Category: Nouvelles

  • 097 – L’introduction comptable

    Phrase donnée par Luigi B.-B.

    Cet exercice me permit de réaliser que mon ancien métier m’avait appris à imaginer des introductions venues de nul part. Évidemment, dans la situation actuelle, introduire n’était pas chose suffisante. Il fallait aussi que je conclue. Et une arme pointée sur moi, ça n’était forcément si simple.

    Au moins, mes deux agresseurs semblaient captivés par ce que j’avais commencé à leur raconter.

    Sur le quai aérien de la gare, j’attendais tranquillement mon train pour rejoindre ma banlieue non moins tranquille. Je n’espérais rien de plus que de pouvoir embrasser ma femme et mes gosses et me poser dans mon fauteuil avec un bon verre de bourbon. La semaine avait été assez difficile. Je travaillais à présent dans un cabinet d’experts comptables et là, nous préparions les déclarations de nos clients. Rien de bien folichon mais ça demandait une bonne dose de concentration et c’était la période où les horaires étaient le plus élastiques. J’en avais plein les bottes.

    Et là, alors que j’étais tout seul sur ce quai, ces deux idiots s’approchèrent de moi. Le premier me demanda une cigarette, avec un ton des plus détestables et un manque total de marque de politesse. Manque de bol pour lui, je ne fume plus. J’ai réussi à lâcher cette saloperie depuis quatre ans, après la mort d’un pote, une longue histoire… Bref, je répondis au gars que non, je n’avais pas de clope, me retenant bien de rajouter que même en cas contraire, il aurait toujours pu courir pour que je lui en lâche.

    Le second me demanda si je pouvais lui prêter mon téléphone portable pour qu’il puisse appeler sa mère parce que le sien n’avait plus de batterie. Je sentais les problèmes arriver. C’était le coup classique des deux bonhommes qui veulent voler un portable ou autre chose et tentent d’abord d’endormir l’attention de leurs proies. Je mentis que mon portable non plus n’avait plus de batterie en me levant pour vérifier l’heure. Je ne voulais pas me battre et je sentais que le temps jusqu’à l’arrivée de mon train allait être long, très long. Il allait falloir palabrer pour leur tenir la jambe. Je détestais ça.

    Les deux me firent barrage, de peur que je m’enfuie ou peut-être parce qu’ils y virent un moyen facile de me faire les poches. D’ailleurs je sentis immédiatement la main du second comparse essayer de fouiller la poche de ma veste. Je lui attrapai le poignet avant même de m’en rendre compte. J’avais encore quelques réflexes.

    Repoussant mon pickpocket avec quand même une certaine délicatesse, je commençai par dire au deux qu’il n’était pas judicieux de commencer sur ce chemin, qu’il était encore temps pour eux de partir sans problème pour personne.

    Finalement, le premier sortit un couteau papillon standard, lame d’une vingtaine de centimètres, manche de merde, le tout fabriqué en Chine ou à Taïwan.

    C’est là que je partis commençai mon introduction venue de nul part, expliquant de façon plus ou moins nébuleuses l’art d’attaquer au couteau, détaillant pourquoi ce type-ci n’était pas adapté et surtout pourquoi il n’était pas adapté contre quelqu’un comme moi. Les deux idiots me regardèrent quelque peu interdis.

    C’était là, qu’il fallait que je passe au développement de mon argumentaire. Je le voyais bien dans leurs regards qui se remplissaient de colère. J’aurais pu essayer de continuer à discourir avec ces deux imbéciles mais j’étais fatigué et je voulais être tranquille le plus rapidement possible. J’optai pour la parti pratique de mes explications.

    D’un mouvement rapide, j’attrapai à deux mains ma sacoche de dossier et appuyai violemment avec contre la pointe de la lame. Celle-ci glissa dans la main de mon agresseur, le coupant profondément au passage. Profitant de la surprise, je décochai un grand coup de mon sac dans la tête du second avant de lui mettre un violent coup de pied au cul. Il s’écroula par terre lourdement.

    Le premier se tenait la main comme si elle allait tomber. Elle saignait à peine. Je lui balançai ma sacoche dans le menton, il tomba à la renverse. Pendant que son soi-disant ami prenait son courage à deux mains pour fuir, j’attrapai le blessé à moitié sonné et le traînai au bord du quai. Mon train arrivait au loin.

    Sa tête à moitié dans le vide au-dessus des voies, il essayait de se débattre pour se défaire de mon étreinte mais il n’arrivait à rien. Un de mes genoux sur sa poitrine, l’autre pied sur sa main encore en état, il était incapable de faire quoi que ce soit d’efficace, à part étaler son sang sur ma veste de costume. Je l’avais attrapé par le col et le secouait       .

    « Tu vois le train qui arrive ? Tu le vois ? commençai-je à crier.

    Oh ! Oui ! Il le voyait bien, je le lisais dans ses yeux.

    — Je pourrais attendre ici qu’il arrive et t’arrache la tête ! C’est ça que tu veux ?

    Il secoua la tête frénétiquement tout en criant que non, plus quelques excuses mal placées et tellement pathétiques.

    — Je ne veux plus jamais voir ta sale petite gueule ni celle de ton pote dans le coin si tu ne veux pas que ça arrive, c’est clair ?

    Nouveau secouage de tête mais dans l’autre sens, cette fois.

