plus vieille celle-là, presque l’âge de Kev. Du coin de l’œil, je le vois resserrer sa prise sur le fusil. Je ne sais pas s’il veut les attaquer ou s’il redoute — comme moi — le moment où il devrait se servir de son arme.
    Les deux femmes discutent. La chaleur porte le son de leur voix jusqu’à nous.
    « Alors ?
    — On n’en tirera rien. Elle est déjà dépouillée. Peut-être la tôle, mais rien de plus.
    La plus jeune soulève le capot mais au lieu du moteur elle trouve un tas de sable. Elle relâche le morceau de métal qui claque en résonnant.
    — On perdrait plus de temps qu’autre chose, reprend-elle.
    — Ok, alors repartons », dit l’autre, mais au moment de repartir vers le camion, elle s’immobilise.
    Elle s’accroupit et scrute le capot tout juste refermé. Elle bouge la tête de gauche à droite, plissant les yeux pour mieux scruter. Je regarde, moi aussi, où elle regarde, mais je ne vois rien. La femme se relève et scrute les alentours. J’ai dû sentir le mouvement. Je fais signe à Kev à temps pour nous planquer sans être vus. Elle a dû voir les traces de notre passage sur le capot. Elles sont encore fraîches. La femme l’a bien vu et elle sait que nous ne sommes pas loin. Si c’est une traqueuse, nous sommes faits. C’est le genre de femme à remonter une piste pendant des semaines pour trouver un mâle et le ramener. Plus ils sont difficiles à attraper, meilleurs reproducteurs ils sont, d’après elles. Dans ma tribu, il y avait deux traqueuses absolument démentes pour ça. Leurs victimes m’avaient raconté des histoires incroyables à ce sujet, la façon dont ils avaient passé plusieurs jours à se cacher, à fuir, à tout faire pour brouiller les pistes et pourtant, elles avaient réussi à les attraper.
    Ma seule consolation, c’est que si c’est une traqueuse, il y a peu de risque qu’elle nous tue. Nous représentons encore un peu de monnaie d’échange pour elles. Enfin, si Kev n’en tue pas une avant. Là, c’est sûr qu’elles se défendront et qu’elles nous troueront la peau. Voire pire. J’ai déjà entendu des histoires où les traqueuses blessaient des types juste pour le plaisir de les savoir en train d’agoniser sous le soleil pendant des heures. Si c’est vrai — et je n’en doute pas —, les mecs ont dû se faire bouffer par les animaux sauvages avant même d’être complètement morts. Je frissonne à cette idée. Déjà qu’avec ma prothèse, je suis une proie facile, alors avec de la chevrotine dans ma seule jambe, je ne ferai pas long feu.
    Kev et moi nous laissons glisser au bas de la petite dune. Il tient son fusil en joue, prêt à tirer sur la première qui montrera son visage.
    Le temps ralentit en même temps que le soleil nous mord un peu plus la peau. Les minutes s’égrènent lentement. Personne ne vient.
    Le moteur démarre soudainement. Je soupire et Kev aussi. Ce n’est pas passé loin, mais il semblerait qu’on soit tiré d’affaire. Nous entendons le camion s’éloigner. Je me rassois en souriant bêtement. Kev rampe vers le haut de la dune, toujours prêt à faire feu. Il se méfie de quelque chose, on dirait. Il arrive à peine en haut que je vois un pied lui décocher un coup dans la figure. Kev roule vers moi, à moitié assommé, mais il tient bien son fusil. La traqueuse me scrute et, voyant que je suis une proie facile, saute dans le sol poussiéreux pour glisser vers Kev, prête à lui tomber dessus dès qu’il aura fini sa descente. S’en suit entre les deux un combat que je n’arrive pas à décrypter. Ils roulent l’un sur l’autre, dans un sens, dans l’autre, soulevant toujours plus de poussière. D’abord, Kev a essayé de pointer son fusil sur la traqueuse, mais elle a réussi à le désarmer. Elle n’a pas dégainé le pistolet qu’elle a à la cuisse. Elle nous veut vivants. C’est clair, maintenant. Kev prend le dessus. La femme est peut-être plus entraînée, mais elle est bien plus petite et légère que mon compagnon. Je la vois perdre du terrain.
    Kev est sur elle, littéralement assis. Elle bat des jambes dans son dos, mais rien n’y fait. Kev est une masse. Il lui a attrapé les poignets et pèse de tout son poids sur elle. Elle ne peut plus bouger. Elle capitule dans un soupir et une moue de dégoût.
    « Qu’est-ce que t’attends ? lui demande-t-elle. Te rêves que de ça, je parie. Prendre en main les choses, pour une fois ! »
    Kev la renifle comme un chien qui jauge sa proie, pour être certain de pouvoir la croquer sans danger. Il passe un des poignets de la femme sous son genou, pour se libérer une main et la poser sur la jambe de la femme. Il la fait glisser et de haut en bas. L’autre est visiblement dégoûtée. Kev s’arrête finalement sur l’holster de cuisse et récupère le pistolet. Il regarde l’arme un court instant et la pointe sur la traqueuse.
    « Je pourrais te tuer ici, facilement. Je pourrais même te trouer chacun de tes membres pour ensuite te baiser bien fort sans que tu puisses rien y faire. Après tout, d’après vous, on est bons qu’à ça, nous les gars, filer un peu de sperme pour que vous mettre en cloque, non ?
    — Je te tuerai ! crache-t-elle.
    Kev lui colle le canon sur le front au point que je le vois s’enfoncer dans la peau.
    — Non, je ne crois pas. Avec des trous dans les os, tu te videras juste de ton sang et, ta tronche dans la poussière, je t’éclaterai le cul, parce que je voudrais pas te faire le plaisir de t’engrosser ! »
    La traqueuse reste bouche bée face à ces menaces. Moi aussi j’ai peur. Je n’ai pas envie de voir ça. Je suis l’esclave des femmes depuis que je suis né, mais je n’ai pas envie de les tuer ou de leur faire subir des tortures dignes d’elles. Certains hommes que j’ai rencontrés me parlaient de syndrome de Stockholm, me disaient que je ne voulais pas leur faire du mal parce que j’avais l’impression qu’elles m’aimaient bien ou des inepties comme ça, mais je sais de quoi elles sont capables. Je sais qu’elles pourraient me tuer sans aucune once de remords. Je ne veux simplement pas être comme elles. Comment pourrais-je vouloir la paix entre tous, si je suis le premier à tuer les femmes comme elles nous tuent, nous ? Je veux juste la paix, qu’on me laisse vivre tranquille, dans un endroit où je pourrai manger et boire sans avoir peur d’être empoisonné ; dans un endroit où les gens ne me considéreront pas comme une marchandise à peine bonne à être échangée, dans un endroit où les choses seraient simples.
    « Kev arrête ! Tu n’es pas marrant, là. Attache-la et laisse-la ici. Ses équipières ne vont pas tarder à revenir si elle ne donne pas signe de vie. Il faut qu’on dégage.
    — Tu vois, reprend mon compagnon en chuchotant presque. Je pourrais faire ce que je veux de toi, là. Parce que j’ai la force pour le faire et qu’à deux, on a le nombre pour nous, mais tu as de la chance. Je n’ai pas envie de toi, je n’ai pas envie d’être comme toi, à tuer les gens juste à cause de leur sexe… Attrape-le fusil, me lance-t-il, et tiens-la en joue. Même si j’ai son flingue, je veux pas qu’elle me fasse un sale coup dans le dos. »
    Je m’exécute et pointe l’arme vers Kev et la traqueuse. J’espère sincèrement ne pas avoir à m’en servir, parce que je n’ai jamais tiré et là, ils sont tellement l’un sur l’autre que je risque de les tuer tous les deux, ou de les rater complètement. Mais à cette distance, ce serait vraiment pas de chance.
    « Souviens-toi qu’on aurait pu te tuer ici, au milieu de nulle part ou faire bien pire. Souviens-toi bien que tu dois ta vie à des hommes ! »
    Dans un geste incroyablement rapide pour un type de sa corpulence, Kev se remet sur les genoux et d’un mouvement de poignet expert, il parvient à retourner la traqueuse sur le ventre. Il a l’air de lui faire mal, mais elle serre les dents plutôt que de le montrer. Il se relève et elle suit le mouvement, contrainte.
    « Si je vous retrouve, je vous tue tous les deux. Je vous tuerai moi-même, crie-t-elle.
    — Alors je ferais mieux de t’achever ici. C’est ce que tu veux vraiment ? Mourir au milieu de la poussière ?
    — Si ce n’est pas ici, ce sera ailleurs. Nous ne sommes que des survivantes de toute façon !
    — Alors espère plutôt ne pas nous recroiser ! » lance Kev en poussant la traqueuse avec force.
    Elle avance, surprise et déséquilibrée, et finit par tomber par terre, soulevant un nouveau nuage de poussière. Kev recule dans ma direction, tout en gardant le pistolet pointé vers la traqueuse.
    « Maintenant, tu vas nous laisser partir bien tranquillement et tu vas nous oublier. Tu n’auras qu’à dire à tes copines que tu n’as trouvé personne. »
    Je recule moi aussi. Nous nous éloignons d’elle. Mais je ne veux pas la quitter des yeux, en tout cas pas avant que Kev ne le fasse. Encore quelques pas en arrière et je le vois se retourner. Je l’imite et m’arrête presque aussitôt. L’autre femme, la jeune, est là en haut de la dune. C’était une feinte dès le départ. Le camion est parti, mais elles étaient restées pour nous chasser. Chacune a dû aller dans une direction. Celle-là a dû entendre sa coéquipière crier et revenir par ici. Maintenant, elle est face à nous et nous tient en joue avec son pistolet. Je crois qu’elle sait que si elle tue l’un de nous, l’autre la dégommera, mais personne n’a envie de ça.
    Nous nous regardons comme des chiens de faïence. Le vent — chaud — se lève et emporte avec lui un nuage de poussière. Je plisse les yeux. J’aurais dû me méfier. C’est l’instant où la jeune femme décide de tirer. Surpris par la détonation, je me baisse — bêtement, comme si ça pouvait m’éviter de me faire trouer la peau. Pourtant, je ne sens rien. Je vais bien, je crois. Je regarde Kev. Lui aussi me scrute. Il a l’air d’aller bien aussi. Je jette un œil à la jeune traqueuse. Elle est toujours en position de tir, mais en regardant mieux, je me rends compte qu’elle a visé bien au-dessus de nous. Je me retourne et vois l’autre traqueuse allongée par terre, sur le dos, cette fois. Une tache rouge s’agrandit sur sa poitrine. Dans sa main, un pistolet. Évidemment, elle en avait un second planqué sur elle…
    « Tu aurais pu la laisser nous tuer, suggère Kev comme une question.
    — J’ai tout vu, dit la jeune traqueuse. Elle aurait dû vous laisser partir. Vous n’étiez clairement pas un danger pour elle. Ça n’aurait pas été juste de la laisser faire. Vous auriez pu la tuer et vous ne l’avez pas fait…
    Elle haussa les épaules, comme si son raisonnement coulait de source.
    — Tu vas avoir des problèmes avec ta tribu maintenant que tu as tué l’une des tiennes !
    — Je l’ai retrouvée morte. Je ne sais pas qui a fait ça. Je n’ai vu personne, et surtout pas vous deux. Partez vers l’est, je ferai en sorte de vous laisser un peu d’avance. Après ça, je ne peux rien vous promettre.
    — Merci », répond Kev.
    Je le sens sincère comme il l’a rarement été. Moi, je suis tellement abasourdi qu’aucun son ne sort de ma gorge. Elle est trop serrée. Je suis ému. En passant à la hauteur de la traqueuse, je ne peux que lui faire un signe de tête reconnaissant.


