Tag: Mon marathon de la nouvelle

  • 016 – L’ascension

    Phrase donnée par Ambrose

    De là-haut on aurait pu croire que les gens n’existaient pas.

    Il était facile de comprendre pourquoi Dieu, encore plus haut, avait oublié ceux qu’il avait créés.

    L’ascension avait été difficile et très périlleuse. Il avait fallu des jours pour arriver là.

    Mais le spectacle valait le coup.

    La mer de nuages en-dessous de nous faisait comme un parterre cotonneux. J’avais envie de m’y jeter pour tester son moelleux. Heureusement, malgré l’altitude, mon cerveau recevait encore assez d’oxygène pour me rappeler l’épreuve que ça avait été pour la traverser. Et je me souvenais parfaitement que nous avions perdu encore deux de nos compagnons de cordée. Je ne serais pas le prochain.

    « Tiens ! Bois vite tant que c’est encore chaud !

    Je remerciais Thyra pour la tasse de café fumant qu’elle venait d’apporter. Je le regardai avec insistance.

    — T’inquiète pas ! J’ai pas mis de poison dedans ! » me lança-t-elle avant que je ne porte la tasse à mes lèvres.

    Nous n’étions plus que trois dans cette ascension. Plus que trois sur les vingt au départ. Plusieurs fois, je m’étais demandé pourquoi j’avais voulu être là et qu’est-ce qui me manquait sur cette terre pour vouloir m’en éloigner le plus possible. Pourquoi diable avais-je voulu gravir cette tour abandonnée depuis toujours. La curiosité de découvrir ce qu’il y avait à son sommet ou juste le plaisir de la vue ? De toute façon, maintenant, j’y étais, plus moyen de revenir en arrière. Tous les autres y étaient restés au fur et à mesure. Une véritable hécatombe.

    Nous étions encore cinq quand l’un de nous avait émis l’étrange idée que pour pouvoir continuer dans la tour, il fallait qu’environ à chaque kilomètre, l’un des membres de la cordée meure. C’était complétement farfelu comme idée. Même s’il était vrai que nous avions perdu des membres de façon assez régulière, peut-être trop régulière. Et puis, nous étions vingt au départ pour l’ascension d’une tour qui aux dires des anciens en mesurait vingt kilomètres. La théorie se tenait mais c’était trop bizarre comme idée.

    Nous avions traversé la mer de nuages et nous avions perdu deux personnes, dont le malheureux prophète…

    Mon café fini, je me relevai et manquai de tomber de la tour. Le manque d’oxygène. La fatigue. Après tous ces efforts, rester immobile quelques instants semblait m’affecter fortement. Il ne fallait que nous bougions.

    Il n’était pas très tard et nous pourrions encore gravir un bon kilomètre avant de nous poser pour la nuit. Je rejoignis Thyra qui se trouvait non loin. Elle aussi était assise sur le bord de la tour. À ce niveau, elle n’était plus très large, pas plus de trente mètres de diamètres. L’ascension continuait par un petit escalier en colimaçon à moitié délabré par les vents violents et ne présentant que peu de protection pour ceux qui le gravissaient. Là, un faux pas ou une bourrasque un peu trop forte et c’était la chute assurée dans la mer de nuages.

    Je tendis la main à ma compagne de cordée pour l’aider à se relever et éviter qu’elle ne tombe comme j’avais failli le faire. Une demi-seconde l’histoire de notre compagnon me traversa l’esprit en même temps que l’idée de pousser la jeune fille. Si effectivement il ne pouvait y en avoir qu’un qui arrive au sommet, je devais peut-être faire quelque chose pour que ce soit moi.

    Je me repris rapidement. Je ne croyais pas à ces balivernes. Tous les autres y étaient restés parce qu’ils n’avaient pas le niveau physique suffisant ou un mental assez fort pour résister. Nous arriverions ensemble.

    « Où se trouve Mirk ? demandai-je comme je ne le voyais plus.

    — Il est parti devant pour voir.

    Thyra frissonna. Elle se blottit contre moi. Je sentis la chaleur de son corps. C’était agréable.