    Le train arrivait. Il nous avait vu et klaxonnait tant qu’il pouvait pour nous faire comprendre le danger. J’attendis encore un court instant pour relever mon agresseur qui regardait la locomotive comme un lapin les phares d’une bagnole, et l’envoyer valser. Je lui assenai un grand coup de pied dans le cul au passage, comme à son ami.

    — Dégage maintenant ! Et loin !! » criai-je pour couvrir le hurlement des freins.

    Les portes des voitures s’ouvrirent, laissant sortir deux, peut-être trois passagers. Je montai à mon tour, réalisant que mon ancien métier, en plus de m’avoir appris toutes les techniques de corps-à-corps utiles pour ce genre de situation m’avait permis aussi d’apprendre à faire de belles introductions pour embrouiller ces petites frappes.

  • 096 – Jusqu’à ce que la mort nous sépare

    Phrase donnée par Polgara d’Erat

    John posa son regard de braise sur l’épaule fragile et dénudée d’Amanda. La jeune femme frémit, son visage se voila de désir, si intense qu’elle en perdait presque la raison. Elle s’appuya sur son bureau, ouvrit le tiroir, laissa ses doigts le fouiller. Enfin, elle senti l’étui en cuir de son couteau.

    L’enserrant discrètement, elle fit glisser la lame hors de son fourreau avant de l’empoigner fermement. Il fallait qu’elle agisse avant qu’elle ne contrôle plus ni son désir ni son corps. Elle aimait Brandon et devait se débarrasser de son mari pour pouvoir vivre son amour sans plus de problèmes.

    Tout avait été arrangé. Brandon attendait déjà en bas de l’immeuble avec une camionnette empruntée à son travail. Il devait déjà avoir recouvert tout l’arrière de bâches pour éviter de laisser des traces de sang. Ils avaient vu ça dans une série à la télé. Une fois qu’elle l’aurait fait, Amanda appellerait son amant pour l’aider à mettre le corps dans le tapis avant de l’évacuer. Ils iraient ensuite le jeter sur le chantier où travaillait Brandon comme maçon. Ils devaient absolument se débarrasser de John ce soir, des fondations seraient coulées demain. Après ce serait trop tard et cela repousserait leur projet à beaucoup plus loin dans le temps.

    Mais John avait un charme énorme. S’il ne l’avait pas délaissée de la sorte pour coucher avec sa secrétaire, la chef de projet, et la petite salope de la cafétéria, Amanda aurait pu le pardonner, mais là, c’était trop tard. Elle était heureuse avec Brandon même s’il ne gagnait pas aussi bien sa vie. Mais son sourire, la douceur de sa voix, ses mains rugueuses fermes et douces, l’odeur de sa peau… Impossible de résister. Sous les baisers de John dans son cou, Amanda lâcha lentement le couteau, se laissant partir dans la volupté.

    Amanda fut brutalement ramenée à la réalité quand John lui susurra un mot doux mais l’appela « Christine ». La jeune femme repoussa son mari avec violence. Celui-ci bredouilla un chapelet de prénom féminin dont aucun ne correspondait à celui de son épouse. Kimberley, Sharon, Cassandra, Gertrude. Comment pouvait-il ne pas se souvenir de celle pour laquelle il avait promis amour et fidélité ? Amanda, vexée autant par le nombre de conquête qu’il semblait avoir que par son incapacité à se souvenir de son prénom, ouvrit le tiroir de son bureau en grand et attrapa son couteau.

    Se jetant, des larmes plein les yeux, la lame en avant sur John, Amanda hurla la seule phrase qui lui venait à l’esprit : « jusqu’à ce que la mort nous sépare !! »

    Son mari, surpris mais alerte recula d’un bond et attrapa la première chose qui lui tomba sous la main : un mini buste en bronze d’un illustre inconnu. Il esquiva le coup de lame d’Amanda et lui assena un coup de buste sur le coin de la tête. Amanda s’écroula en tapant le bord d’une petite table. Étalée au sol, elle ne bougeait plus. John, effrayé par ce qui venait de se passer, se pencha sur le corps de sa femme. Son pouls ne battait plus. Il eut un instant de vide, incapable de bouger, de penser, de réaliser ce qu’il venait de faire. Certes, c’était de la légitime défense et il l’avait trompée tant de fois mais il venait de tuer sa femme.

    Soudain, la porte de la pièce s’ouvrit en claquant. Un homme armé d’un revolver apparut. John le connaissait, il l’avait déjà vu à la maison. Il lui fallut un instant pour se souvenir qu’il avait été leur maçon pour la clôture. Brandon. Amanda, à l’époque avait eu l’air de s’intéresser à lui. Il n’en savait pas plus mais imaginait aisément la raison de sa présence armée.

    Brandon eut l’air de réfléchir quand il vit Amanda à terre.

    « C’est un accident ! Je le jure ! » annonça rapidement John en se relevant. L’autre pointa son arme sur lui. Avant de laisser le temps au maçon de tirer, John lança le buste qu’il avait toujours en main. L’autre se protégea. John en profita pour se jeter dessus et tenter de le désarmer. S’en suivit une bagarre violente. Les deux hommes étaient de forces égales. Ils se roulaient par terre en tenant à quatre mains l’arme à feu, chacun tentant d’en prendre le contrôle.

    Un coup partit, étouffé par les deux corps serrés l’un contre l’autre.