    Par ici pour le texte de Miki.


    Vous aimez ce que j’écris, soutenez-moi par
    Soutenez-moi par Tipeee.com

    Enregistrer

  • 229 — [NMN2017 Amandine] Panne générale

    Elle tourna la clé dans la serrure et pénétra dans l’appartement. Elle sentit immédiatement que quelque chose ne tournait pas rond.

    Freddy, son pangolin de compagnie, gisait à plat ventre sur le sol de l’entrée, la langue pendante, ses quatre pattes dépassant de sa carapace comme s’il s’était subitement effondré sous son propre poids. Il était parfaitement immobile, statufié sur le sol en béton ciré. Ses griffes étaient sorties et ses écailles métalliques hérissées, et sur son petit museau pointu, ses yeux demeuraient d’un noir mat, absolument inexpressifs. Que s’était-il passé ?

    D’ordinaire, dès qu’elle poussait la porte de son appartement, Freddy s’élançait vers elle pour l’accueillir en trottinant sur ses deux pattes arrière, avant de lui tourner autour en poussant de petits jappements électroniques. C’était apparemment ce qu’il avait essayé de faire avant de se retrouver figé en pleine course à deux mètres de la porte d’entrée. Elle soupira. Évidement, Freddy n’était plus sous garantie. Et, évidement, la réparation serait hors de prix. Elle s’agenouilla à côté de la carcasse métallique, laissant glisser ses doigts sur les écailles froides, réfléchissantes comme des miroirs. Combien de temps devrait-elle attendre avant qu’il soit remis en état ? Elle s’imaginait mal rester une semaine entière sans robot de compagnie. L’idée d’en commander immédiatement un nouveau – pourquoi pas un tatou, pour changer – l’effleura, mais elle la chassa de son esprit, se sentant immédiatement coupable d’elle ne savait trop quoi. Elle n’avait pas du tout les moyens d’une telle folie, sans compter que, même si cela paraissait absurde, elle s’était attachée à Freddy. Elle savait bien que l’intelligence artificielle n’existait pas vraiment et que chacun des traits de comportement de Freddy étaient programmés à l’avance, ne faisant que se succéder et se combiner aléatoirement afin de mimer le côté hasardeux de la vie. L’illusion était bonne, cependant, et elle prenait plaisir à jouer à y croire.

    Ce ne fut qu’au moment où elle se releva qu’elle réalisa réellement ce qui clochait dans son appartement. Jusque là, accaparée par Freddy, elle était passée à côté de l’essentiel. Elle avait eu vaguement conscience d’un éclairage modifié et de l’absence de la musique qui se déclenchait habituellement à son arrivée – un concerto pour flûte électrique – sans toutefois s’en alarmer autant qu’elle aurait dû. Désormais, elle vacillait dans son vestibule, ne sachant quelle attitude adopter.  L’anomalie dépassait de loin le cas particulier de Freddy. Elle contemplait son appartement baignant dans l’éclairage blanchâtre de secours. Elle savait ce que cela signifiait. Elle avait affaire à une panne électrique de grande ampleur, qui concernait peut-être toute la tour d’habitation. Elle jeta un coup d’œil à l’extérieur afin d’en avoir le cœur net. Effectivement, la même lumière blanche, blafarde, baignait le couloir. L’incident semblait s’être produit au moment exact où elle avait ouvert sa porte. Elle n’avait jamais connu cela auparavant et tentait désespérément de se remémorer la charte de sécurité en petits caractères qu’elle avait négligemment signée lors de son emménagement. Combien de temps tiendraient les batteries des lampes de secours ? Elle n’en avait aucune idée. Tout ce qu’elle savait, c’était que dans un cas pareil, toute la domotique de la tour était hors service, ascenseurs compris. Finalement, ce n’était peut-être pas une si bonne idée que d’habiter au cent dixième étage ! Sans compter qu’il faisait déjà nuit dehors, et que lorsque les lumières s’éteindraient, elle se retrouverait dans le noir complet.

    Tout cela lui avait donné une décharge d’adrénaline. Son cœur pompait son sang avec force et elle recevait par salves des bouffées de chaleur qui s’émoussaient en frissons de sueur glacée, plaquant ses vêtements contre son corps. Elle avait les mains moites. Ça n’allait pas. Non : ça n’allait pas bien du tout, et il fallait faire quelque chose. Mais quoi ?

    Elle laissa tomber son sac à main par terre, enjamba Freddy, et s’avança dans son salon en clignant des yeux. Cette lumière était effroyable. N’aurait-il pas mieux valu en diminuer l’intensité afin d’économiser les batteries ? Elle avait la sensation de manquer d’air et devait se raisonner en se rappelant que c’était pourtant la seule chose dont elle n’avait pas à se soucier ce soir. Quoi qu’il arrive, elle respirerait.

    Elle avait l’impression de découvrir son appartement pour la première fois.  Tous les écrans tapissant les murs et les plafonds étaient éteints, dévoilant pour la première fois les surfaces nues.

    D’habitude, chaque pièce était affublée de son papier peint personnalisé et animé. Elle pouvait varier les fonds d’écran à l’infini, et grâce à la technologie 3D à pixels invisibles vantée dans les publicités, ceux-ci étaient toujours plus immersifs. Depuis quelques mois, elle avait pris l’habitude de dîner dans la nef colossale de la basilique Saint-Pierre de Rome, sous la coupole ornée de mosaïques. Elle prenait son bain en mer, immergée à plusieurs mètres sous la surface, admirant des bancs de poissons argentés entre les algues, et remontant du regard les chaînes d’interminables ancres, jusqu’aux minces coques des bateaux dodelinant au plafond.

    L’appartement, d’ordinaire immense, lui apparaissait désormais dans sa triste réalité : quatre pièces minuscules et vides. Désorientée et fascinée à la fois, elle passa ses mains sur les murs, caressant le revêtement homogène de plastique blanc et lisse. Personne n’était censé voir l’envers des choses. Les quelques meubles qu’elle possédait – pour l’essentiel une table, deux chaises, une baignoire et un lit – semblaient jurer, isolés dans ce décor blanc. D’ordinaire, personne ne pouvait éteindre les écrans. Qui, d’ailleurs, aurait songé à demander une chose pareille ? Sauf dans la chambre, évidement. Lorsqu’on se mettait au lit, les écrans s’éteignaient en même temps que la lumière afin de plonger la pièce dans un noir complet. Mais cela n’aidait pas à se rendre compte de l’apparence réelle des choses. Il avait fallu cette panne pour lui ouvrir les yeux.

    Mais s’il n’y avait que ça…

    « Tiroir. Ouvrir. »

    Elle parcourait le cube blanc qui lui servait d’appartement en réalisant à chaque seconde à quel point la domotique s’était immiscée dans sa vie. Le design de fin de vingt et unième siècle se voulait minimaliste et épuré. Les tiroirs et placards n’étaient plus que des surfaces lisses et laquées. Leur ouverture se commandant à la voix,  les poignées avaient disparu et les portes n’étaient plus que des plaques sans aucune aspérité. Rien, absolument rien, ne devait dépasser. Sauf que ce soir-là, le frigo et le micro-ondes refusaient obstinément de s’ouvrir, les placards gardaient jalousement leurs provisions et les tiroirs retenaient en otage jusqu’à la moindre petite cuillère. Sa cuisine intégrée était devenue un adversaire, un bloc glacé d’entêtement hostile. En outre, l’ensemble était solide, inattaquable, et de toute manière, elle n’avait pas d’outils.

    Dans la chambre, ce n’était pas mieux. Son armoire se montrant aussi récalcitrante que le reste, il lui faudrait renoncer à changer de chaussures et de vêtements. Mais le pire, c’était la robinetterie. Saisie d’un doute, elle se rendit dans la salle de bain, s’agenouilla à côté de la baignoire, et d’une voix forte et claire, elle déclama :

    « Eau chaude »

    « Eau froide »

    Rien, évidement. Elle testa l’évier de la cuisine ainsi que la chasse d’eau des toilettes. Pas une seule goutte d’eau. En outre, il commençait à faire froid.  Et, bien sûr, tous les thermostats étaient éteints.

    L’état des lieux fut vite fait, et il était catastrophique. Comme prévu, toute la domotique de l’appartement était hors service. Elle n’avait accès à rien, pas même au mécanisme d’ouverture des volets roulants, qui s’étaient abaissés automatiquement une demie-heure après le coucher du soleil. Elle regrettait de ne pouvoir jeter un regard sur la ville. Une inquiétude la rongeait : et si coupure électrique s’étendait à toute la cité ? Lorsque les lampes de secours lâcheraient, les gratte-ciel ne seraient plus que des squelettes noirs et inanimés et la nuit dévorerait la ville. Elle en avait des sueurs froides. Comme tout le monde dans cette société saturée de néons, elle était terrifiée par l’obscurité.

    Désemparée, elle eut le réflexe de consulter son brassard connecté, mais comme par un fait exprès, celui-ci n’avait plus de batterie. Elle avait passé trop d’appels holographiques ce jour-là et, désormais, elle s’en mordait les doigts. Si elle avait su… Elle aurait payé cher, désormais, pour pouvoir sonder pendant quelques secondes les réseaux sociaux ou les sites d’information. Il devait bien y avoir, quelque part, des gens qui savaient quelque chose. Elle ne pouvait pas rester là, toute seule, à attendre que l’éclairage de secours s’éteigne. Elle qui aimait afficher des horloges sur tous ses murs, ne savait même plus quelle heure il était. Cela ne pouvait plus durer ; elle ne pouvait pas rester comme ça. Le pire, dans ce genre de situations, c’était l’incertitude. Alors, après un dernier tour d’horizon déprimant sur ses quatre pièces blanches, elle se dirigea théâtralement vers le vestibule. Il n’y avait personne pour la voir, mais elle aimait être l’héroïne de ses propres pièces, la dramatisation l’aidant à convoquer son courage. Elle ramassa son sac à main et jeta un dernier regard au petit museau triangulaire de Freddy, presque comme si elle n’allait jamais revenir. Puis elle poussa la porte et se retrouva dans le couloir. En tournant sa clé dans la serrure, elle se souvint d’avoir souvent pesté contre ce système antédiluvien, qui la mettait en difficulté à chaque fois qu’elle rentrait les bras chargés de courses. Aujourd’hui, pourtant, elle en comprenait l’utilité.

    De part et d’autre du couloir, des portes s’ouvraient, se refermaient, et des visages inquiets passaient par les entrebâillements. Des gens s’agglutinaient devant l’ascenseur. Certains portaient des sacs à dos, dans lesquels ils avaient dû fourrer ce qu’ils avaient pu arracher à leurs placards. D’autres tenaient par la main des enfants réveillés à la hâte, encore engourdis de sommeil. Visiblement, livrés à eux-mêmes, les habitants avaient spontanément opté pour une évacuation de l’immeuble. Elle suivit le mouvement en direction de l’ascenseur sans y croire vraiment. Comme elle s’en doutait depuis le début, celui-ci était hors service, jusqu’au bouton d’appel qui demeurait désespérément sombre. Toutefois, certains refusaient de rebrousser chemin et se contentaient de stationner stupidement devant les portes retorses, le regard vide et les bras ballants, attendant sans doute un hypothétique retour du courant. D’autres commençaient à s’agiter et à vociférer, déclarant que tout ceci était parfaitement inadmissible, que ça ne se passerait pas comme ça, et réclamant les têtes des coupables sur des piques. Le vacarme faisait s’ouvrir les dernières portes, faisant surgir les derniers retardataires de leurs lits. Un certains nombre étaient en pyjamas, preuve que bien des armoires avaient refusé de s’ouvrir. Sous l’éclairage blême, les teints étaient cireux et les rides marquées. L’air était poisseux d’angoisse.

