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208 — [NMN2017] Jehan et la princesse

Voici la nouvelle de la semaine. La phrase de Sheldon Lymchat (oui, encore une fois) a été choisi par ma comparse Miki.

Si elle vous plaît partagez-là, si elle ne vous plaît pas, dites-en du mal sur les réseaux sociaux, on sait jamais, sur un malentendu, comme dirait l’autre. 😀


« Je croyais que vous étiez quelqu’un de bien… mais, en fait, les gens comme vous, ils meurent et ils vont en enfer. »

Cette phrase avait claqué presque aussi fort que les mains de Jehan. L’écuyer téméraire écarta lentement les mains tout en essayant de comprendre ce que cette princesse venait de dire. Il décolla du bout de l’ongle le moustique écrasé sur ses phalanges puis s’essuya la main contre sa culotte déjà salie par toutes les péripéties qu’il avait traversées durant son voyage.

« Je vous demande pardon ? lança-t-il à la princesse.
– Vous êtes là, tout sourire, à me ramener à votre maître, mais vous n’avez pas plus d’honneur que ces bandits qui m’ont emmenée ! »

Jehan ne comprenait vraiment pas pourquoi la jeune femme était tout à coup aussi agressive avec lui.
Ce jeune homme de tout juste vingt ans avait été envoyé par son maître, le seigneur Luc, pour aller sauver la fille du roi. S’il réussissait, Jehan serait adoubé chevalier avec les honneurs et le seigneur Luc gagnerait la main de la princesse, même s’il était plus vieux qu’elle d’au moins quinze ans.

La mission de l’écuyer n’était pas simple. Il l’avait su dès le départ. D’ailleurs, savoir que sa seule récompense en cas de réussite serait d’être adoubé le frustrait, surtout que la seule autre issue à cette mission de sauvetage ne pouvait être que sa mort. Mais Jehan espérait qu’avec cet heureux mariage qui rendrait forcément le seigneur Luc bien plus riche, il recevrait quelques avantages financiers.

Le voyage avait été compliqué et long. La princesse avait été enlevée par une bande d’orcs alors qu’elle se promenait en forêt. Pourquoi une princesse se promenait seule en forêt était une question à laquelle Jehan n’avait toujours pas de réponse, mais il espérait bien lui demander à un moment. S’il réussissait à la sauver, évidemment.
Après plus de trois semaines de voyages à travers des landes plus ou moins habitées, des forêts dangereuses emplies de bêtes sauvages, des montagnes peuplées de lutins hargneux, des marécages dont les nombreux cadavres n’étaient pas suffisamment morts au goût de l’écuyer, celui-ci était parvenu à atteindre l’antres des orcs qui retenaient la princesse prisonnière, non quelques fausses routes. Les bandits avaient demandé une rançon. Une très grosse rançon. Ce n’était pas que le roi ne voulût pas payer pour récupérer sa fille – quoique, Jehan se posait la question – mais le seigneur Luc, qui était plus prompt à faire le beau pour être bien vu qu’à agir, avait encore promis quelque chose sans savoir s’il pourrait s’y tenir : sauver la princesse. Et il avait, encore une fois, eu la chance de trouver en Jehan un exécutant discipliné et compétent. Le roi avait donc été assuré par Luc qu’il ne serait pas nécessaire de débourser une seule pièce d’or pour revoir sa fille chérie saine et sauve. Le roi, tout heureux de cette nouvelle – personne n’aurait su dire si c’était le fait de revoir sa fille ou celui de ne rien débourser –, avait laisser son vassal s’occuper de ce sauvetage.

Les orcs avaient pris un vieux fortin en ruines pour campement. Il ne restait qu’un seul bâtiment tenant debout. D’ailleurs, Jehan se demandait comment il le pouvait encore. Le reste de la construction était au sol, un gros tas de pierres recouvertes de mousses et d’herbes folles.
Jehan avait repéré le lieu en journée. Même en restant à bonne distance pour ne pas se faire voir, il avait pu compter une douzaine de bandits, mais il était difficile d’être sûr : ils se ressemblaient tous et leurs équipements aussi. Le plus sage était d’intervenir de nuit quand l’attention des gardes serait la plus anesthésiée par le sommeil. La lune était belle en ce moment et le ciel dégagé permettrait de voir suffisamment. Il dormit bien à l’abri, dans les profondeurs de la forêt, à une demi-lieue du fortin. Il avait préféré prendre du repos plutôt que de veiller jusqu’au moment de son assaut.
À la cour du seigneur Luc, certains avaient dit que Jehan était très téméraire, voire suicidaire, de partir seul pour un périple qui serait clairement fort dangereux, mais l’écuyer préférait régler ce genre d’affaires seul. Le fait que Luc fût si pingre qu’il n’avait pas voulu payer en avance pour ce voyage, avait aussi dissuadé les rares volontaires qui s’étaient d’abord montrés intéressés.