    — Nous avons tiré à la courte-paille, reprit-elle.

    Je la repoussai délicatement et la dévisageait. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire.

    — C’est moi qui ai perdu, avait-elle continué.

    — Perdu pour quoi ? C’était quoi l’enjeu ?

    — Savoir qui… »

    Thira se cacha le visage comme elle commençait à pleurer. J’essayai de la prendre dans mes bras pour la consoler sans vraiment comprendre de quoi et dans un mouvement violent, elle me repoussa. Je partis en arrière, mon pied s’enfonça dans le vide.

    Je ne vis qu’un de ses yeux quand elle releva la tête mais je fus sûr qu’il n’y avait pas de larme.

  • 015 – La bonne marraine

    Phrase donnée par Dexash

    Du dernier étage, elle observait le couple se déchirer.

    Ça n’était pas la première fois qu’ils se disputaient de la sorte. Presque tous les soirs depuis quelques mois, ils en arrivaient au même point.

    Elle les regardait se déchirer et comme chaque soir, elle s’inquiétait de l’état de leur couple. Tout avait semblé s’envenimer à la naissance de leurs enfants. Il est clair que d’avoir à gérer quatre bébés d’un coup n’est pas une chose simple, même pour des gens aussi entourés que la princesse et son mari. La fatigue les rendait irascibles et la nouveauté d’avoir à s’occuper de petits êtres n’aidait pas à la sérénité.

    Pourtant, il était clair que ce n’était pas tout. L’entente quasi-parfaite qui avait fait la réputation du couple ne pouvait pas être corrompue que par la naissance de ces quadruplés. Il y avait forcément quelque chose derrière. Déjà la grossesse multiple était étrange. Dans aucune des deux familles, il n’avait été recensé de jumeaux. Certes, on avait déjà connu des femmes ayant deux voire trois enfants d’un coup malgré des familles sans antécédents, mais quatre, personne n’en avait jamais entendu parler.

    La seule raison plausible qu’elle voyait était la malédiction. Son problème était qu’elle n’arrivait pas à la repérer. Et pourtant c’était la meilleure à ce jeu là. C’était d’ailleurs pour ça que le roi l’avait tirée de sa tanière au milieu de la forêt pour la faire venir vivre au château. Elle avait, depuis, fait tout ce qu’elle avait pu pour mettre à profit ses pouvoirs.

    À présent, elle essayait de trouver qui avait bien pu jeter un sort sur la princesse ou son mari. Elle ne trouvait pas et commençait à désespérer, s’inquiétant pour ses pouvoirs comme pour le couple. Elle les aimait tant. Elle avait vu naître la princesse et l’avait vu grandir. C’était comme une fille pour elle.

    Elle attrapa dans un des nombreux pots en terre une poignée de poudre de sa fabrication et retourna près de la fenêtre. Elle saupoudra l’air et attendit que le couple retrouve la quiétude et l’harmonie qui avait fait sa célébrité dans le royaume. Cela prenait de plus en plus de temps pour faire effet.

    Du dernier étage, elle observa le couple regagner ses appartements, de nouveau amoureux comme au premier jour.

    Du dernier étage, elle regarda l’horizon sombre de la nuit, s’inquiétant pour l’avenir si elle n’arrivait pas à trouver la source du problème.

  • 014 – Les étoiles

    phrase donnée par Astray

    Le truc bien avec les étoiles, c’est qu’elles sont suffisamment loin pour que les habitants potentiels puissent nous ignorer sans qu’on le sache.

    Tant qu’ils restent sur leurs planètes respectives.

    Évidemment, si tous décidaient d’aller voir ce qu’il se passe chez les autres, je ne sais pas ce qu’il se passerait.

    Nous sommes partis depuis si longtemps de chez nous. Je ne suis même pas sûr de savoir combien de générations sont nées à bord de notre vaisseau. Je ne sais pas s’il reste des gens sur Terre pour se souvenir que nous sommes partis ni pourquoi nous l’avons fait.

    Je souris.