    Constatant que les agitateurs constituaient autour d’eux des groupes de plus en plus denses, elle jugea plus sage de s’éloigner. C’est alors qu’elle aperçut un éclair lumineux dans le coin de son champ de vision. Cela ne dura qu’une fraction de seconde, et pourtant, elle état sûre de ce qu’elle avait vu. Quelqu’un avait un brassard connecté en état de fonctionnement et s’était empressé de le cacher sous sa manche. Elle l’identifia rapidement une vieille femme terrorisée, appuyée contre un mur comme si elle voulait disparaître à l’intérieur de la cloison. La femme se tenait le bras gauche comme si elle cherchait à dissimuler quelque chose. Les vieux étaient bien les seuls à pouvoir faire durer leurs batteries des jours entiers.

    Soudain, la vieille femme se décolla de son mur et, tournant le dos à l’ascenseur, entreprit de remonter la marée humaine à contre-courant. Elle la suivit comme elle put en heurtant des épaules, marchant sur des pied et bredouillant des excuses. Cette femme était son seul lien avec le monde ; il ne fallait pas qu’elle la perde de vue.

    Tout au bout du couloir en forme d’équerre, passé le tournant, il n’y avait plus personne. La vieille femme paraissait soulagée d’avoir semé le reste de la troupe et ne semblait pas la considérer comme une menace. Alors, la vieille lui désigna d’un geste une porte grise, ornée d’un écriteau à la typographie datée. Elle lut :

    « Escaliers de secours »

    Elle éclata d’un long rire nerveux. Pourquoi n’y avait-elle pas pensé elle-même ? Pourquoi personne n’y avait-il pensé ? Seuls les vieux pouvaient se rappeler de ce genre de choses. Il fallait bien avoir soixante-dix ans pour avoir connu les escaliers. Toutefois, la vieille s’alarma de sa manifestation de joie. Elle plaça son index sur ses lèvres et la poussa vers la porte grise.

    — Vous ne voulez pas avertir les autres ?

    La vieille secoua la tête avec gravité.

    — N’y pensez pas. Nous vivons dans une tour de cent cinquante étages et c’est l’unique escalier. Croyez-moi ; vous n’avez pas envie d’être prise dans les embouteillages !

    — Mais… les autres ?

    — Ne vous inquiétez pas pour eux. Lorsqu’ils auront fini de tourner en rond et de s’échauffer, ils trouveront la cage d’escaliers. Ce n’est qu’une question de temps. Et nous, nous allons juste prendre un peu d’avance.

    Elle avait à peine fini de parler que dans un claquement sinistre, l’éclairage de sécurité lâcha. Des cris terribles jaillirent du fond du couloir. Des objets tombèrent. La vieille remonta sa manche pour s’éclairer avec son brassard. Puis, sans plus de cérémonie, elle ouvrit la porte et disparut de l’autre côté. Elle la suivit, le cœur battant. Sa comparse n’était plus de première jeunesse ; elle était frêle et tremblante, et elle se demandait par quel miracle celle-ci réussirait à atteindre le rez-de-chaussée.

    La descente par les escaliers de secours était comme une plongée dans le temps. À chaque étage, un petit palier leur permettait de reprendre leur souffle quelques seconde. Et, à chaque fois, il y avait une porte grise surmontée d’une veilleuse de secours surannée, qui devait être hors service depuis des décennies. Elle reconnut ces symboles qu’elle avait déjà rencontrés dans de nombreux musées. Sur un fond vert, un personnage stylisé courait vers un rectangle blanc, assorti d’une flèche épaisse. Pour chaque étage, un gros numéro était peint en blanc, au pochoir, sur le mur. Les nombres défilaient avec lenteur mais régularité.

    Cent cinq. Cent. Quatre-vingt-quinze. Quatre-vingt-dix.

    La vieille avait mis son brassard en mode économie d’énergie et s’agrippait soigneusement à la la rampe. Elle ne se plaignait pas, mais elle était de plus en plus courbée et respirait d’une voix rauque. Leur univers était limité aux cinq ou six marches éclairées par le petit halo mouvant. Combien de temps mettraient-elle à descendre les cent dix étages. La vieille femme la surprenait par sa détermination. Tout en avançant, un pied après l’autre, un bras passé sous celui de la vieille pour la soutenir, elle faisait ses petits calculs. À raison de quarante-cinq secondes par étage, elles mettraient une heure et vingt-deux minutes. C’était impressionnant.

    Soixante. Cinquante-cinq. Cinquante. Quarante-cinq.

    Au début, elles n’avaient croisé personne. Mais plus elles progressaient, plus elles rencontraient de monde. La cage d’escalier était envahie de grands-pères et de grands-mères déterminés, s’enfonçant brassards allumés dans le ventre de béton de l’immeuble. Certains étaient même munis de briquets ou de lampes à gaz. Avec ce qu’ils portaient sur eux, on aurait pu ouvrir un musée. Sa petite grand-mère ne déméritait pas et mettait un point d’honneur à ne prendre aucune véritable pause. Lorsqu’elles doublaient les plus faibles, elle les encourageait même d’un sourire.

    Quinze. Dix. Cinq.

    Il y avait de plus en plus de jeunes dans l’escalier. Les portes grises claquaient. Des jeunes couraient et slalomaient entre les vieux, qui s’accrochaient à la rampe comme à une ligne de vie. Certains laissaient passer les bolides en serrant contre leur poitrine le cadavre métallique d’une taupe ou d’un hérisson de compagnie qu’ils n’avaient pu se résoudre à abandonner. C’était de plus en plus encombré. Elles avaient bien fait de partir tôt.

    Zéro.

     

    Jamais elle ne se serait attendue à ça.

    Toute la ville était plongée dans le noir. Les gratte-ciel éteints étaient des monolithes d’un noir mat, comme les blocs titanesques d’un jeu de construction effrayant, dont on aurait égaré le mode d’emploi. Les voitures étaient à l’arrêt sur les pistes magnétiques transformées en voies piétonnes. Les gens se déversaient dans la rue et grouillaient partout. Peu avaient des brassards allumés, mais pourtant elle les voyait. La foule était une mer ondulante et compacte qui menaçait de l’absorber. Comment parvenait-elle à distinguer autant de détails ? Comment était-ce possible ?

    Elle avait toujours connu la ville scintillante, pulsante, stroboscopique. La ville lui avait toujours fait mal aux yeux. Elle avait grandi avec ces toiles de brume vaporisées entre les immeubles, à l’horizontale, et servant de faux-plafonds publicitaires. Il y en avait plusieurs couches à des altitudes variées afin que chacun puisse en profiter dans les étages. Elle n’avait jamais connu le ciel. De nuit comme de jour, l’air était juste une glu de lumière, de couleurs et de messages défilant en surimpression. Alors, elle s’était imaginée que la nuit allait être noire. Elle s’était trompée.

    La foule entière levait les yeux au ciel. À côté d’elle, la vieille femme pleurait en silence, émue. Les immeubles se détachaient sur un poudroiement d’or. En l’absence de pollution lumineuse, la Voie Lactée emplissait tout l’espace, exposant sa tranche sertie de nébuleuses et de poussières. Sur l’horizon sud, le bulbe galactique paraissait énorme. Le ciel était si lumineux que les bâtiments et les gens projetaient des ombres sur le sol.

    Peu importait que cette panne dure quelques heures ou quelques jours. Peut importait qu’elle touche la ville ou l’ensemble de la planète.

    Pour la première fois de sa vie, elle voyait les étoiles.

     

    Amandine

  • 209 — [NMN2017] La vengeance est un plat qui se mange froid

    Une phrase donnée par Mlle Cup of Tea, merci à elle !

    Elle était un peu directive, mais c’était amusant. Enjoy 🙂


    02h37. Le smartphone à la pomme bipa 2 fois :

    Je l’ai tué… Il a eu une crise cardiaque et j’ai éloigné le téléphone de lui avant qu’il ne puisse appeler des secours

    Francesca relut le message trois fois. Pourquoi avait-il fallu que Kelly écrive ça en toutes lettres ? Francesca s’assit sur le lit. Son premier réflexe avait été de taper une réponse, mais il était risqué de laisser encore plus de traces que ce message plein de culpabilité. Elle préféra appeler Kelly.
    Il n’y eut même pas de sonneries. L’autre jeune femme décrocha immédiatement.
    « Allo ?
    Sa voix était chevrotante, indiquant qu’elle avait pleuré.
    – Kelly, où est-ce que tu te trouves, maintenant ?
    – Je suis toujours à l’hôtel avec lui. Je ne sais pas quoi faire.
    – Tu as touché à quelque chose dans la chambre ?
    – Non, rien.
    – Tu es vraiment certaine de n’avoir laissé aucune empreinte à toi ?
    – Oui, j’ai fait très attention à garder mes gants.
    – Tu es bien arrivée avec ta perruque, comme prévu ?
    – Oui, je l’ai portée toute la soirée.
    – Très bien. Je te récupère au pied de l’hôtel et on va fêter ça.
    – D’accord. »
    Francesca soupira profondément. Elle était enfin débarrassée de son coureur de mari. Après même pas cinq ans de mariage, la voilà qui était veuve.
    Elle s’habilla rapidement d’un jogging appartenant à son mari pour être à l’aise dans ses mouvements puis sauta dans la Mercedes.
    À cette heure, un jour de semaine, il n’y avait personne dans les rues.