    John se releva en un bond, les yeux exorbités. Il regarda Brandon se débattre pendant que la tache de sang sur sa chemise s’agrandissait à vue d’œil. À présent, il avait deux cadavres sur les bras. Une légitime défense pouvait passer auprès des autorités mais deux… personne ne croirait son histoire.

    Il attrapa le buste et le mit dans les mains de Brandon puis arracha un bout de sa chemise, attrapa l’arme gisant devant le maçon en prenant soin de ne pas rajouter d’empreintes digitales, essuya bien l’arme pour faire disparaître celles qu’il avait déjà dû déposer et s’approcha de son épouse. John mit le revolver dans la main d’Amanda, posa le canon sur la tempe de la jeune femme et appuya sur la détente. Cette mise en scène devrait suffire à le disculper.

    Regardant une dernière fois sa femme et son amant, John rentra chez lui, brûla ses habits tachés de sang dans la cheminée et attendit que la police l’appelle pour lui annoncer la triste nouvelle. Il espérait juste pouvoir jouer correctement la surprise.

  • 095 – La suivre

    Phrase donnée par JohnButcher

    Je n’aurais jamais dû la suivre.

    Plusieurs fois déjà, je l’avais fait et ça m’avait mis dans un pétrin sans nom. J’avais même failli me faire tuer une fois ou deux. Mais là, alors que je marchais dans la nuit chaude et humide de cette ville en ruine, je savais, avant même que les ennuis ne commencent, que c’était une mauvaise idée. Elle était trop fugace et trop lumineuse. Elle me promettait la voie à la célébrité, comme chaque fois. Elle m’excitait au point de ne plus être capable d’avoir un raisonnement cohérent.

    De toute façon, il ne servait à rien de lutter. Dans tous les cas, résister à l’envie ne servait qu’à repousser l’inéluctable, si je ne la suivais pas à cet instant, je l’aurais fait plus tard, mais alors, il aurait peut-être été trop tard.

    L’appareil photo en main, je longeais un mur, à l’abri de la lumière, prêt à shooter tout ce qui pourrait m’offrir le Pulitzer.

    Une rafale de kalachnikov fit voler en éclat le bord du mur derrière lequel je m’abritais.

    Un frisson d’excitation et de peur me parcourt la colonne. Je n’aurais jamais dû la suivre mais j’espère que ce sera, comme chaque fois, une bonne intuition.

  • 094 – L’île d’Éden

    Phrase donnée par Anna Hat

    La lumière perçait les nuages, et formait comme un halo sur ce bout de terre merveilleux. S’illuminait devant lui une nature luxuriante : des plantes et fleurs extraordinaires aux senteurs nouvelles, des arbres fruitiers jamais connus, des animaux doux et énigmatiques, une grande joie l’envahissait et il se demandait s’il n’avait pas enfin trouver le jardin d’Éden. Il donnerait son nom à cette île et resterait célèbre auprès des générations futures.

    Se retournant vers les quelques hommes d’équipage avec lesquels il venait de débarquer, il donna une poignée d’ordre afin de préparer le bivouac. Prenant avec lui trois hommes, il décida de s’aventurer plus à l’intérieur de ce paradis.

    Était-il possible que cette terre soit inhabitée ? Certes, ils avaient navigué pendant des semaines pour arriver sur cette île qui semblait perdue dans l’océan mais était-il possible de trouver d’autres êtres humains ? Il n’en savait rien et, d’un côté, préférait rester le premier à avoir foulé cette terre magnifique.

    Le sabre à la main, le pistolet prêt à faire feu sur le premier animal dangereux ou comestible qu’il verrait, il progressait lentement dans cette jungle sauvage. Ça faisait au moins une semaine que les réserves de viande séchée avait été finies et même sans ça, après quelque temps à mastiquer ces bouts de nourriture ressemblant plus à du cuir qu’à autre chose, il lui ferait plaisir, ainsi qu’à ses hommes, il le savait, de manger un bon morceau de viande grillée par des flammes.

    Au bout d’une bonne centaine de pas dans la forêt luxuriante, il dut bien admettre qu’ils devraient peut-être rester encore quelques temps à manger leurs réserves. Les fruits étaient tous plus magnifiques les uns que les autres, et appétissants, et sentaient bon, mais personne n’en avait jamais vu de semblables et n’osait se risquer à mordre dedans. Trop de fruits colorés de la sorte étaient en réalité un poison pour l’homme. Et il avait perdu assez d’homme pendant le voyage pour se permettre de faire prendre des risques à ceux qui étaient encore en vie.

    Par contre, les animaux ne semblaient pas farouches, preuve que c’était la première fois qu’ils voyaient des humains. Évidemment, ils s’enfuyaient quand on essayait de s’en approcher de trop près mais la plupart restait en place un moment pour admirer cette nouvelle forme de vie.

    Ils étaient enfoncés d’environ deux cents pas quand les animaux les admirant partirent soudainement. S’enfuirent, même, à son avis. Une nuée d’oiseau coloré s’envola à grands cris. Le capitaine ne savait pas vraiment pourquoi mais il n’aimait pas ça. Donnant l’ordre de faire demi-tour, le petit groupe commença à s’exécuter.