    Je dis « nous » mais je n’y étais évidemment pas. Mon aïeul devait le savoir mais la raison qui nous est parvenue doit avoir été déformée par les souvenirs. Surtout depuis que la base de données du vaisseau a été détruite suite à une avarie.

    Depuis les savoirs se transmettent de manière orale, à la façon des anciens temps. Ils me semblent aussi irréels que les temps dit modernes qui nous ont vus partir vers une autre planète. La Terre était mal en point, les problèmes s’accumulaient, l’air n’était plus respirable, l’eau plus potable, la vie disparaissait lentement mais sûrement. Peut-être sommes-nous les derniers représentants d’une espèce éteinte depuis des centaines d’années.

    À présent, le commandant du vaisseau nous mène là où ses ancêtres lui ont dit que nous avions prévu d’aller. Nous ne sommes pas sûrs d’y trouver une terre d’accueil mais nous n’avons nulle part d’autre où aller. L’énergie utilisée pour le voyage ne nous permet pas d’aller ailleurs que sur cette petite planète.

    Que je ne verrai jamais.

    Il est prévu que nous y arrivions dans cent-vingt ans environ. Je serai morte et mes enfants le seront sûrement aussi. Ici, il n’y a pas de politique de maintien en vie à tout prix. De toute façon, personne ne veut rester dans cet environnement trop longtemps. Si on ne sert à rien, on est un fardeau pour les autres, alors autant mourir et être recyclé pour nourrir ceux qui restent.

    Des fois, j’ai l’impression que nous sommes des prisonniers. Je ne sais pas quels crimes ont commis nos ancêtres mais nous les expions de générations en générations, enfermés dans cette petite boîte de métal propulsée à trois fois la vitesse de la lumière à travers les astres.

    Il est étrange de se dire qu’avant, une personne qui levait les yeux au ciel étoilé voyait ce que toutes les personnes qui étaient passées là avant elle voyait. Moi, d’un jour à l’autre, je vois les astres sous des jours différents. Des jours. Quelle drôle d’expression qui nous reste d’un monde inconnu pour nous qui sommes dans l’obscurité de l’univers toute la journée.

    Nos premiers scientifiques se sont rendu compte qu’une journée de trente heures était le temps optimal pour nous. Alors les lumières artificielles ont été reréglées pour ce faire. Les jours comme nos ancêtres les ont connus sur Terre sont quelque chose de complétement inconnu pour nous.

    Des fois j’ai l’impression que nous sommes des rats de laboratoire dont le propriétaire serait mort. Nous continuons notre vie comme si de rien n’était mais nous n’avons pas vraiment de but. À part cette planète. Espérons qu’elle ne soit pas habitée ou alors pas par des gens hostiles.

    « Chérie ? Que se passe-t-il ?

    — Rien, rien… Je n’arrivais pas à dormir.

    — Encore ? Ça arrive de plus en plus souvent ces temps-ci. Qu’est-ce qui ne va pas ?

    Je m’éloigne de la grande fenêtre qui donne sur l’immensité du cosmos et m’assoit dans le bord du lit.

    — Des fois, j’ai l’impression que nos vies ne mènent à rien. »

    Mon mari va pour me dire quelque chose qu’il voudrait réconfortant mais qui n’arrivera pas à me sortir de cette dépression mais il se ravise. Il fixe la baie, se lève et s’en approche, la bouche toujours ouverte. Étonnée, je le rejoins. Qu’a-t-il pu bien voir de si spécial ?

    « Là-bas » réussit-il à peine à articuler quand j’arrive à sa hauteur. Du doigt, il me montre un objet qui n’a pas l’air d’être un corps céleste et qui se dirige droit sur nous. Très vite. Ça a l’air propulsé. Il y a une forte lueur derrière.

    Je me précipite vers le téléphone et appelle la salle de commandement. Il est impossible que nos radars soient passés à côtés.

    Je lâche un juron. La ligne est occupée.

    L’objet ralentit et vient se positionner à côté de nous. C’est un vaisseau. Il est très différent du notre et il est trop loin pour que j’arrive à distinguer quoi que ce soit à travers ses fenêtres.