L’écuyer avait attaché sa monture à un arbre et laissé tout son matériel superflu auprès de l’animal. Pour l’attaque des orcs, il fallait qu’il soit à l’aise, le plus léger possible, libre de ses mouvements autant que faire se pouvait. Il n’avait gardé qu’une dague et une épée, son arc et ses flèches.

Évidemment, il y avait des gardes. Deux. Les autres dormaient dans la dernière partie du fortin encore debout. Les gardes patrouillaient sur les ruines de ce qui avait été, un jour, le chemin de garde. Ils marchaient, plus concentrés sur l’endroit où ils posaient leurs pieds que sur l’horizon de toute façon trop obscur.

Le fort avait été construit en haut d’une petite colline, à flanc de roche. Jehan se servit de ce terrain accidenté pour s’approcher des ruines.
Les deux gardes faisaient le tour de l’enceinte, chacun à un bout. L’écuyer décocha une flèche mortelle au premier garde. Le second entendit le bruit du corps qui s’écrasa à l’extérieur des anciennes fortifications et hâta le pas pour voir ce qu’il se passait. Il appelait son comparse, en vain. Quand il fut dans la ligne de mire de Jehan, une seconde flèche fendit l’air et se ficha dans la poitrine de l’orc. Il ne mourut pas sur le coup, mais ses souffrances ne durèrent pas. Et ces cris furent presque inaudibles.
Jehan resta un instant immobile, prêt à abattre tous ceux qui viendraient à la rescousse, mais la nuit resta calme et immobile. Les deux gardes avaient été éliminés sans éveiller les soupçons des autres.
L’écuyer s’approcha du premier garde. Il lui fit les poches et récupéra une bourse peu remplie, un collier en argent orné de pierres semi-précieuses et les flèches dans le carquois. Même de mauvaise qualité, mais mieux valait les avoir plutôt que de se retrouver sans rien à tirer. Jehan passa ensuite les murs d’enceinte éboulé, atteignant la cour du fort. Les traces de combats dans la poussière au sol montraient que ces orcs s’entraînaient régulièrement. Il ne devait pas baisser sa garde et rester concentrer.
La porte du morceau encore debout du fort s’ouvrit sans soucis. Le sauveur entra le plus silencieusement possible dans la pièce, basse mais large, dont la grande cheminée réchauffait avec peine le volume de ses braises en fin de vie. Il y avait là au moins cinq orcs, mais pas de princesse. Les orcs dormaient à même le sol sur des tas de paille aussi fin qu’un drap.
Jehan savait qu’il ne pourrait pas survivre à un combat seul contre ces cinq là. Il valait mieux la jouer fine. Certes, il n’y avait rien d’honorable à assassiner des gens dans leur sommeil, mais ils avaient enlevé la princesse et auraient été jugés à mort face à un tribunal pour cela. Sans compter que décider de ce qui était honorable ou non était quelque chose de facile assis autour d’une table de banquet à essayer d’impressionner ses invités, alors, qu’en pleine action, rester en vie était plus important que d’être honorable.
L’écuyer tira la dague de sa botte et s’approcha du premier comparse. Même allongé, on pouvait voir que c’était une montagne de muscles. Il ne fallait pas rater son coup.