    Un rugissement étrange résonna soudain. Il n’avait jamais rien entendu de pareil et commençait à comprendre pourquoi les animaux avaient fui. Faisant presser le pas de ses hommes, il se retournait sans cesse, appréhendant le moment où il découvrirait la bête qui avait poussé ce cri.

    Le feuillage derrière eux s’agita et s’écarta finalement, pour faire apparaître une espèce de lézard géant, haut comme un bâtiment de trois étages, des dents grandes comme des sabres et des yeux noirs, gros comme des boulets de canons. Et cette bestiole n’avait pas l’air content du tout.

    Le capitaine fit feu mais l’effet au mieux fut inexistant, au pire, énerva encore plus le lézard.

    Courant aussi vite qu’ils le pouvaient à travers la végétation, les marins atteignirent enfin la plage et continuèrent leur course jusqu’à se jeter dans la chaloupe. Dieu merci, le monstre s’arrêta en lisière, effrayant malgré tout, tout l’équipage qui détala comme des lapins en le voyant. Le reptile hors norme rugit encore une fois ou deux, agacé. Il claqua des dents, regardant de ses yeux noirs le capitaine, soufflant par ses narines grandes comme des sabords et tapant de sa patte griffue sur le sol de la forêt, l’étrange animal se retourna lentement pour s’enfoncer entre les arbres.

    « On est loin du jardin d’Éden, capitaine ! » lança l’un de ses hommes.

  • 093 – L’anecdote

    Phrase donnée par Masque de Mort

    « Je m’apprête à vous raconter l’anecdote la moins intéressante du monde. »

    Patrick avait annoncé ça pendant un de ces longs silences gênants de la pause café. Malgré l’ennui annoncé de ce qu’il allait relater, personne n’eut la force de l’arrêter. Ça vaudrait toujours mieux que ce silence pesant.

    « Et bien voilà, commença-t-il, essayant malgré tout de mettre un peu d’effet dans la présentation de son anecdote. Quand j’avais douze ans, mon père m’a amené faire du camping. »

    Il fit une pause, pour boire une gorgée de son café. Ces collègues aimaient bien quand il racontait des anecdotes. Il savait les rendre vivantes, mettre les pauses où il fallait, faire monter la tension. . Ils savaient que Patrick tenait à faire monter la tension.

    Jean-Philippe imaginait déjà, malgré l’avertissement du narrateur, une histoire avec un meurtrier en série qui aurait poursuivi le jeune Patrick et son père à travers la forêt. Ils auraient découvert que la voiture avait été sabotée, dû fuir, se cacher, attendre le jour, tendre un piège au tueur et le ramener à la police après avoir réussi à le capturer. Accoudé à la table, le gobelet à quelques centimètres de la bouche, il retenait déjà sa respiration.

    Bernard, quant à lui, imaginait quelque chose de plus tranquille. Le père de Patrick l’aurait emmené dans un coin tranquille de la forêt voisine et ils auraient peut-être trouvé un trésor ou une vieille pièce de monnaie. Quelque chose de simple, loin des histoires abracadabrantesques habituelles.

    Yvette, qui n’aimait pas les histoires de Patrick, n’attendait rien d’autre qu’il finisse son histoire pour arrêter d’attirer l’attention sur lui, comme il le faisait toujours.

    Manu, le stagiaire, qui avait l’habitude avec ses amis d’aller en forêt chercher une sorte bien spéciale de champignons, imagina immédiatement le père et le fils faire la cueillette et tomber malade d’avoir une amanite pour un cèpe, ou quelque chose comme ça.

    Au bout de quelques secondes et après qu’il eut bu sa troisième ou quatrième gorgée de café, Patrick n’avait toujours pas continué son histoire. Jean-Philippe n’en pouvant plus, demanda avec envie :

    « Et alors ? Il s’est passé quoi ?

    Patrick le regarda avec un regard étonné. Il cligna des yeux plusieurs fois.

    — Bah ! Rien ! Mon père m’a amené faire du camping. C’est tout.

    Il y eut un soupir d’incompréhension dans la petite salle café.

    — Hé ! Je vous avez prévenu que c’était pas intéressant, quand même ! »

  • 092 – Réflexions félines

    Phrase donnée par Jeff P.

    Le chat le regarda incrédule ! Comment son maître pouvait-il se retrouver si haut, à plus de trois mètres, sans cordage, sans attache, à presque toucher le plafond da la cuisine ?! De toute sa vie de chat, il n’avait jamais vu un humain faire ça !

    Les seules formes de vies qui, à sa connaissance, pouvaient voler étaient les insectes et les oiseaux. Évidemment, il ne comptait pas ces sortes de boîtes de métal que les humains construisaient et qui traversaient de temps en temps le ciel. Le chat ne se déciderait à les classer qu’une fois qu’il en verrait de près.

    En attendant, si son maître se mettait à voler comme ça, dans la pièce ou ailleurs, il allait falloir revoir le classement. Comme le maître n’était pas un insecte, le chat en arriva à la conclusion logique que c’était un oiseau. Ensuite, il fallait déterminer si le maître faisait parti des oiseaux comestibles ou non. À vrai dire, il mangeait à peu près correctement puisqu’il goûtait tous les plats du chat avant de lui donner, sûrement pour vérifier que ce n’était pas empoisonné ou avarié, et même s’il n’aimait pas que le maître mange une partie de son repas, il le laissait faire parce qu’il trouvait l’attention gentille.