    Soudain, les haut-parleurs du vaisseau résonnent avec la voix de notre commandant :

    « Mesdames et messieurs. Ceci n’est pas un exercice. Nous venons d’être accostés par un vaisseau d’une planète inconnue. Nous avons réussi à nous transmettre des informations mais nos langages sont très différents. Il nous est pour l’instant impossible de savoir si ces êtres sont pacifiques ou non. Restez sur vos gardes mais accueillez-les du mieux que vous le pouvez. »

    Des larmes coulaient le long de mes joues. C’était le jour le plus beau de ma vie. J’avais l’impression qu’elle commençait pour de vrai. Quoi que ces êtres nous apportent.

  • 013 – L’atome

    Phrase donnée par Lyco

    Quand elle ouvrit la porte, les atomes reprirent tous leur place. Sauf un.

    Lycia revérifia tous les paramètres de transfert. Il semblait que tout s’était bien passé, pourtant. Alors pourquoi lui manquait-il un atome ?

    Et d’ailleurs, de quel atome s’agissait-il ? La jeune femme entreprit de lancer l’analyse pour le découvrir.

    Il était assez difficilement concevable qu’il manque quoi que ce soit. Elle se sentait complète, cela dit. Pourtant la machine était formelle. Et même si les dix dernières années n’avaient vu aucun accident de téléportation se produire, il n’était pas impossible qu’il en arrive un. Mais pourquoi serait-ce arrivé à elle ?

    Des fois, Lycia se disait qu’elle attirait les problèmes.

    Déjà le matin même, elle avait été obligée de changer en urgence de tailleur à cause de ce nouveau garçon qui venait d’être embauché, Hurby. Cet empoté lui était rentrée dedans quand elle sortait de l’ascenseur, renversant son café encore bouillant sur sa tenue.

    Il avait beau s’être excusée avec véhémence et avoir un sourire à se damner, Lycia lui en voulait. Ou lui en voulait-elle parce qu’elle avait peur de ce qu’il avait bien pu penser d’elle ?

    Elle ne savait pas.

    L’analyse terminée, le rapport indiqua qu’en réalité il ne lui manquait pas d’atome. Il avait juste été échangé par un autre, qui ne lui appartenait pas. Mais qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Depuis quand la machine échangeait des atomes pendant les transferts ? Et puis après, quoi ? Elle deviendrait une autre, petit à petit, chaque jour qu’elle se téléporterait ? Chaque fois qu’elle irait au travail, en vacances ou voir ses amis ? Certes ce n’était qu’un atome et il faudrait des millions, voire des milliards d’années pour la changer entièrement, mais sur le principe, elle n’était pas d’accord. Hors de question qu’une machine ne la change de la sorte.

    Dès le lendemain matin, elle appellerait Lightspeed Travels et leur expliquerait sa façon de penser.

    Arrivée chez elle, Lycia essaya de penser à autre chose.

    Elle repensait à cet Hurby. Elle avait dû passer pour une folle, vue la façon dont elle avait réagi. Lui avait su rester très calme malgré son air plus que gêné. Il lui avait même proposé de payer la note de teinturerie, ce qui était sympa puisqu’elle aurait pu faire attention avant de sortir en trombe de l’ascenseur.

    Lycia fut interrompu dans ses réflexions par son téléphone. Elle regarda le numéro mais elle ne le connaissait pas. Maugréant intérieurement contre les gens qui appelaient à n’importe quelle heure de la nuit en se trompant de numéro, elle décrocha.

    « Allo ? Bonsoir.

    Lycia reconnut immédiatement la voix. Elle se redressa dans son canapé et coupa le son de sa télé.

    — Je suis bien chez Lycia Saint-Clair ? continua l’interlocuteur.

    — Oui ? Qui la demande ? La jeune femme essaya de rester le plus calme possible.

    — C’est Hurby, Hurby van Broot. Je suis le nouveau. C’est moi qui vous ai ruiné votre tailleur ce matin.