    Francesca avait rencontré Julien au travail. Elle était stagiaire et lui chef de bureau. Il lui avait tapé dans l’œil immédiatement avec ses larges épaules de rugbyman et son sourire enjôleur. Ils avaient rapidement entamé une relation, torride et secrète pour ne pas faire de vague avec la direction ou les collaborateurs de Francesca. Quand elle fut engagée définitivement, il fallut encore attendre quelque temps pour annoncer officiellement la relation, pour que les gens n’aillent pas dire que c’était la seule raison pour laquelle la jeune femme avait été engagée.
    Pendant ce temps, Julien avait tout fait pour brouiller les pistes. Et si Francesca voyait d’un mauvais œil la façon dont il faisait mine de draguer les autres femmes du service ou de l’entreprise, elle fut complètement rassurée le soir où il l’avait demandée en mariage. Elle ne s’y était pas du tout attendue et avait répondu « oui » sur le coup de l’émotion.
    Mais malgré l’officialisation de leur relation, Julien avait continué à jouer les jolis cœurs avec tout ce qui portait une jupe et passait à portée de sourire.
    Jour, Kelly était apparue. Nouvelle stagiaire, grande, mince, blonde, une bouche avenante, un carriérisme à toute épreuve.
    Dès qu’elle l’avait vue, Francesca l’avait prise pour une rivale parce que dès qu’il l’avait vue, Julien avait sorti son plus beau costume de charmeur.
    Quand Francesca lui montrait son mécontentement quant à son attitude, Julien la rassurait en lui disant qu’il ne faisait que garder ce personnage qu’il s’était créé et que tout le monde connaissait, mais qu’il n’aimait qu’elle et qu’elle n’avait rien à craindre.
    La stagiaire, à son tour, fut embauchée. Au plus grand déplaisir de Francesca. Pourtant, Julien lui promettait qu’il n’avait rien à voir là-dedans, qu’il avait même poussé pour que cette Kelly ne soit pas prise, parce qu’en vrai, il avait peur qu’elle lui bouffe sa place.
    Effectivement, Kelly montait rapidement les échelons de la boîte, au point qu’elle se retrouva l’adjointe de Julien. Francesca ne décolérait pas. Comment Julien pouvait-il laisser la direction faire cela ?
    Ses soupçons étaient déjà présents, mais quand les deux furent envoyés à plusieurs reprises en séminaires à l’autre bout du pays, parfois même à l’étranger, Francesca n’y tint plus. Elle menaça Julien de demander le divorce. Il ne comprenait pas ce qu’elle lui reprochait, jurait aux grands dieux qu’il était obligé de le faire pour la boîte et qu’il n’y avait rien de plus qu’une relation professionnelle entre Kelly et lui. Pour essayer de la rassurer, il lui envoyait des photos durant ses voyages, l’appelait régulièrement, ce qui avait tendance à rassurer Francesca, mais qui n’arrivait pas à effacer ce fond de méfiance qu’elle ressentait. Comment ne pas être jalouse de Kelly qui était une gravure de mode en plus d’être super compétente dans son boulot ?

    Quand Francesca arriva au pied de l’hôtel, Kelly l’attendait déjà sur le trottoir opposé, sous l’allée d’arbres qui surplombait les quais. Francesca descendit pour faire la bise à son ancienne rivale. Kelly affichait un sourire de façade. Il cachait mal l’état de la jeune femme. Francesca voyait bien qu’elle était fébrile.
    « Comment ça s’est passé ? demanda-t-elle en passant une main amicale et rassurante sur les cheveux puis l’épaule de Kelly.
    – Nous nous sommes retrouvés comme prévu à 19 heures. Il m’a emmené dîner. Comme souvent, il a répondu à un appel et s’est éloigné pour discuter. C’est là que j’ai mis les médicaments dans son verre. Il a tout bu sans se rendre compte de rien. Ensuite, nous sommes allés au ciné et nous sommes arrivés ici. Je commençais à me demander si la dose était suffisamment forte, mais dès que nous sommes entrés, il s’est posé sur le canapé, l’air plus fatigué que d’habitude. Il a sorti son téléphone sans savoir pourquoi, il avait l’air un peu perdu. Je lui ai pris le téléphone des mains pour le poser sur la table basse en lui faisant croire qu’on allait… enfin, tu vois quoi. Et là, il a mis sa main à la poitrine en grimaçant. J’ai compris qu’il était temps, mais il bougeait encore. Il a essayé d’attraper son portable pour appeler à l’aide, je pense, mais je l’ai repoussé de quelques centimètres… Si tu avais vu le regard de surprise et de désespoir qu’il m’a lancé. »
    Kelly fut prise d’un frisson en revoyant la scène passer devant ses yeux.
    « J’aurais bien aimé voir ça, répondit Francesca.
    – Il n’était pas beau à voir. Je crois qu’il a vraiment eu mal.
    Francesca eut un rire sec.
    – Bien fait pour lui. C’est le prix pour nous avoir menées en bateau, toi et moi.
    – Peut-être… répondit Kelly, les yeux dans le vague.
    Elle avait l’air de regretter un peu son geste, mais ce qui était fait était fait.
    – C’est quoi ces fringues moches ? demanda Kelly devant l’accoutrement de Francesca, pourtant habillée habituellement avec goût.
    – Je me suis endormie et quand j’ai vu ton message, j’ai enfilé le premier truc venu. Manque de bol, c’était un jogging de Julien, mais comme je ne voulais pas te faire attendre toute seule trop longtemps… Tu veux la conduire ? Changea de sujet Francesca en agitant les clefs de la Mercedes. C’était la sienne et je pense que je vais la vendre quand tous les papiers seront réglés, alors si tu veux tester et te faire plaisir, c’est maintenant ou jamais.
    Cette proposition tira Kelly de ses remords.
    – Pourquoi pas ? »

    Toujours méfiante malgré les nombreuses preuves de probités que Julien lui donnait, Francesca continuait de se méfiait. À chaque voyage, à chaque nuit qu’il ne dormait pas à la maison, elle cherchait une preuve de la culpabilité de son mari, mais sans en trouver aucune. Il arrivait à maquiller tous ses déplacements et toutes ses factures pour que ses escapades restent secrètes. Et ce ne fut que grâce à une amie qu’elle eut la certitude que son mari la trompait avec Kelly. L’amie les avait vus enlacés dans la rue, en train de s’embrasser. Elle avait immédiatement appelé Francesca pour lui dire. Et l’épouse trahie, loin d’avoir explosé face à son mari, était directement allée voir sa maîtresse pour mettre les choses au clair.
    Francesca avait attendu Kelly un soir, à la fin du service, feignant de vouloir discuter avec elle d’un dossier important. Quand elle fut dans le bureau de cette femme, Francesca resta calme et froide.
    « Depuis combien de temps tu te tapes mon mari ?
    – Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? demanda Kelly, sincère. Tu as demandé le divorce alors c’est quoi le problème ? »
    Francesca bloqua un instant en entendant cette réponse.
    « C’est Julien qui t’a raconté ça ? Il t’a dit que j’avais demandé le divorce ? Quel salaud !!
    – Quoi ? Il a menti ?Il m’a dit que tu avais demandé le divorce, mais que c’était un peu compliqué à gérer pour l’instant, à cause du contrat de mariage, que ça prendrait du temps, mais qu’une fois que ce serait réglé, on pourrait vivre tranquillement notre amour.
    Francesca se mit à rire.
    – Il t’a baisé autant que moi, j’ai l’impression. Il n’a jamais eu l’intention de divorcer. Il ne m’en a jamais parlé en tout cas et moi, jusqu’à maintenant, je n’en avais pas l’intention. Mais dis-toi bien que je vais me battre pour qu’il crache au bassinet tant qu’il pourra et que je ne lui laisserai que des miettes. Tu te retrouveras avec un type fauché et obligé de payer jusqu’à la fin de sa vie pour moi.
    Kelly réfléchit un instant.
    – Non, mais je m’en fous, en fait. Comme tu l’as dit, je me suis fait baiser aussi. Peut-être même plus que toi, parce que moi, j’ai cru à ses promesses, mais j’ai juste perdu mon temps… »

     

    La Mercedes filait le long des quais. Kelly goûtait la vitesse. Elle avait besoin d’un nouveau shoot d’adrénaline pour faire passer celui reçu face à la mort de Julien. Elle se sentait mieux. Elle se sentait libérée d’un poids. Kelly ne regrettait pas d’avoir rencontré Francesca, même si ça avait été dans ces circonstances étranges. Elles étaient rapidement devenues amies, compagnes dans l’infortune. Julien ne se rendait compte de rien, trop sûr de lui et de ses stratagèmes pour cacher à l’une et à l’autre son jeu.

     

    « Tiens ! Arrête-toi là, dit soudain Francesca en indiquant une descente sur les quais. On va boire un coup pour fêter ça !
    – Boire un coup ? s’étonna Kelly.
    – J’ai une bouteille de vin dans le coffre. Elle doit être un peu chaude, mais… »
    Kelly sourit et dirigea la voiture vers le chemin indiqué. Une fois le moteur coupé, la ville retrouva son calme nocturne. Francesca et Kelly sortirent de la voiture, les portes claquèrent comme des coups de feu dans la nuit.
    « On va se poser sur le banc là-bas ? » demanda Francesca qui ouvrait le coffre.
    Kelly ne répondit que par un hochement de tête.

     

    Francesca était bien décidée à demander le divorce et à faire payer Julien tout ce qu’il était possible, mais il avait dû prévoir le coup. L’avocat à qui elle fit examiner son contrat de mariage lui confirma qu’il serait difficile de gagner quelque chose. Francesca n’avait pas vraiment fait attention à ce point quand elle s’était mariée. Elle se rendit compte, ressassant ses souvenirs, que la demande en mariage n’avait pas vraiment émané de lui. Surpris presque sur le fait par Francesca, Julien avait essayé de trouver un bobard qui tiendrait la route. D’après lui, il lui préparait une surprise. Et c’était Francesca qui avait demandé fébrilement si c’était une demande en mariage ou quelque chose comme ça. Julien, acculé et sans autre idée, avait dû répondre par l’affirmative. L’annonce avait rapidement circulé dans toute la boîte et il n’avait pas pu faire marche arrière. Julien avait quand même réussi à sauvegarder son patrimoine en faisant signer à la jeune femme ce contrat qu’elle ne lut pas. Elle était tellement amoureuse qu’elle aurait été prête à vendre son âme au diable sans regarder si Julien le lui avait demandé. C’était en découvrant ces détails qu’elle avait décidé que devenir veuve serait le seul moyen de réparer, suffisamment à son goût, le préjudice et pour faire payer ce salaud. Ce ne serait pas très compliqué. Julien avait des gros problèmes de tensions : beaucoup de stress dans son boulot, des gros repas avec ses clients, une base familiale propice… Tout y était. Il n’y avait qu’à surdoser un peu les médicaments et le tour serait joué.

     

    Assises sur un banc, à regarder les flots sombres qui se détachaient dans les reflets des lumières de la ville, Francesca et Kelly discutaient. La bouteille de vin n’était pas encore ouverte, mais les deux femmes riaient en se rappelant comment ce salaud de Julien les avait prises pour des connes et comment à trop en vouloir, il les avait perdues, elles et tout le reste.

     

    Alors que Francesca avait détesté Kelly dès la première seconde, celle-ci s’était immédiatement sentie fautive et responsable de la situation tout en montrant sa bonne foi. Elle pensait sincèrement qu’entre Francesca et Julien, tout était fini. Dès qu’elle avait appris la vérité, elle avait arrêté de répondre aux messages du mari coureur, avait tout fait pour l’esquiver ou ne pas se retrouver seule dans la même pièce, mais ce jeu n’avait pas pu durer très longtemps. Julien se faisait plus pressant et Kelly n’arrivait pas à lui parler de Francesca et de cette vérité qu’elle connaissait à présent.
    Et c’est vers Francesca qu’elle se tourna pour parler de tout ceci. La femme trompée reçut d’abord les états d’âme de la maîtresse avec circonspection sinon avec suspicion, mais elle comprit vite que Kelly devenait une allier pour ses projets.
    Elle serait même le vecteur de sa vengeance et ensemble, elles seraient l’alibi l’une de l’autre.