Égorger un à un les six orcs – l’un d’eux n’était pas visible de l’entrée de la pièce – prit plus de temps à Jehan qu’il l’avait d’abord pensé. Heureusement, tout s’était passé sans soucis. Aucun d’eux n’avait eu le temps d’alerter les autres avant de lâcher leur dernier souffle. Évidemment, avec la gorge tranchée et un bon morceau de tissu posé contre la bouche, il était difficile d’émettre un son clair. Les ronflements de certains avaient également aidé.
Jehan fouilla rapidement la pièce. Il n’y trouva rien d’intéressant. Il devait se dépêcher, la nuit allait bientôt tirer sa révérence, le reste de la bande n’allait pas tarder à se lever.
À l’autre bout de ce dortoir improvisé, l’écuyer trouva une porte donnant sur un escalier qui s’enfonçait dans le sol. Il passa sa dague à la main gauche et dégaina son épée. Dans les espaces restreints comme celui-ci, mieux valait s’attendre à tout.
Il descendit les marches, toujours furtif. Il n’entendait rien qui venait d’en bas. Si les autres orcs s’y trouvaient, ils devaient dormir profondément aussi.
L’humidité augmentait au fur et à mesure qu’il descendait. En bas, le sol était poisseux. Les murs ruisselaient. La lumière d’une torche vacillante éclairait avec difficulté le bas des escaliers. Jehan marchait lentement, sans faire de bruit. Il avait fait quelques pas dans le couloir de ce sous-sol quand à un angle, il tomba nez à nez avec un des bandits. Tout deux surpris, chacun réagit à la vitesse de l’éclair, mais Jehan, les armes déjà en main, put embrocher l’orc avant que celui-ci n’eût le temps de tirer sa hache. Malheureusement, le cri de surprise et le vacarme alarmèrent les autres.
Jehan essaya de réfléchir rapidement.
Il remonta en haut de l’escalier, montant les marches quatre par quatre. Une fois en haut, après avoir rangé sa dague et presque jeté son épée à ses pieds, il tira une poignée de flèches et les posa au sol en s’agenouillant. Jehan reprit son arc et prépara une flèche, visant le bas de l’escalier, près à la décocher entre les deux yeux du premier orc qui se présenterait.
L’écuyer entendit des grognements et une discussion. Ils étaient en train d’examiner le corps de leur compère transpercé. Le premier n’allait pas tarder à arriver.
Comme prévu, la flèche de Jehan se planta dans le front de cet orc. L’humain n’eut que le temps d’en attraper une autre qu’un second orc arrivait et montait déjà l’escalier, se protégeant d’un bouclier. Jehan tira malgré tout, sans effet. Il jeta son arc et reprit son épée. Ne laissant pas le temps à l’orc de baisser son bouclier, il lui sauta dessus les pieds en avant et lui fit redescendre les marches en un mortel roulé-boulé. Jehan se remit sur pied avec agilité. D’après ce qu’il avait compté, il ne restait plus qu’un seul bandit.
Il resta immobile un instant, assourdi par le bruit de son cœur qui battait à tout rompre.
Il attendit de longues minutes.
Personne ne vint. Le dernier orc devait l’attendre. Jehan espérait surtout qu’il n’y en avait pas plus qu’un.

Jehan attendit encore un instant. Il n’y avait plus de bruit. Il s’apprêtait à redescendre à l’assaut quand une voix aiguë déchira le silence, agressant ses oreilles.
– Hé ho ! Il y a quelqu’un ? Je suis là ! Faite-moi à sortir.
Ce devait être la princesse. Aucune femme orc n’avait la voix aussi haut perchée. Et il n’en avait vu aucune lors de sa reconnaissance, plus tôt.
– Princesse Rosa ? cria en retour Jehan.
– Oui ! C’est moi ! Dieu soit loué, vous êtes venu me sauver ?
– Oui. Est-ce qu’il y a encore de ces monstres près de vous ?
– Non, je suis seule et je suis dans le noir ! Venez me sortir de là !
Jehan fouilla les corps des derniers cadavres. Après avoir récupéré quelques pièces d’or supplémentaires, il tomba sur un trousseau de clefs qui, il espérait, ouvrirai la geôle de la princesse.

Quelques minutes plus tard, le futur chevalier et la princesse ressortaient du bâtiment. Il sembla à Jehan qu’il était encore plus sur le point de s’effondrer qu’en y entrant.

Une fois à l’air libre, la princesse s’étonna :
– Où est votre cheval ?
– Je l’ai laissé en sécurité dans la forêt. Je ne voulais pas me faire repérer.
– C’est loin ? s’enquit la princesse.
– Une demi-lieue, tout au plus.
La jeune femme soupira lourdement. Le fait de devoir marcher au milieu de la nuit après avoir été enfermée pendant près d’un mois ne l’enchantait guère.