    Donc, le maître était bien nourri, il devait être comestible. Si le chat le mangeait, il était au moins sur de ne pas tomber malade. Le problème était que le maître était très grand, par rapport à lui, et il ne savait pas s’il pourrait tout manger tout seul. Le chat n’était pas partageur mais n’aimait pas gâcher. C’était un vrai problème.

    Le dernier qui se présentait était de savoir comment atteindre le maître. Maintenant qu’il était là-haut, sans aucune intention visible de redescendre, il fallait réussir à mettre la patte dessus, et, même en sautant du plan de travail, le chat n’était pas sûr d’y parvenir.

    Alors que le maître, qui avait quand même l’air un peu surpris, débitait, comme à son habitude, un chapelet de vulgarités, le chat étudia encore quelques instants la possibilité qu’il avait de pouvoir planter ses dents dans la chair de cette oiseau tout neuf. Il bailla. Réfléchir était épuisant et la solution ne lui venait pas.

    Le chat tourna la tête et partit vers le salon pour s’installer dans le canapé, décidant que finalement, le maître était le maître et pas un oiseau. Ça serait moins fatiguant.

  • 091 – Patte d’Ours

    Phrase donnée par JohnButcher

    Les moqueries fusèrent lorsque la silhouette malingre apparut. Son teint pâle et maladif et son manteau en lambeaux n’aidaient pas à rendre le personnage impressionnant. Il se dirigea vers le comptoir en claudiquant, s’appuyant sur une béquille qui ressemblait plus à une vieille branche qu’à autre chose. Rapidement, les clients de la taverne reprirent leurs activités sans plus s’en préoccuper.

    Il commanda au tenancier une cervoise qui lui fut servie dans l’instant. Le bonhomme derrière le comptoir ne s’était pas attardé sur l’estropié. On n’aimait pas trop les étrangers et ceux dans son genre n’attiraient en général pas la confiance des habitués, ni celle du patron.

    Au bout d’un long moment à rester immobile et boire sa cervoise, l’intrus héla le tavernier :

    « Patron, sauriez-vous si, dans votre clientèle de gentilshommes, se trouve un dénommé Patte d’Ours ?

    Le tavernier avait eu un mouvement sarcastique en entendant la façon dont cet inconnu qualifiait ses habitués. Il devint plus méfiant en entendant le nom de Patte d’Ours.

    — ’Connais pas ! Jamais entendu parler ! répondit-il sèchement avant de repartir à l’autre bout du comptoir.

    L’inconnu but une nouvelle gorgée avant d’être bousculé par une grande armoire à glace.

    — T’excuse pas, surtout, quand tu bouscules quelqu’un ! » lui lança l’arrogant. L’estropié resta silencieux et immobile, ignorant cette agression.

    L’opportun tapa sur la chope de l’intrus. La cervoise s’étala en éclat sur le sol. Bien loin de s’énerver ou de réagir, l’homme en guenilles se baissa tranquillement pour récupérer sa chope. En se relevant, il frappa maladroitement de l’arrière de sa tête le menton du molosse. Se frottant la tête, l’inconnu se rendit compte qu’il venait de laisser tomber sa béquille. Alors que, en rage de n’avoir pas vu cet assaut, sans vraiment être sûr que c’en était un, l’autre envoya un coup de poing qui manqua sa cible. Celle-ci à nouveau baissée attrapa son bâton et fit trébucher son assaillant.

    Voyant leur compère choir devant si frêle ennemi, la quasi-totalité des clients se levèrent.

    L’inconnu leva les mains au-dessus de sa tête et annonça simplement :

    « Je suis venu trouver Patte d’Ours ! Je ne veux pas vous causer de problèmes ! »

    Seuls des rires gras et cruels lui répondirent juste avant que les premiers ne se jettent sur lui. Frappant du sol avec sa béquille, une lame de feu circulaire repoussa les agresseurs. L’inconnu se débarrassa de son manteau sale et troué pendant que le bout de chiffon camouflant le haut du sceptre s’embrasait.

    L’homme avait l’air d’avoir grandi et portait une riche robe de mage, de velours et de fil d’or. Toute la taverne en fut impressionnée. Le mage les avait, pour la plupart, tous reconnus. Albert le poinçonneur, Dent de Fouine, le grand et le petit Auguste — qui n’en avait que le nom —, Sanglier Sanguinaire et tant d’autres dont la tête était mise à prix. Mais Patte d’Ours manquait.

    Alors que les plus proches des sorties tentèrent courageusement de fuir, le mage lança un sort de fermeture des portes et fenêtres. Ça ne tiendrait pas longtemps mais suffisamment pour s’occuper de tout le monde ici. Il monta sur le comptoir, cherchant du regard le tavernier. Il avait dû bien se cacher. Il n’était plus là. Le mage grogna. Son premier agresseur se releva, bien amoché par l’attaque de feu.

    « Qui es-tu ? demanda-t-il en se tenant toujours le menton.

    — Geoffroy de Tallisard, mais ça n’a pas d’importance. Dites-moi où se trouve Patte d’Ours et je ne vous tuerai pas ! »

    Ces menaces étaient à prendre au sérieux mais il était clair qu’ils ne donneraient par leur ami comme ça. Un second assaut se lança contre l’homme sur le bar. Ce n’était qu’un mage après tout. Si l’un d’eux arrivait à le mettre à terre en l’éloignant de son sceptre, le tuer serait un jeu d’enfant.