     

    Le « pop » du bouchon extrait du goulot par Francesca résonna contre le mur derrière les deux femmes, contre les flots, contre les piles du pont non loin, puis s’évanouit dans la nuit.
    Francesca tendit la bouteille à Kelly.
    « Je n’ai pas de verre, par contre, alors je te laisse l’honneur ! »
    Kelly la remercia et but directement au goulot, une bonne rasade. Elle fêtait autant de pouvoir être grisée par les effets de l’alcool que de s’être débarrassée de celui qui s’était bien foutu d’elle. Elle rendit la bouteille à Francesca qui la porta à ses lèvres mais se ravisa.
    « Tu sais, Kelly, eu début, j’ai vraiment cru que tu te fichais de moi. Je t’en ai vraiment voulu. En plus, tu es montée super rapidement dans la boîte alors que moi, même mariée à ce connard, je galère à faire reconnaître mon boulot et mon talent…
    – Pourtant tu es mériterait amplement sa place, répondit Kelly pour rassurer son amie.
    – Maintenant qu’il est mort, je me demande si je vais rester dans la boîte ou changer.
    – Tu veux partir ? Tu as des opportunités ? Ça serait génial pour toi. »
    Francesca allait boire une gorgée, mais elle se stoppa pour regarder Kelly dans les yeux, cherchant à savoir si elle était sincère ou non.
    « Je ne sais pas encore, en fait. Mais maintenant qu’il y a une place qui vient de se libérer, je pense que les choses vont déjà bouger en interne…
    Francesca de son index retroussa son gant pour laisser apparaître sa montre.
    – Sans compter, reprit-elle, qu’en fait, il y a deux places qui se libèrent. »
    Le regard de Kelly courut plusieurs fois de la montre aux yeux froncés de Francesca. Elle cherchait à comprendre. Le silence tomba. Posant ses yeux sur la bouteille, Kelly se rendit compte que la toute récente veuve n’avait pas encore bu et avait gardé ses gants, comme elle lui avait dit de faire, pour éviter de laisser des empreintes digitales, alors qu’elle portait un jogging trop grand appartenant à Julien, sûrement pour éviter de laisser des fibres compromettantes de ses propres vêtements .
    « Les gens comprendront que tu n’acceptais pas de partager mon mari qui ne voulait pas divorcer et que, folle de rage et d’amour, tu l’as tué avant de te rendre compte de ton geste et de venir ici avec sa bagnole pour t’empoisonner à ton tour. »
    Kelly bondit sur Francesca qui l’esquiva avec facilité. Restée immobile, Kelly ne s’était rendue compte de rien, mais à présent qu’elle bougeait, elle sentait ses mouvements ralentis, engourdis, imprécis. Sa tête était lourde.
    Francesca souriait. Elle tira d’une des poches de son jogging une enveloppe.
    « Tu expliques tout dans cette lettre d’adieu… Moi, je serai la veuve éplorée qui n’a rien vu venir et qui récupèrera tout. En jouant bien et en inspirant de la pitié dans la boîte, je devrais même réussir à monter en grade. »
    Kelly essaya d’articuler une insulte, mais sa bouche pâteuse ne répondait plus. Ses jambes suivirent et elle s’écrasa par terre, terrassée par ce que Francesca avait mis dans le vin. Celle-ci s’agenouilla pour ouvrir le sac à main de Kelly. Elle en tira son portable, le déverrouilla avec le doigt inerte de la jeune femme consciente mais incapable de bouger, puis effaça toute la conversation SMS qu’elles avaient pu entretenir et même sa fiche de contact. Elle rangea le téléphone dans le sac à main et enfouit en même temps la fausse lettre d’aveux et les clefs de la Mercedes. Francesca déposa ensuite la bouteille sur le banc et la poussa délicatement pour la faire tomber faisant croire qu’elle avait été emportée dans la chute de la maîtresse éplorée.

    La veuve, débarrassée de sa rivale, quitta les quais le cœur léger et l’avenir radieux, sans même un regard à sa deuxième victime. Elle remonta sur la rue, marcha une centaine de mètres et retrouva sa petite Micra qu’elle avait laissée là l’après-midi même pour pouvoir rentrer chez elle sans être vue dans les transports en commun, de toute façon trop rares à cette heure. Elle n’aurait plus qu’à se débarrasser du jogging pour effacer toutes traces pouvant remonter à elle.


    Par ici pour le texte de Miki.


    Vous aimez ce que j’écris, soutenez-moi par
    Soutenez-moi par Tipeee.com

  • 208 — [NMN2017] Jehan et la princesse

    Voici la nouvelle de la semaine. La phrase de Sheldon Lymchat (oui, encore une fois) a été choisi par ma comparse Miki.

    Si elle vous plaît partagez-là, si elle ne vous plaît pas, dites-en du mal sur les réseaux sociaux, on sait jamais, sur un malentendu, comme dirait l’autre. 😀


    « Je croyais que vous étiez quelqu’un de bien… mais, en fait, les gens comme vous, ils meurent et ils vont en enfer. »

    Cette phrase avait claqué presque aussi fort que les mains de Jehan. L’écuyer téméraire écarta lentement les mains tout en essayant de comprendre ce que cette princesse venait de dire. Il décolla du bout de l’ongle le moustique écrasé sur ses phalanges puis s’essuya la main contre sa culotte déjà salie par toutes les péripéties qu’il avait traversées durant son voyage.

    « Je vous demande pardon ? lança-t-il à la princesse.
    – Vous êtes là, tout sourire, à me ramener à votre maître, mais vous n’avez pas plus d’honneur que ces bandits qui m’ont emmenée ! »

    Jehan ne comprenait vraiment pas pourquoi la jeune femme était tout à coup aussi agressive avec lui.
    Ce jeune homme de tout juste vingt ans avait été envoyé par son maître, le seigneur Luc, pour aller sauver la fille du roi. S’il réussissait, Jehan serait adoubé chevalier avec les honneurs et le seigneur Luc gagnerait la main de la princesse, même s’il était plus vieux qu’elle d’au moins quinze ans.

    La mission de l’écuyer n’était pas simple. Il l’avait su dès le départ. D’ailleurs, savoir que sa seule récompense en cas de réussite serait d’être adoubé le frustrait, surtout que la seule autre issue à cette mission de sauvetage ne pouvait être que sa mort. Mais Jehan espérait qu’avec cet heureux mariage qui rendrait forcément le seigneur Luc bien plus riche, il recevrait quelques avantages financiers.

    Le voyage avait été compliqué et long. La princesse avait été enlevée par une bande d’orcs alors qu’elle se promenait en forêt. Pourquoi une princesse se promenait seule en forêt était une question à laquelle Jehan n’avait toujours pas de réponse, mais il espérait bien lui demander à un moment. S’il réussissait à la sauver, évidemment.
    Après plus de trois semaines de voyages à travers des landes plus ou moins habitées, des forêts dangereuses emplies de bêtes sauvages, des montagnes peuplées de lutins hargneux, des marécages dont les nombreux cadavres n’étaient pas suffisamment morts au goût de l’écuyer, celui-ci était parvenu à atteindre l’antres des orcs qui retenaient la princesse prisonnière, non quelques fausses routes. Les bandits avaient demandé une rançon. Une très grosse rançon. Ce n’était pas que le roi ne voulût pas payer pour récupérer sa fille – quoique, Jehan se posait la question – mais le seigneur Luc, qui était plus prompt à faire le beau pour être bien vu qu’à agir, avait encore promis quelque chose sans savoir s’il pourrait s’y tenir : sauver la princesse. Et il avait, encore une fois, eu la chance de trouver en Jehan un exécutant discipliné et compétent. Le roi avait donc été assuré par Luc qu’il ne serait pas nécessaire de débourser une seule pièce d’or pour revoir sa fille chérie saine et sauve. Le roi, tout heureux de cette nouvelle – personne n’aurait su dire si c’était le fait de revoir sa fille ou celui de ne rien débourser –, avait laisser son vassal s’occuper de ce sauvetage.

    Les orcs avaient pris un vieux fortin en ruines pour campement. Il ne restait qu’un seul bâtiment tenant debout. D’ailleurs, Jehan se demandait comment il le pouvait encore. Le reste de la construction était au sol, un gros tas de pierres recouvertes de mousses et d’herbes folles.
    Jehan avait repéré le lieu en journée. Même en restant à bonne distance pour ne pas se faire voir, il avait pu compter une douzaine de bandits, mais il était difficile d’être sûr : ils se ressemblaient tous et leurs équipements aussi. Le plus sage était d’intervenir de nuit quand l’attention des gardes serait la plus anesthésiée par le sommeil. La lune était belle en ce moment et le ciel dégagé permettrait de voir suffisamment. Il dormit bien à l’abri, dans les profondeurs de la forêt, à une demi-lieue du fortin. Il avait préféré prendre du repos plutôt que de veiller jusqu’au moment de son assaut.
    À la cour du seigneur Luc, certains avaient dit que Jehan était très téméraire, voire suicidaire, de partir seul pour un périple qui serait clairement fort dangereux, mais l’écuyer préférait régler ce genre d’affaires seul. Le fait que Luc fût si pingre qu’il n’avait pas voulu payer en avance pour ce voyage, avait aussi dissuadé les rares volontaires qui s’étaient d’abord montrés intéressés.

    L’écuyer avait attaché sa monture à un arbre et laissé tout son matériel superflu auprès de l’animal. Pour l’attaque des orcs, il fallait qu’il soit à l’aise, le plus léger possible, libre de ses mouvements autant que faire se pouvait. Il n’avait gardé qu’une dague et une épée, son arc et ses flèches.

    Évidemment, il y avait des gardes. Deux. Les autres dormaient dans la dernière partie du fortin encore debout. Les gardes patrouillaient sur les ruines de ce qui avait été, un jour, le chemin de garde. Ils marchaient, plus concentrés sur l’endroit où ils posaient leurs pieds que sur l’horizon de toute façon trop obscur.

    Le fort avait été construit en haut d’une petite colline, à flanc de roche. Jehan se servit de ce terrain accidenté pour s’approcher des ruines.
    Les deux gardes faisaient le tour de l’enceinte, chacun à un bout. L’écuyer décocha une flèche mortelle au premier garde. Le second entendit le bruit du corps qui s’écrasa à l’extérieur des anciennes fortifications et hâta le pas pour voir ce qu’il se passait. Il appelait son comparse, en vain. Quand il fut dans la ligne de mire de Jehan, une seconde flèche fendit l’air et se ficha dans la poitrine de l’orc. Il ne mourut pas sur le coup, mais ses souffrances ne durèrent pas. Et ces cris furent presque inaudibles.
    Jehan resta un instant immobile, prêt à abattre tous ceux qui viendraient à la rescousse, mais la nuit resta calme et immobile. Les deux gardes avaient été éliminés sans éveiller les soupçons des autres.
    L’écuyer s’approcha du premier garde. Il lui fit les poches et récupéra une bourse peu remplie, un collier en argent orné de pierres semi-précieuses et les flèches dans le carquois. Même de mauvaise qualité, mais mieux valait les avoir plutôt que de se retrouver sans rien à tirer. Jehan passa ensuite les murs d’enceinte éboulé, atteignant la cour du fort. Les traces de combats dans la poussière au sol montraient que ces orcs s’entraînaient régulièrement. Il ne devait pas baisser sa garde et rester concentrer.
    La porte du morceau encore debout du fort s’ouvrit sans soucis. Le sauveur entra le plus silencieusement possible dans la pièce, basse mais large, dont la grande cheminée réchauffait avec peine le volume de ses braises en fin de vie. Il y avait là au moins cinq orcs, mais pas de princesse. Les orcs dormaient à même le sol sur des tas de paille aussi fin qu’un drap.
    Jehan savait qu’il ne pourrait pas survivre à un combat seul contre ces cinq là. Il valait mieux la jouer fine. Certes, il n’y avait rien d’honorable à assassiner des gens dans leur sommeil, mais ils avaient enlevé la princesse et auraient été jugés à mort face à un tribunal pour cela. Sans compter que décider de ce qui était honorable ou non était quelque chose de facile assis autour d’une table de banquet à essayer d’impressionner ses invités, alors, qu’en pleine action, rester en vie était plus important que d’être honorable.
    L’écuyer tira la dague de sa botte et s’approcha du premier comparse. Même allongé, on pouvait voir que c’était une montagne de muscles. Il ne fallait pas rater son coup.