    — Ah, oui, Hurby. Elle gardait son ton le plus neutre pour essayer de ne pas s’emballer. Que se passe-t-il pour que vous m’appeliez aussi tard ? Rien de grave ? Comment avez-vous eu mon numéro d’ailleurs ?

    Le jeune homme devint hésitant.

    — C’est le patron qui me l’a donné… Je… Je suis désolé de vous embêter à cette heure si tardive mais voilà… en rentrant chez moi ce soir, je me suis rendu compte qu’il me manquait quelque chose et après quelques recherches, il semblerait que ce soit vous qui l’ayez.

    Quoi ? Il l’appelait pour l’accuser de vol ? Il était dans la boîte depuis même pas une semaine et il l’accusait, elle qui était là depuis presque six ans à faire un boulot irréprochable, de lui avoir dérobé quelque chose ? Mais pour qui se prenait-il ?

    — En fait, vous m’avez pris quelque chose mais je n’en suis pas sûr, c’est pour ça que je vous appelle. Juste pour être sûr.

    — Mais de quoi parlez-vous ?

    — Ce soir en rentrant chez vous, le téléporteur ne vous a pas indiqué qu’il vous manquait un atome ?

    — Euh… Si ! Mais comment le savez-vous ?

    — Je crois que ce matin, en nous percutant, nous avons échangé cet atome. À moi aussi il m’en manque un.

    Lycia se sentit un peu décontenancée.

    — Alors ça ne vient pas de la machine ?

    — Apparemment pas.

    — Comment est-ce possible ? Et comment allons-nous faire pour nous rendre nos pièces ?

    — Je n’en sais trop rien, mais si vous n’êtes pas trop fatiguée, nous pourrions en discuter autour d’un petit verre.

    — D’accord ! »

    Après s’être donnés rendez-vous dans un bar non loin de chez eux, Lycia raccrocha. Elle sourit en se disant que le mélange de particules était une technique de drague qu’on ne lui avait encore jamais faite.

     

  • 012 – Le bracelet

    Phrase donnée par Dexash

    « Prends ça ! »

    Elle regarda fixement l’objet, effarée, avant d’obéir en déglutissant nerveusement.

    « C’est bon, Khrysta ! reprit Erlbach, son compagnon le plus vieux et clerc de l’équipe. Ce n’est pas comme si tu ne savais pas ce qu’on venait chercher. Par contre, prépare-toi au combat parce qu’on ne devrait pas tarder à tâter du monstre d’ici peu de temps. Quand on récupère ce genre de reliques, ils débarquent rapidement ! »

    La jeune femme, encore stressée d’avoir un tel objet dans ses mains, sous sa responsabilité, ne savait pas vraiment quoi répondre.

    Il fallut que Brax lui répète de se dépêcher pour qu’elle bouge enfin. Elle ouvrit son sac pour mettre le bracelet à l’intérieur mais Erlbach l’arrêta.

    « Mets-le à ton poignet, il sera plus en sécurité qu’à bringuebaler dans ton sac.

    — Mais c’est un objet pour les… »

    Erlbach lui lança un regard qui montrait qu’il n’avait vraiment pas envie de discuter. Khrysta enfila le bracelet puis prépara une flèche à son arc.

    Rapidement, un bruit sourd se fit entendre, comme si des dizaines d’animaux tambourinaient le sol qui commença à trembler légèrement puis plus fortement.

    « Combien sont-ils ? demanda Khrysta.

    — Très nombreux. »

    Erlbach avait répondu cela d’un ton grave et presque inaudible dans le grondement ambiant.

    Ça devenait assourdissant.

    Khrysta commençait à se questionner sur son choix de s’engager avec ses deux compagnons, beaucoup plus expérimentés qu’elle, dans une quête comme celle-ci. Sa première. Elle s’était dit qu’elle pourrait gagner facilement de l’expérience et monter des niveau rapidement, mais là, alors qu’elle s’attendait à voir apparaître des centaines de monstres d’un niveau inconnu, elle se posait vraiment la question sur ce choix.