    Le problème fut de l’atteindre. L’homme était agile et puissant. Il parvint à défaire chaque assaut grâce à une vague d’énergie assommante. Rapidement, il se retrouva seul debout dans l’établissement. Mais toujours aucune trace de sa cible et surtout plus personne en état pour lui donner d’information.

    Le mage sauta du comptoir, attrapa sa chope, encore à sa place, et regarda tristement le vide qu’elle contenait.

    Des bruits de pas lourds retentirent soudain dans l’escalier arrivant de l’étage. L’intrus posa rapidement sa chope vide et enserra son sceptre, prêt à incanter.

    « Qui me cherche ici et maltraite mes amis ? annonça la voix rauque et reconnaissable entre toutes de Pattes d’Ours. Le colosse, à côté duquel le premier agresseur du mage n’était qu’un gringalet, ce qui lui avait valu son surnom, apparut dans la salle.

    Ses yeux, à moitié cachés par de broussailleux sourcils scrutèrent la seule personne encore debout dans la taverne, mécontents et méfiants.

    « Ils ne sont pas très accueillant, tes amis ! annonça le mage. Le regard dur de Patte d’Ours se détendit et un sourire se dessina à travers sa barbe.

    —  Geoffroy, mon frère !! Dans mes bras ! »

    Pendant que les deux hommes s’étreignaient cordialement, Patte d’Ours regarda le spectacle de tous ces hommes comateux.

    — Tu aurais peut-être pu t’annoncer !

    — Je l’ai fait, à un moment ! »

    Les deux frères éclatèrent de rire et fêtèrent leurs retrouvailles.

  • 090 – La disparition

    Phrase donnée par Julien V.

    Il voulut déverrouiller son iPhone mais ses empreintes digitales avaient disparu.

    Au milieu de la rue, alors que le flot des gens allant et venant le bousculait, il resta là un instant, son téléphone dans une main et fixant l’autre, grande ouverte. Comment était-ce possible ? Ce matin encore, il les avait. Il avait réussi à utiliser son iPhone et avait parfaitement vu son pouce déposer son empreinte sur son verre de jus d’orange pendant le petit déjeuner. Ou peut-être était-ce hier ? Il n’était plus sûr.

    Il fallait qu’il appelle Aby et ne pouvait utiliser cette connerie de machine. Pas la peine d’espérer trouver une cabine téléphonique, il n’en avait pas vu depuis au moins dix ans. Aby, cette belle brune qu’il avait rencontrée dans une soirée étudiante alors qu’ils préparaient leur diplôme d’ingénieur en physique quantique. Ils avaient complétement flashé l’un sur l’autre et elle était rapidement venue s’installer chez lui. Il s’en souvenait comme si c’était hier. Ou alors, c’était lui qui avait emménagé chez elle ?

    Essayant de se calmer, il leva le nez pour voir où il était et surtout pour prendre le temps de savoir ce qu’il allait faire. Logiquement, il avait rendez-vous au musée d’art moderne. Ou bien était-ce à l’exposition de sculpture dans le parc. Il avait l’impression d’avoir de la boue à la place du cerveau à présent. Impossible de se souvenir de quoi que ce soir de vraiment clair. Passant la main sur son visage, il fut surpris par la taille de son menton et de son nez, le manque de saillant de ses pommettes. S’approchant d’une vitrine, il fut surpris de ne pas reconnaître la personne dans le reflet. Ses yeux n’avaient plus leur couleur habituelle, ses cheveux étaient plus brun, son visage n’avait plus les mêmes traits. Que se passait-il ? Était-il dans un cauchemar ?

    Il fallait qu’il rentre chez lui et prévienne cette fille avec qui il vivait, mince comment s’appelait-elle déjà ? Il n’était même plus sûr de se souvenir d’elle.

    Soudain, une camionnette blanche arriva en trombe et s’arrêta à sa hauteur dans un crissement sec de pneu. Deux armoires à glace en costumes noirs débarquèrent de la porte latérale arrière, lui tombèrent dessus et le traînèrent à l’intérieur du véhicule malgré ses tentatives veines à se débattre.

    Rapidement plaqué sur un brancard, un troisième homme, en blouse blanche, le piqua au bras, sans plus de délicatesse. Il hurla sous la douleur. L’un des deux molosses lui posa, sans trop de délicatesse, un tissu sur la bouche pour étouffer ses cris.

    « Réimplantation du programme ! annonça le docteur, appuyant sur son oreillette. Ça tient de moins en moins longtemps ! Il va falloir trouver une solution rapidement, une fois sa mission terminée ! »

    Le docteur approcha une sorte de stroboscope des yeux du prisonnier qui vit des images entre les flashes, pas certain de savoir s’il s’agissait de souvenirs ou d’autres choses.

    Sans réfléchir, agissant comme par réflexes, il envoya un coup de tête dans le stroboscope. De surprise, un des molosses relâcha son étreinte, suffisamment pour permettre au prisonnier de libérer son bras et de lui envoyer un violent coup dans le nez, l’assommant. Arrachant l’étrange machine des mains du docteur, il frappa avec force le second molosse. L’homme en blouse recula autant qu’il le put, jusqu’à être plaqué contre la paroi du véhicule.

    Le prisonnier bondit du brancard, ouvrit rapidement les portes arrières du véhicules et sauta sans plus réfléchir du véhicule en marche.