    Égorger un à un les six orcs – l’un d’eux n’était pas visible de l’entrée de la pièce – prit plus de temps à Jehan qu’il l’avait d’abord pensé. Heureusement, tout s’était passé sans soucis. Aucun d’eux n’avait eu le temps d’alerter les autres avant de lâcher leur dernier souffle. Évidemment, avec la gorge tranchée et un bon morceau de tissu posé contre la bouche, il était difficile d’émettre un son clair. Les ronflements de certains avaient également aidé.
    Jehan fouilla rapidement la pièce. Il n’y trouva rien d’intéressant. Il devait se dépêcher, la nuit allait bientôt tirer sa révérence, le reste de la bande n’allait pas tarder à se lever.
    À l’autre bout de ce dortoir improvisé, l’écuyer trouva une porte donnant sur un escalier qui s’enfonçait dans le sol. Il passa sa dague à la main gauche et dégaina son épée. Dans les espaces restreints comme celui-ci, mieux valait s’attendre à tout.
    Il descendit les marches, toujours furtif. Il n’entendait rien qui venait d’en bas. Si les autres orcs s’y trouvaient, ils devaient dormir profondément aussi.
    L’humidité augmentait au fur et à mesure qu’il descendait. En bas, le sol était poisseux. Les murs ruisselaient. La lumière d’une torche vacillante éclairait avec difficulté le bas des escaliers. Jehan marchait lentement, sans faire de bruit. Il avait fait quelques pas dans le couloir de ce sous-sol quand à un angle, il tomba nez à nez avec un des bandits. Tout deux surpris, chacun réagit à la vitesse de l’éclair, mais Jehan, les armes déjà en main, put embrocher l’orc avant que celui-ci n’eût le temps de tirer sa hache. Malheureusement, le cri de surprise et le vacarme alarmèrent les autres.
    Jehan essaya de réfléchir rapidement.
    Il remonta en haut de l’escalier, montant les marches quatre par quatre. Une fois en haut, après avoir rangé sa dague et presque jeté son épée à ses pieds, il tira une poignée de flèches et les posa au sol en s’agenouillant. Jehan reprit son arc et prépara une flèche, visant le bas de l’escalier, près à la décocher entre les deux yeux du premier orc qui se présenterait.
    L’écuyer entendit des grognements et une discussion. Ils étaient en train d’examiner le corps de leur compère transpercé. Le premier n’allait pas tarder à arriver.
    Comme prévu, la flèche de Jehan se planta dans le front de cet orc. L’humain n’eut que le temps d’en attraper une autre qu’un second orc arrivait et montait déjà l’escalier, se protégeant d’un bouclier. Jehan tira malgré tout, sans effet. Il jeta son arc et reprit son épée. Ne laissant pas le temps à l’orc de baisser son bouclier, il lui sauta dessus les pieds en avant et lui fit redescendre les marches en un mortel roulé-boulé. Jehan se remit sur pied avec agilité. D’après ce qu’il avait compté, il ne restait plus qu’un seul bandit.
    Il resta immobile un instant, assourdi par le bruit de son cœur qui battait à tout rompre.
    Il attendit de longues minutes.
    Personne ne vint. Le dernier orc devait l’attendre. Jehan espérait surtout qu’il n’y en avait pas plus qu’un.

    Jehan attendit encore un instant. Il n’y avait plus de bruit. Il s’apprêtait à redescendre à l’assaut quand une voix aiguë déchira le silence, agressant ses oreilles.
    – Hé ho ! Il y a quelqu’un ? Je suis là ! Faite-moi à sortir.
    Ce devait être la princesse. Aucune femme orc n’avait la voix aussi haut perchée. Et il n’en avait vu aucune lors de sa reconnaissance, plus tôt.
    – Princesse Rosa ? cria en retour Jehan.
    – Oui ! C’est moi ! Dieu soit loué, vous êtes venu me sauver ?
    – Oui. Est-ce qu’il y a encore de ces monstres près de vous ?
    – Non, je suis seule et je suis dans le noir ! Venez me sortir de là !
    Jehan fouilla les corps des derniers cadavres. Après avoir récupéré quelques pièces d’or supplémentaires, il tomba sur un trousseau de clefs qui, il espérait, ouvrirai la geôle de la princesse.

    Quelques minutes plus tard, le futur chevalier et la princesse ressortaient du bâtiment. Il sembla à Jehan qu’il était encore plus sur le point de s’effondrer qu’en y entrant.

    Une fois à l’air libre, la princesse s’étonna :
    – Où est votre cheval ?
    – Je l’ai laissé en sécurité dans la forêt. Je ne voulais pas me faire repérer.
    – C’est loin ? s’enquit la princesse.
    – Une demi-lieue, tout au plus.
    La jeune femme soupira lourdement. Le fait de devoir marcher au milieu de la nuit après avoir été enfermée pendant près d’un mois ne l’enchantait guère.

    Quand ils atteignirent la lisière de la forêt, le soleil se levait. Jehan commençait à sentir la fatigue.
    Et ce n’était pas simplement dû à la longue nuit. La princesse montrait un caractère des plus détestables, une gamine à qui tout le monde avait passé les moindres de caprices depuis sa naissance et qui n’avait fait que se plaindre depuis sa sortir du fortin.
    Jehan comprenait pourquoi personne n’avait voulu l’épouser jusqu’à maintenant, même avec la dot que le roi pouvait offrir. Son moral en prit encore un coup en se disant qu’il faudrait au moins trois semaines pour retourner au château de seigneur Luc et qu’il serait difficile de laisser la princesse bâillonnée tout ce temps.
    Une fois arrivé à la monture, la princesse se plaint encore une fois :
    – Quoi ? Vous n’avez qu’un cheval ? Mais il va nous falloir des semaines, voire des mois pour rentrer chez moi !
    – Votre majesté, j’avais espéré pouvoir en prendre un aux bandits, mais on dirait qu’ils n’en avaient pas.
    – Je crois les avoir entendus dire qu’ils les avaient mangés. J’ai bien cru que mon tour n’allait pas tarder.
    Jehan pensa très fort que ça aurait peut-être été une bonne chose finalement. C’était fou. Il ne la connaissait que depuis quelques heures à peine et il avait déjà envie de l’abandonner là pour rentrer chez lui.
    Heureusement, Jehan était un écuyer sérieux et droit, il remplirait sa mission jusqu’au bout.
    Il s’assit contre un arbre, les bras croisés, les yeux fermés, bien décidé à dormir un peu avant de prendre la route, alors que la jeune femme montait sur le cheval.
    – Que faites-vous ? s’étonna-t-elle.
    – Je me repose. La nuit a été courte et s’il faut que je marche, je dois être en forme, donc il me faut dormir quelques heures.
    – Mais vous n’y pensez pas ! Mon père doit être mort d’inquiétude à mon sujet. Chaque minute, chaque seconde compte, alors ne perdons pas de temps. Détachez-moi ce cheval de cet arbre et allons-y !
    Un moustique volait autour de Jehan. Son bourdonnement était pourtant moins désagréable que la voix de la jeune femme.
    – Non, majesté. Votre sécurité dépend de mon état de vigilance. Si je dors, je serai plus à même de vous protéger pendant notre voyage.
    La princesse regarda son sauveur avec un dégoût et colère.
    – Je vous ordonne de détacher ce cheval et de me ramener immédiatement à mon père. Sans quoi, je le ferai vous pendre dès notre retour.
    Jehan resta silencieux, les yeux écarquillés de surprise. Comment pouvait-elle menacer la seule personne apte à la ramener chez elle ? Il ne comprenait pas. Surtout, il ne revenait pas qu’on puisse lui dire pareille méchanceté après tout ce qu’il avait fait.
    L’écuyer regarda la jeune femme dans les yeux.
    – Écoutez-moi bien, je viens de passer trois semaines à risquer ma vie pour vous sortir de ce trou et en moins de quatre heures, vous avez réussi à me donner l’envie de vous y recoller. Alors maintenant, vous me laissez dormir. Nous repartirons dans deux heures. Fin de la discussion.
    La princesse regarda cet homme un instant. Jamais personne ne lui avait parlé sur ce ton, jamais personne n’avait osé. Elle était presque en larmes. Jehan ne savait pas si c’était parce qu’il avait été un peu brusque, mais il comptait bien se reposer avant de reprendre ce voyage qui allait être long.
    Le moustique lui tournait toujours autour. D’un mouvement rapide, il frappa des mains pour écrabouiller la bestiole volante alors que la princesse lâchait sa phrase :
    – Je croyais que vous étiez quelqu’un de bien… mais, en fait, les gens comme vous, ils meurent et ils vont en enfer.
    Ce voyage allait être interminable.


    N’oubliez pas d’aller voir le texte de Miki par ici.


    Pour celles et ceux qui voudraient participer à l’aventure, même ponctuellement, voici la phrase pour la semaine prochaine, donnée par Mlle Cup of Tea :

    « 02h37. Le smartphone à la pomme bipa 2 fois : Je l’ai tué … il a eu une crise cardiaque et j’ai éloigné le téléphone de lui avant qu’il ne puisse appeler des secours. »


    Soutenez-moi par

  • 207 — [NMN2017] Les morceaux de chaussettes

    Ça y est, c’est parti. Le nouveau marathon de la nouvelle 2017 est officiellement lancé. On commence par une phrase de Sheldon Lymchat, parce que c’est lui qui m’a motivé à me relancer dans cette expérience et que ça phrase m’a inspiré (enfin, je crois).

    Comme d’hab’, n’hésitez pas à partager, commenter, dire que vous aimez ou non.
    Les offrandes sous formes de chocolat et de sushis sont acceptées 😉

    Cette nouvelle fait environ 2650 mots. Enjoy !