    C’était même assez incompréhensible qu’Elbrach et Brax aient accepté une si jeune recrue pour cette quête. Même si elle était très mignonne et avait un sourire enjôleur, elle se doutait qu’ils ne l’avaient pas acceptée dans l’équipe juste sur ces critères.

    Des quelques tunnels qui débouchaient dans cette salle souterraine, arrivèrent finalement des dizaines d’orcs. En fureur, était-il besoin de préciser ?

    « Comment peuvent-ils savoir que nous avons récupéré leur relique ? Y a-t-il un système d’alarme ? » se demanda Khrsyta, l’espace d’un instant.

    Elle banda son arc, visant le premier des ennemis, commençant déjà à prévoir les deux ou trois cibles suivantes. Elle attendait que le premier entre dans son rayon d’action.

    Brax avait sa longue épée en mains, les muscles contractés à leur maximum, prêt à découper tout ce qui se présenterait.

    Elle allait libérer la corde quand Erlbach la somma d’attendre encore un peu, qu’ils s’approchent. La jeune femme voyait le monstre une fois et demi plus grand qu’elle s’approcher dangereusement.

    « Erlbach ? demanda-t-elle fébrilement.

    — Encore un peu… »

    Le monstre était à moins de trois pas (immenses mais quand même) de la jeune femme quand le clerc lui donna le signal.

    Simultanément, Khrysta décocha sa flèche dans la gueule de l’orc qui arrivait sur elle et s’apprêtait à la découper d’un coup de hache au tranchant émoussé, et Brax lança sa lame pour mettre en pièces trois monstres d’un seul coup.

    Pendant ce temps, Erlbach protégeait ses deux compagnons de prières protectrices. Il avait aussi lancé un sort d’enflammement pour les flèches de la jeune fille et un sort de lame empoisonnée pour Brax.

    Il y avait déjà une bonne douzaine de cadavres sur le sol et il semblait aux trois aventuriers que la caverne continuait de se remplir de monstres.

    Brax avait été touché au bras et à la jambe et Khrysta n’avait plus que trois flèches dans son carquois. Elle allait devoir sortir sa dague mais se demandait si cette petite arme suffirait à faire quelque chose contre ces énormes monstres.

    Erlbach avait encore quelques sorts mais attendait encore un peu pour les lancer. Brax commençait à fatiguer malgré le support de son ami. Il avait déjà taillé une bonne cinquantaine d’orcs et avait l’impression que plus il en tuait, plus il en arrivait. Khrysta essayait de se faufiler entre les pattes de ces monstres et de leur taillader les tendons des genoux et des chevilles — au passage elle se demanda si chez les orcs aussi, ça s’appelait le tendon d’Achille. Elle y était parvenue pour cinq ou six monstres qui se retrouvaient au sol à ramper pour essayer d’atteindre le clerc, en retrait.

    Au bout d’une heure de combat, ou plus — c’était assez difficile à savoir —, les trois compagnons se retrouvèrent acculés contre une paroi. Le nombre d’orcs encore debout était incalculable. Ils n’allaient pas s’en sortir vivant.

    Un orc se jeta sur la jeune femme, pendant que d’autres attaquaient ses compagnons. Il lui assena un violent coup de poing qui la projeta contre le mur. Elle était un peu sonnée mais se releva, ressentant une colère violente contre ce monstre. Un sentiment qu’elle ne s’était jamais connue.

    Le bracelet qu’elle avait au poignet commença à luire. Khrysta avait soudain envie de voir brûler tous ces monstres. Elle sentait en elle l’envie de les faire brûler. Peut-être était-ce le coup à la tête ou la fatigue, Khrysta avait l’impression de ne plus être aux commandes de son corps. Elle se vit lever le bras et lancer grâce au bracelet d’énormes boules de feu vers ses ennemis. Ceux encore en dernières lignes purent s’enfuir. Tous les autres périrent dans les flammes.

    Uniquement une fois que la petite équipe fut seule dans cette immense salle caverneuse, Khrysta reprit ses esprits. Dans un réflexe, elle retira vivement le bracelet et le jeta au sol. Il rebondit mollement sur l’un des nombreux cadavres d’orcs.