    Atterrissant dans un roulé-boulé sur le bitume sous les regards ébahis des passants, il parvint à se relever rapidement et pris ses jambes à son cou, malgré l’extrême fatigue qui commençait à le prendre. Il ne savait pas quel type de sédatifs il avait reçu mais s’il n’arrivait pas à se cacher rapidement, ces salauds le rattraperaient sans problème. Les pneus du van crissèrent. Le véhicule manqua de créer un accident.

    Il n’y avait pas de temps à perdre.

    Il vit le molosse encore en état sortir et courir dans sa direction, bousculant les gens sans ménagement.

    S’engouffrer dans un grand magasin était peut-être le seul moyen de parvenir à le semer. Il monta quelques étages en prenant les escaliers, redescendit par d’autres et, de plus en plus assommé par les drogues, décida d’aller se cacher dans les toilettes. Dans un sursaut d’esprit, il s’engouffra dans celles pour dames et s’enferma dans une des cabines. Recroquevillé sur la cuvette, la tête posé sur ses bras croisés, il essayait de comprendre ce qu’il lui arrivait.

    Mais plus il réfléchissait, moins il parvenait à se souvenir de quelque chose. Jusqu’à ce que le trou noir de l’anesthésiant le happe.

  • 089 – Ellen & Gisèle

    Phrase donnée par Luigi B.-B.

    Un claquement sec fit remonter derechef une multitude de souvenirs.

    Ellen avait déjà vu ressurgir une quantité d’images enfouies trop profondément dans sa mémoire en arrivant près de la maison. La clôture lui avait rappelé très vaguement quelque chose mais rien de bien précis. Le bruit du mécanisme du portillon avait résonné de façon étrange, serrant son cœur d’une émotion lointaine. Remontant l’allée pavée, elle avait regardait le jardin voyant réapparaître devant ses yeux des images floutées par les années, abîmées pas la poussière de ses neurones.

    Sous le porche, Ellen se voyait en train de jouer à la poupée. Elle sentait les larmes serrer sa gorge, atteindre ses yeux.

    La porte de la maison était d’une couleur différente. Enfin, elle le pensait. Plus de quarante cinq avaient passé, elle avait peut-être simplement été repeinte depuis.

    Ellen souffla un grand coup pour essayer de calmer ses émotions et sonna. Des bruits de pas se firent entendre de l’intérieur. La porte s’ouvrit sur une dame qui semblait à peine plus âgée qu’Ellen. Elles se fixèrent un instant sans rien dire. Elle avait l’impression d’être devant un miroir qui lui renvoyait son image avec quelques rides en plus et des yeux d’une couleur différente.

    La propriétaire des lieux regardait Ellen. Ses yeux couraient sur cette femme qui se présentait et qui semblait être un clone d’elle dix-sept ans plus jeune. Ses lèvres tremblaient, ses yeux brillaient fort.

    « Gisèle ? » demanda-t-elle.

    Gisèle. Ce prénom résonna si violemment dans la tête d’Ellen qu’elle mit quelques instants à comprendre. Elle saisissait enfin pourquoi elle s’était toujours sentie mal à l’aise avec les filles qui portaient ce prénom, pourquoi il lui avait toujours fait se sentir triste sans raison. C’était son vrai prénom.

    Ellen sourit à sa mère, les larmes coulant abondamment sur ses joues. Elle ne pouvait plus les retenir. La vieille dame prit la tête d’Ellen dans ses mains et l’embrassa chaleureusement sur les jours avant de l’inviter à entrer et à s’installer dans le salon. Oubliant toutes les règles de savoir vivre, elle s’installa aussi ; sans même penser à lui offrir quelque chose à boire ou à manger. Qu’importait ? Elle venait de retrouver sa fille.

    Ellen avait perdu son père dix ans plus tôt. Sa mère venait de mourir. Juste avant de rendre son dernier souffle, elle lui avait avoué la vérité. Ellen avait été adoptée quand elle avait trois ans. Elle ne se souvenait plus de son prénom originel et n’avait plus le dossier d’adoption depuis des années dans un des nombreux déménagements. Elle se souvenait juste de la maison où Ellen avait été récupérée.

    Une fois les funérailles terminées, Ellen s’était mise en recherche de cette maison d’après les indications de sa mère adoptive. Elle avait aimé ses parents mais se sentait curieuse de rencontrer ses géniteurs, de connaître ses vraies racines. Elle avait surtout l’impression de pouvoir guérir un certain mal être qui l’embêtait depuis toujours, même si son enfance avait été très heureuse.

    Roseline, sa mère biologique, lui raconta l’histoire entrecoupée de nombreux sanglots. Le père de Gisèle était décédé d’un accident à l’usine, laissant Roseline avec cette enfant de moins de trois ans sur les bras et sans réels revenus. L’accident avait permis de payer la maison mais Roseline allait devoir trouver du travail pour subvenir à ses besoins et ceux de l’enfant. Beaucoup de problèmes arrivèrent avec ça. On conseilla à Roseline de faire adopter Gisèle pour lui permettre d’avoir une enfance et une vie plus facile. Après des semaines de réflexion qui lui déchirèrent le cœur, les moyens matériels l’obligèrent à prendre une décision. Et Gisèle fut adoptée par les parents d’Ellen.