    Pourquoi, quand on enlève nos chaussettes, il nous reste toujours des petits bouts de chaussettes entre les orteils ? La race humaine a colonisé la Lune, Mars et Neptune. Nous avons visité près d’un quart de la galaxie, fait la guerre à des centaines de races plus ou moins hostiles, réussi à maîtriser le réchauffement climatique de la Terre et à la sauver, nous pouvons voyager à la vitesse de la lumière, voyager dans le temps (ça reste encore très expérimental, ça ne marche pas à tous les coups mais les débuts sont encourageants), et pourtant, malgré toutes nos sciences et nos avancées technologiques quand on enlève nos chaussettes, il reste toujours ces putains de petites bouloches entre les doigts de pied.
    Perso, moi, je ne comprends pas. Comment on peut être plus puissant que n’importe quel dieu n’importe quelle race rencontrée et ne pas pouvoir réussir à régler ce petit problème.
    Enfin, je dis ça, c’est pas forcément vrai. Si on prend des fils un peu plus résistants que des fibres naturelles, on n’a plus ce problème de bouloches, mais on transpire comme un cochon, donc ça ne va pas non plus. Cela dit, je ne suis pas certain qu’un cochon, ça transpire vraiment des pieds.
    « Hey ! Gustave ! Tu rêves ou quoi ? Tu vas encore te faire sanctionner si tu t’actives pas ! »
    Ernest me tire de mes pensées. Le menton posé sur mes mains, elles-mêmes posées sur le manche de ma serpillière, j’étais encore parti loin.
    « Tu pensais à quoi cette fois ?
    – Aux petits bouts de chaussettes dans les chaussettes.
    – Ça me dérange pas, moi… Et est-ce que ça vaut vraiment un jour non payé ou de se faire virer parce que tu t’es arrêté en dehors du créneau de pause ?
    – Non, tu as raison. En plus, j’ai bientôt fini. »

    Je termine mon boulot. Il est tard, il fait nuit depuis plus de quinze jours. C’est la période où ça commence à être lourd. Presque autant à tenir pourtant. Il n’y a pas que des avantages à vivre sur la Lune. Je rentre chez moi. Sur le chemin, je vois les bars pleins de clients. J’irais bien y faire un tour, mais je suis obnubilé par cette question sur les chaussettes. Pourquoi est-ce que personne n’a trouvé de solution ? Ou alors, les riches ont d’autres produits dont on nous parle pas, à nous, les sous-fifres, des produits qui empêchent de transpirer et qui ne font pas cette sensation désagréable de bouloches entre les orteils. Je n’aime pas ça. Et je n’aime pas cette idée que les riches pourraient ne pas connaître ce problème alors que nous, si. Ce n’est pas parce que je suis un simple nettoyeur que je n’ai pas le droit d’avoir une meilleure qualité de vie.

    Arrivé chez moi, je sursaute en trouvant quelqu’un dans mon canapé, une de mes bières à la main. Après avoir manqué une crise cardiaque parce que mon appartement est programmé pour n’ouvrir qu’à moi, je regarde l’inconnu plus précisément. Il a posé la bière sur la table basse en se levant et vient vers moi. J’ai l’impression d’être face à un miroir déformant. C’est comme si je me voyais…
    « Oui, je suis toi plus vieux, dit le type, l’air extatique.
    – Pardon ?
    – Je suis toi. Je suis Gustave. Mais je viens du futur donc je suis plus vieux.
    – C’est impossible. Pour remonter le temps, il faut des accélérateurs subquantiques et une quantité astronomique de roche des anciens anneaux de Saturne, et, pour l’instant, on n’a pas réussi à faire voyager d’être vivant. C’est très drôle, mais je ne sais pas qui vous êtes, monsieur, ni comment vous avez réussi à entrer chez moi, alors il va falloir partir sinon, je me verrai contraint d’appeler les forces de l’ordre.
    – Je les connais aussi, les cours, je les ai suivis aussi. Mais sérieusement, j’ai réussi à fabriquer un engin miniature pour voyager dans le temps. Plus besoin d’accélérateur gigantesque, plus besoin de roche saturnienne, plus besoin de tout ça. »
    Je reste debout, prêt à intervenir face à ce type, qui m’a l’air un peu dérangé. Si ce n’était notre ressemblance flagrante, je crois que j’aurais déjà appelé de l’aide.
    « Pourquoi venir me voir moi et pas l’annoncer à tout le monde, aux scientifiques, recevoir le prix Nobel, devenir riche et célèbre ?
    – Parce que c’est le premier voyage que je fais, le premier test concluant ! Je viens de revenir cinq ans en arrière ! D’abord, j’ai cru que je m’étais encore planté dans mes calculs, et puis j’ai remarqué que l’appartement n’était pas rangé exactement de la même façon. En fait, je n’ai pas bougé.
    – Et tu es là depuis combien de temps ? J’imagine que tu n’as pas voyagé avec ta bière.
    Il jette un coup d’œil à la canette.
    – Je savais que tu n’allais pas tarder à rentrer, je me souviens encore de mes horaires de l’époque. En attendant, je me suis servi dans le frigo. C’est un peu chez moi, ici.
    – Super, donc maintenant qu’on s’est vus, tu peux retourner chez toi et annoncer ça au monde entier. Non, mieux. Explique-moi comment tu as fabriqué cette machine que je la fabrique tout de suite pour devenir riche maintenant.
    – Toujours l’esprit pratique, je me reconnais bien là ! »
    « Pop ». C’est le son de l’air qui remplit le vide laissé par le départ inattendu de mon moi du futur.
    Ah ! Ben merde ! Je reste là, comme un rond de flan, sans savoir si j’ai vraiment vu ce que j’ai vu ou si ce n’étaient que des hallucinations dues à la fatigue.
    La canette de bière restée sur la table basse prouve qu’il y avait bien quelqu’un ici.
    Il m’en faut une, à moi aussi. Je vais vers la cuisine et je sursaute en voyant que j’y suis aussi. Enfin pas moi, l’autre moi.
    « Parce que t’arrives à te téléporter aussi ? T’aurais pu le dire plutôt que disparaître comme ça, sans prévenir !
    – Tu me confonds avec mon moi d’il y a cinq ans, me répond l’alter ego.
    – Quoi ?
    – Je suis arrivé dans ton salon il y a cinq ans et j’en suis reparti sans le vouloir. Et j’ai mis cinq ans pour réussir à revenir. »
    Je me regarde à nouveau. C’est vrai que je ne suis pas habillé pareil et j’ai l’air plus vieux que tout à l’heure. Ça va, j’ai l’air de bien garder la forme, quand même. Je ne vais pas me plaindre.
    « Pourquoi il t’a fallu autant de temps pour revenir ? Je croyais que tu maîtrisais ?
    Je me vois faire une moue familière. Je suis gêné et je ne veux pas me l’avouer.
    – En fait, je ne maîtrisais pas. C’était une première tentative fructueuse. Il a fallu que je fasse d’autres tests, pour que je comprenne bien comment ça fonctionne. Et puis, j’ai fait quelques autres voyages avant de revenir ici. J’ai testé pour être sûr que ça marche bien avant de te donner toutes les informations. Parce que je nous connais. Si je ne te donne pas une solution clef en main, avec des explications précises, tu vas râler et t’énerver. Et c’est pas bon pour notre avenir. Je voudrais pas non plus réduire notre espérance de vie, hein.
    Je roule des yeux. Qu’est-ce que je peux être pipelette des fois ! Je comprends ma mère, maintenant, quand elle me le disait.
    – Venons-en au fait, s’il te plaît.
    – Je veux bien une bière. C’est bien pour ça que tu étais dans la cuisine, non ? Je me souviens bien avoir bu une bière après ma première rencontre avec le moi du futur.
    – Mais c’est toi, le moi du futur ! dis-je.
    – Là oui, mais quand j’ai fait le premier test, je suis arrivé ici, il y a cinq minutes et j’ai rencontré mon moi du passé, et donc j’ai aussi rencontré mon moi du futur. Et donc mon futur moi, enfin notre futur nous se souvenait de cette rencontre, comme je me souviens de la scène que tu viens de vivre des deux points de vue, moi jeune et moi moins jeune.
    – Je crois qu’il va me falloir plus qu’une bière.
    – Ah non ! Il faut garder l’esprit clair pour qu’on puisse travailler sereinement. Une bière et on bosse. »
    Je souffle. Je ne me savais pas si sérieux. Mais c’est vrai qu’acquérir un savoir durement acquis en dix ans par quelqu’un d’autre, ça ne va pas être simple. Surtout, si je veux l’amener à l’université en disant que j’ai tout fait tout seul, même si, après tout, ça n’est pas un mensonge, c’est vraiment moi qui ai fait tout ça, juste pas encore.
    J’ouvre le frigo et sors deux canettes. Je m’en donne une avant de retourner au salon. J’avale une gorgée et je vais chercher de quoi noter. J’aime travailler sur papier dans ces cas-là.
    « OK, donc on commence par où ? »
    J’entends simplement un « pop » comme réponse à ma question. Je me retourne et je ne suis plus là. Je me fous de ma gueule, j’ai l’impression. Je ne sais pas si je suis déjà une tête à claques comme ça, mais j’ai du mal à me supporter vieux. Il va falloir que je travaille dessus.
    Je me jette plus que je ne me pose sur le canapé. Je n’ai plus qu’à reprendre ma vie tranquillement en attendant que je réapparaisse…
    « Pop »
    Je me retourne et je me vois. J’ai encore pris un coup de vieux. Mais j’ai toujours mes cheveux. C’est déjà ça.
    « Combien de temps, cette fois ? dis-je.
    – Sept ans. »
    Je reste étonné. Difficile d’appréhender cette durée alors que, pour moi, mon alter ego est parti seulement quelques secondes.
    « Je suis désolé. Problème de carburant, mais cette fois promis, ça devrait aller.
    – Ça ne serait pas plus simple de revenir avant le premier test pour te dire tout ce qui déconne ? Et puis, comment ça se fait qu’un simple problème de carburant puisse prendre sept ans pour être réglé ?
    – En fait, c’est un peu plus compliqué que ça. Je n’arrive pas à régler aussi finement que ça les voyages, en fait. On ne peut pas choisir la date et l’heure. En vrai, on ne peut faire que des bonds à des distances temporelles précises. Tu vois, c’est un peu comme une autoroute, tu ne peux pas y entrer ni en sortir quand tu veux. Il faut être au bon endroit pour prendre la bonne sortie qui t’amènera à un endroit précis. Là, c’est pareil, sauf que c’est avec le temps que ça marche et que c’est un peu moins linéaire.
    – Donc tu ne peux pas faire un bond de 5 minutes en arrière ?
    – Non, ce sont des ponts bien précis du temps. Tu ne peux pas partir quand tu veux. Et le point se déplace dans le temps aussi, donc chaque fois il est un peu plus tard.
    – C’est pour ça les délais entre chaque voyage ?
    – J’ai réussi à voyager entre deux visites à ton toi de maintenant, mais c’est toujours compliqué. Des fois, je n’arrive pas à savoir quand je vais atterrir. Une fois, je suis tombé avant la colonisation de la Lune, j’étais mal. Heureusement que j’ai réussi à rentrer rapidement, sinon nous serions mort de froid… »
    Je ne sais pas trop comment rebondir après cette nouvelle. Je reste à me fixer comme un idiot.
    « Une petite bière et on se met au boulot ? me demande mon moi qui se rend bien compte du blanc créé par son annonce.
    – Tu vas me plier mon stock en une soirée, j’ai l’impression, dis-je en soufflant. Tu disparais pas cette fois, hein ?
    – Promis. »

    Quand je reviens de la cuisine, je suis encore là. C’est plutôt rassurant.