Quand ils atteignirent la lisière de la forêt, le soleil se levait. Jehan commençait à sentir la fatigue.
Et ce n’était pas simplement dû à la longue nuit. La princesse montrait un caractère des plus détestables, une gamine à qui tout le monde avait passé les moindres de caprices depuis sa naissance et qui n’avait fait que se plaindre depuis sa sortir du fortin.
Jehan comprenait pourquoi personne n’avait voulu l’épouser jusqu’à maintenant, même avec la dot que le roi pouvait offrir. Son moral en prit encore un coup en se disant qu’il faudrait au moins trois semaines pour retourner au château de seigneur Luc et qu’il serait difficile de laisser la princesse bâillonnée tout ce temps.
Une fois arrivé à la monture, la princesse se plaint encore une fois :
– Quoi ? Vous n’avez qu’un cheval ? Mais il va nous falloir des semaines, voire des mois pour rentrer chez moi !
– Votre majesté, j’avais espéré pouvoir en prendre un aux bandits, mais on dirait qu’ils n’en avaient pas.
– Je crois les avoir entendus dire qu’ils les avaient mangés. J’ai bien cru que mon tour n’allait pas tarder.
Jehan pensa très fort que ça aurait peut-être été une bonne chose finalement. C’était fou. Il ne la connaissait que depuis quelques heures à peine et il avait déjà envie de l’abandonner là pour rentrer chez lui.
Heureusement, Jehan était un écuyer sérieux et droit, il remplirait sa mission jusqu’au bout.
Il s’assit contre un arbre, les bras croisés, les yeux fermés, bien décidé à dormir un peu avant de prendre la route, alors que la jeune femme montait sur le cheval.
– Que faites-vous ? s’étonna-t-elle.
– Je me repose. La nuit a été courte et s’il faut que je marche, je dois être en forme, donc il me faut dormir quelques heures.
– Mais vous n’y pensez pas ! Mon père doit être mort d’inquiétude à mon sujet. Chaque minute, chaque seconde compte, alors ne perdons pas de temps. Détachez-moi ce cheval de cet arbre et allons-y !
Un moustique volait autour de Jehan. Son bourdonnement était pourtant moins désagréable que la voix de la jeune femme.
– Non, majesté. Votre sécurité dépend de mon état de vigilance. Si je dors, je serai plus à même de vous protéger pendant notre voyage.
La princesse regarda son sauveur avec un dégoût et colère.
– Je vous ordonne de détacher ce cheval et de me ramener immédiatement à mon père. Sans quoi, je le ferai vous pendre dès notre retour.
Jehan resta silencieux, les yeux écarquillés de surprise. Comment pouvait-elle menacer la seule personne apte à la ramener chez elle ? Il ne comprenait pas. Surtout, il ne revenait pas qu’on puisse lui dire pareille méchanceté après tout ce qu’il avait fait.
L’écuyer regarda la jeune femme dans les yeux.
– Écoutez-moi bien, je viens de passer trois semaines à risquer ma vie pour vous sortir de ce trou et en moins de quatre heures, vous avez réussi à me donner l’envie de vous y recoller. Alors maintenant, vous me laissez dormir. Nous repartirons dans deux heures. Fin de la discussion.
La princesse regarda cet homme un instant. Jamais personne ne lui avait parlé sur ce ton, jamais personne n’avait osé. Elle était presque en larmes. Jehan ne savait pas si c’était parce qu’il avait été un peu brusque, mais il comptait bien se reposer avant de reprendre ce voyage qui allait être long.
Le moustique lui tournait toujours autour. D’un mouvement rapide, il frappa des mains pour écrabouiller la bestiole volante alors que la princesse lâchait sa phrase :
– Je croyais que vous étiez quelqu’un de bien… mais, en fait, les gens comme vous, ils meurent et ils vont en enfer.
Ce voyage allait être interminable.


N’oubliez pas d’aller voir le texte de Miki par ici.


Pour celles et ceux qui voudraient participer à l’aventure, même ponctuellement, voici la phrase pour la semaine prochaine, donnée par Mlle Cup of Tea :

« 02h37. Le smartphone à la pomme bipa 2 fois : Je l’ai tué … il a eu une crise cardiaque et j’ai éloigné le téléphone de lui avant qu’il ne puisse appeler des secours. »


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One comment on “208 — [NMN2017] Jehan et la princesse

  1. c’est marrant je m’attendais pas à ce que ça parle d’Orc et encore moins d’un seigneur nommé Luc !

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