    Roseline avait passé le reste de sa vie seule ici, à se morfondre sur cette décision qui avait brisé son cœur.

    La vieille dame se leva soudain. Elle partit un instant pour revenir avec une vieille peluche en très bon état. Le doudou d’Ellen. Une nouvelle vague de souvenirs et d’émotions la submergea.

  • 088 – Le rendez-vous

    Phrase donnée par CHloeildh

    On s’était donné rendez-vous douze ans plus tard, même bar, même table.

    Et moi, comme un con, je suis là à attendre qu’elle passe la porte. J’ai l’impression que mes mains tremblent. Je ne sais pas si c’est à cause des innombrables cafés que j’ai bu depuis ce matin ou juste le trac de la revoir.

    Quelle idée à la con !

    Je crois que c’est la pire chose que j’ai faite de ma vie, de suivre cette idée étrange qu’elle avait balancé.

    C’était parti d’une connerie. Du temps où elle était fan de ce chanteur pour midinettes qui s’est reconverti dans les tournois de cartes. Il avait une chanson qui disait quelque chose comme ça. L’idée lui a plu. Elle partait faire ses études supérieures au Canada. Moi, j’avais raté mon bac et mes parents déménageaient à l’autre bout de la France. Nous nous sommes envoyé quelques lettres avant de perdre l’habitude dans nos nouvelles vies ou je ne sais quoi. Une époque où Internet, les emails, les téléphones portables et les SMS n’existaient pas pour le commun des mortels.

    Nous fêtions son départ et en fin de soirée, nous avons commencé à divaguer sur notre futur, à un âge où tout est encore possible et rien n’est vraiment important. C’est là qu’elle a lancé cette idée folle de ce rendez-vous douze ans plus tard.

    Elle allait commencer des études de médecine. Elle voulait devenir pédiatre. Je me demande si elle a réussi. Je me demande ce qu’elle dirait de moi si elle me voyait maintenant. Je me demande si elle ne serait pas déçue.

    Je crois que j’ai toujours été amoureux d’elle, en fait. Depuis le premier jour où je l’ai vue. Je sais ça fait cliché, et pourtant… Je m’en souviens comme si c’était hier. La rentrée de seconde. Nouveau lycée. J’avais toujours l’impression de ne pas être à ma place à l’époque. Dans un coin de couloir, je l’ai vue débarquer avec son sourire, ses cheveux longs légèrement bouclés. Je crois que ce sont ses éclats de rire qui ont condamné mon cœur à ne plus penser qu’à elle.

    Évidemment, j’ai rencontré d’autres filles, mais elle restait dans ma tête et m’empêchait de croire dans mes relations. Je m’en veux encore de n’avoir pas continué la correspondance avec elle. En réalité, je ne me souviens pas bien si c’est elle ou moi qui avons arrêté d’envoyer des lettres en premier. Oh ! J’ai bien essayé de la retrouver grâce à la magie du net, il y a cinq ans mais je n’ai trouvé aucune trace. Elle s’est peut-être mariée et a changé de nom.

    Vingt-trois heures. La journée est bientôt finie, le bar va bientôt fermer. J’invite les derniers clients à payer avant de rentrer chez eux. Je me sens complétement usé par la déception. La déception de quoi ? Je ne suis pas sûr. La déception qu’elle ne soit pas venue ou la déception de voir que je crois encore aux contes de fées après tout ce temps.

    Il y a quatre ans environ, le bar était à vendre. Le tenancier partait à la retraite et le commerce était à reprendre. J’ai eu peur qu’il reste fermé. Dans ma tête, la première chose qui a fusé fut de savoir comment nous ferions pour nous revoir si le bar n’existait plus. Sans vraiment réfléchir, j’ai quitté mon boulot, qui n’était pas génial et ne payait pas très bien, pour reprendre la direction de ce troquet. Je suis content de cette nouvelle vie, mais je me sens toujours un peu con quand on me demande la raison de mon soudain revirement professionnel.

    Les derniers clients viennent de partir. Je lance un dernier lave-vaisselle et fais un tour dans la salle pour vérifier que personne n’a rien oublié. Le vieux max a oublié sa casquette. Il oublie toujours sa casquette. Je range les chaises, j’essuie les tables.

    Ou alors je fais tout ça pour tirer la journée le plus en longueur possible.

    En train d’essuyer les derniers verres que je range sur les étagères, j’entends le grelot de la porte sonner. Je me retourne vivement espérant la voir arriver mais la déception est énorme quand je vois le vieux max. Il vient récupérer sa casquette. Je souris tristement en me traitant de tous les noms d’oiseaux que je connais d’avoir espéré encore si tard. Je vois la bouteille de cognac, elle me fait de l’œil. Un petit verre pour me remonter le moral. Pourquoi pas ?

    Je tends la main vers la bouteille quand je me rends compte que je n’ai pas entendu le grelot. Max n’a pas bien refermé la porte. Je soupire exaspéré, plus par la fatigue et l’attente de la journée que par Max. Ce n’est qu’une fois de l’autre côté du bar que je me rends compte qu’il y a quelqu’un dans l’embrasure de la porte. Surpris, il me faut deux secondes pour comprendre.

    Elle est là. C’est bien elle. Ses cheveux légèrement bouclés et son sourire sont les mêmes. Je vois des larmes de joie aux coins de ses yeux. J’ai du mal à retenir les miennes.