    Pendant une bonne heure, je m’explique les fondements du voyage dans le temps. C’est un peu compliqué à comprendre, très baroque la façon dont ça fonctionne. C’est tout à fait différent de ce que tout le monde peut imaginer, surtout l’impossibilité de choisir une date et une heure précises. Il faut choisir la bonne route et la prendre au bon moment. Heureusement, je m’explique aussi comment repérer ces chemins à l’avance et déterminer avec une relative précision leur destination.
    Ensuite, nous passons au côté vraiment technique : comment j’ai construit ma machine à voyager dans le temps. En lieu et place de machine, c’est une espèce de montre, que mon alter ego tient en main. Un peu plus grosse qu’une de ces vieilles montres de poche de l’époque moderne terrienne, l’objet comporte des aiguilles. On dirait une relique d’un autre temps. Je m’explique que les voyages temporels ont une tendance à dérégler l’électronique quantique ou régulière et qu’il vaut mieux un bon système mécanique.
    « Mais comment ça se fait que tu repartais de manière intempestive, alors ? finis-je par demander.
    – La première fois, c’est parce que je ne savais pas vraiment ce que je faisais, alors j’avais réglé un retour automatique assez proche, mais comme je ne maîtrisais pas trop la précision temporelle, ça s’est avéré plus court encore que je le pensais. La seconde fois, je me suis trouvé à court de carburant. Mais c’étaient des modèles différents. Maintenant, il est autonome et n’a plus besoin de quoi que ce soit pour fonctionner. Il faut juste que je le remonte de temps en temps.
    – C’est plutôt économique, c’est bien. »
    Mon moi du futur se lève.
    « Je ne vais pas pouvoir rester plus longtemps, la fenêtre va bientôt se refermer. Surtout, va au plus tôt montrer tout ceci et rends nous célèbre et riche. Et prends soin de nous. »
    Je ne sais pas trop quoi répondre. Normalement, je ne devrais plus me rencontrer. C’est comme voir partir un parent proche pour toujours.
    L’autre va pour appuyer sur un des boutons de la grosse montre à voyager dans le temps, mais une question me vient :
    « Au fait, pourquoi tu t’es lancé dans l’invention d’une machine à voyager dans le temps ? »
    Il lève des sourcils et réfléchit un instant. On dirait que même lui a oublié la raison originelle. C’est tout moi, ça, je me lance dans un projet corps et âme au point d’oublier le pourquoi je le fais.
    « C’est vrai qu’avec tout ça j’ai oublié de t’expliquer pourquoi. En fait, j’ai été obnubilé par une question pendant des années, ça me prenait tellement la tête que j’en ai perdu mon boulot, que je ne sortais plus voir mes amis et que j’ai même fait une dépression. Mais un jour, j’ai trouvé la réponse à cette question, je me suis rendu compte que j’avais tout perdu et que je ne pouvais pas rester comme ça. Alors j’ai décidé de ressortir mes cours pour réussir à remonter dans le temps. Il fallait que je me donne cette réponse pour m’éviter tous les problèmes que cette question m’avait apportés.
    – Mais de quelle question tu parles ??
    – Bah ! Pourquoi est-ce qu’il reste des morceaux de chaussettes entre les doigts de pieds ?
    – Cette question nous a fait tomber en dépression ? »
    Cela dit, ce n’est pas vraiment étonnant, je me connais et quand je vois comme j’étais parti du boulot ce soir, avant de me rencontrer, j’aurais pu réfléchir longtemps sur le sujet.
    « Tu sais comment nous sommes, non ? Allez, il faut que j’y aille.
    – Attends ! Tu m’as pas donné la réponse à cette question !! »
    « Pop »
    Je me vois disparaître, je crois avoir entendu la réponse, mais je ne suis pas sûr. Ça ne peut pas être ça. C’est trop simple.

    « Tu essores trop vite le linge. »

    PS : Merci à Aemarielle pour la relecture attentive et la correction des fautes.


    N’oubliez pas d’aller découvrir le texte de Miki à cette adresse : https://mikicowin.wordpress.com/2017/09/13/nouvelle-n1-le-cafe-presque-renverse

  • 133 — Mes lectures : « Spores! »

    Grâce au Ray’s Day, beaucoup d’auteurs ont offert aux lecteurs partie de leurs œuvres.

    À cette occasion, Olivier Saraja a mis à disposition sa nouvelle Spores! dont voici le résumé (honteusement pompé sur le site de l’auteur).

    La civilisation s’est effondrée. Pieter et sa fille Enora tentent de survivre dans un monde envahi par une espèce de mousse très invasive, dont les spores représentent un danger mortel. L’irruption d’une femme dans leur vie bouleversera leur quotidien. Vers quel avenir les entraînera-t-elle?

    Entre drame humain et fable écologiste, Spores! amène le lecteur dans un monde silencieux et oppressant, sis aux limites de la folie humaine. Pour public averti.

    Je n’ai pas l’habitude de chroniquer mes lectures, alors je ferai court.

    J’ai beaucoup aimé et je l’ai avalé très rapidement (genre reçu le samedi soir, fini le dimanche avant midi), ce qui est assez rare, vu que je lis très lentement.

    Ce que j’ai trouvé dommage, évidemment, c’est le format : 9.000 mots (environ 1/5ème de roman). L’action est réduite à l’essentiel. Ce qui ne veut pas dire que ça manque non plus.

    L’histoire est bonne, fonctionne et les personnages sont crédibles, mais surtout l’univers est très bien dépeint et on l’imagine très bien, sans qu’il n’en devienne trop lourd dans la narration. Et c’est là, je trouve, la force de cette nouvelle, arriver à nous immerger dans ce monde aux spores mortelles, sans nous étouffer (vous le voyez, le jeu-de-mots ? 😉 ).

    Enfin, un point important, le style est fluide et se lit vraiment tout seul.

    Félicitations à l’auteur pour ce texte.

    Allez-y, il vaut le coup, et pour 0,99€, même pas le prix d’un café, vous passerez un très bon moment.

    Le lien vers sa page où il propose plein de plateformes différentes pour le trouver.

  • 132 — Aménsie Spatiale – Ray’s Day

    Voici Amnésie Spatiale, ma contribution tardive au Ray’s Day (explications ici), il s’agit d’une nouvelle de science fiction écrite lors du camp nano d’avril dernier. Elle fait envrion 17.000 mots.

    Comme je ne mets ce texte à disposition que très tard, je le laisserai jusqu’à dimanche soir.

    Sur le spatioport, Victor se réveille avec la plus grosse gueule de bois de sa vie. Son ordinateur interne affiche « no-data » et il est complètement amnésique. Un cadavre à ses pieds, la police qui frappe à la porte, Victor s’enfuit et va devoir lutter pour trouver des réponses.

    Il faudra être patient jusqu’à la prochaine fois…

    J’espère que ça vous plaira 🙂

  • 127 — Zombies

    Ce matin, en me réveillant, je me sentais bizarre, comme si la veille je m’étais saoulé, alors que non. Mal de tête, yeux lourds et collés. J’ai eu du mal à sortir de mon lit. J’avais l’impression d’être tout engourdi, d’avoir attrapé un mauvais truc mais je ne comprenais ni comment ni quoi.
    Quand je suis sorti de chez moi j’ai eu l’impression que la lumière n’était pas la même que d’habitude, comme si une chape étrange s’était abattue sur le ciel au-dessus des nuages, mangeant la lumière avant qu’elle ne nous arrive. Impossible de comprendre ce qui n’allait pas, mon mal de crâne m’empêchait de réfléchir correctement.
    Dans les rues, tous les gens que je croisais avait l’air très atteints. Leur peau semblait plus grise. Ils n’étaient plus que des ombres traînant des pieds, ne s’exprimant que par des râles et des grognements. Leurs regards vides faisait frémir et je me suis demandé s’ils savaient vraiment où ils allaient ou si leurs corps ne bougeait que grâce à une mémoire corporelle résiduelle. Cependant, et ce qui m’a étonné, aucun d’entre eux n’avait l’air agressif.
    Je me demandais sérieusement quelle étrange maladie avait pu se propager ses dernières heures pour faire de toute une population ces espèces de morts-vivants. Peut-être était-ce de ce mal que je souffrais aussi. Impossible pour moi de le savoir réellement. Je n’étais pas sorti du week-end. Pourtant, j’avais l’impression que plus ça allait, moins mon cerveau parvenait à analyser les informations que le monde m’envoyait.

    Ce ne fut qu’une fois au bureau que tout bascula et que je compris que ce n’étais pas une simple maladie.
    Bruno, mon collègue, est finalement arrivé, très tard, en traînant les pieds sur la moquette. Sa sacoche est retombée lourdement sur le bureau. Il m’a regardé avec ce regard étrange empli de rage et de honte, quelque chose que je ne compris que quand il parvint à articuler ces quelques mots :
    « Putain, j’ai oublié de changer d’heure ! »

  • 126 — Madame Peacock

    Phrase donnée par Alice Saturne

    Derrière le rideau, une main s’agitait. Madame Peacock n’en vit pas rien et continua son trajet vers le marché, pas le moins du monde intéressée, contrairement à l’habitude. Elle avait mal dormi et n’était pas d’humeur à exercer cette passion qui l’occupait depuis toujours, et plus particulièrement depuis sa retraite : espionner ses voisins.
    En voyant cette main, agitant étrangement ce rideau, peut-être aurait-elle dû comprendre que quelque chose n’allait pas chez mademoiselle Huston.
    Madame Peacock n’aimait pas beaucoup — comprendre « pas du tout » — mademoiselle Huston. Elles étaient l’exact opposée l’une de l’autre. La maîtresse d’école était aussi jeune, pimpante et bien élevée que la retraité était vieille, aigri et sans gène. C’était peut-être aussi pour ça que tout le monde adorait la première dans le quartier alors que les amis de madame Peacock ne se comptaient même pas sur les doigts d’un manchot.
    Sa mauvaise humeur du jour ajoutée au fait que cet étrange mouvement de main venait d’une des fenêtres de la personne qu’elle détestait assurément le plus dans le quartier, voire dans le monde entier — même plus que cette petite peste de Sally Salinger qui l’avait tant ennuyée durant toute l’école primaire — fit que la vieille dame passa son chemin comme si de rien n’était.
    Elle qui voyait très bien les allers et venues de monsieur Vandermulhen chez madame Grey quand son mari passait ses soirées à jouer au poker chez leur voisin et rentrait ivre. Elle voyait très bien les agissements du facteur qui passait autant de fois qu’il le fallait pour remettre en main propre le courrier à madame Williams, qui ne succombait pas à ce numéro ridicule de charme malgré un mari très souvent absent — et pas que pour déplacement professionnels, d’après madame Peacock. Assise sur le perron de sa maison, elle passait son temps assise à observer les mouvements des gens. De temps en temps, elle le faisait de derrière la fenêtre, pour que les gens se sentent libres et se laissent aller. C’était là, en général, qu’ils commettaient l’acte qui les confondait aux yeux de la vieille dame. Elle consignait ensuite tout ça dans un cahier pour être sûre de ne rien oublier.
    Mais ce matin, elle n’avait pas envie de tourner la tête, de se détourner de son chemin pour voir ce qu’était ce mouvement. D’ailleurs, à cette heure, elle aurait déjà dû être revenue du marché et assise sur son perron pour surveiller tous ces mécréants. Seulement, la veille, madame Peacock était restée éveillé très tard, surprenant monsieur McGuinty en train de creuser un trou pour cacher un paquet de billet qui intéresserait sûrement le fisc en temps voulu.
    Rendue rouspéteuse tant par le poids de la fatigue que par le retard qu’un réveil tardif avait entraîné sur son emploi du temps, Madame Peacock continua son chemin sans s’apercevoir de rien. Elle était déjà à l’angle de la rue quand la main attrapa finalement le rideau. Mais la tringle ne tint pas et le morceau d’étoffe s’écrasa au sol. Si la vieille dame avait été sur son perron, comme à son habitude, elle n’aurait pas pu voir mademoiselle Huston. Non. À la place, elle aurait découvert une silhouette, tout de noir vêtue, encagoulée, qui se redressait rapidement, un lacet dans la main, avant de se mettre à l’abri des regards.