    « Qu’est-ce que… Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

    Erlbach souriait franchement. Brax, appuyée sur sa très grande épée longue, ne souriait qu’à moitié.

    — Ce bracelet est une relique pour les magiciens, comme tu voulais me le rappeler tout à l’heure.

    — Oui ! Et je ne suis pas magicienne !

    — Toi non ! Mais ton père est un très grand magicien. Et il y a forcément, dans le sang, des traces de cet héritage !

    — C’est pour ça que vous m’avez pris avec vous ? Et vous étiez prêt à nous faire tuer sur cette supposition ? »

    Krysta ramassa le bracelet, le remit à son poignet, croisa les bras et prit le chemin de la sortie avec une moue boudeuse sur le visage, sous les rires amicaux de ses camarades.

  • 011 – La Décision

    Phrase donnée par Amelodine – inventée par Dexash

    Il resta pensif un moment, les yeux dans le vague, avant de prendre sa décision.

    Cela faisait des années que ça durait. Il n’en avait plus envie. Des années que chaque soir, il rentrait chez lui, usé par le poids de la culpabilité. Des années qu’il s’asseyait chaque soir pour s’abrutir devant la télé pendant des heures afin d’oublier mais chaque nuit, au lieu de dormir, il y pensait et y pensait encore. Ça n’était plus possible.

    Sa femme l’avait quitté pour ça. Et maintenant, il comprenait vraiment pourquoi. Il la pardonnait presque d’être partie, vu le temps qu’elle avait mis pour le faire et tout ce qu’elle avait dû endurer par sa faute. Ce mariage avait duré seize ans. Elle méritait une médaille d’avoir tenu si longtemps. L’entrée au paradis, même.

    Son manager aussi lui avait dit qu’il fallait faire quelque chose, que ça « l’empêchait d’être en total cohérence avec l’esprit de la boîte », que ça mettait mal à l’aise toute le monde à l’étage et même dans les autres sections.

    Il avait raison. Ils avaient tous raison. C’était incroyable d’avoir dû attendre autant de temps pour se rendre compte de la triste réalité. Et à présent qu’il lui faisait face, il ne voyait plus qu’elle.

    Et dire que c’était ce gosse qui lui avait fait prendre conscience de la chose. Ce gosse. Cet ado en fait. De ceux qui n’ont pas la langue dans leur poche et disent tout haut ce que tout le monde pensent tout bas. Peut-être était-ce parce que ça venait d’un étranger, peut-être était-ce parce que ça venait d’un sale gamin, peut-être était-ce juste parce qu’il était temps d’accepter la chose… Sa décision était prise.

    Dans la salle de bain, le regard fatigué plongeant dans celui de son reflet, il dénoua lentement son nœud de cravate. Regardant au creux de sa main le morceau de tissus qu’il portait tous les jours depuis si longtemps, il appuya sur la pédale de la poubelle qui s’ouvrit avec ce son métallique si habituel et jeta sa cravate Babar.

  • 010 – La Traque

    Phrase donnée par Khyreena

    « C’est fou qu’une personne aussi petite ait pu projeter une si grande ombre sur moi.

    — C’est ce qu’il se passe quand on mange trop, la neige ne supporte pas le poids ! »

    Je venais de m’affaler de tout mon long du haut d’un talus. Dans la lumière rasante de ce matin d’hiver, j’avais eu l’impression qu’un instant il refaisait nuit. Ça n’était que l’ombre de mon compagnon surplombant mon point de chute.

    Une fois debout, je m’époussetais la neige qui avait collé à mes vêtements et récupérait mon épée tombée non loin.

    « Dieu, que je hais cette saison ! »

    Harold me rejoignit prudemment. En plus d’éviter le risque d’être aussi ridicule que moi, il préférait se méfier de ce qui pouvait joncher le sol de cette forêt. Surtout recouvert par une épaisse couche de neige, les pièges à loups disséminés pouvaient être mortels.

    Une fois à mon niveau, mon camarade m’exhorta à avancer. Il était encore tôt mais avec cette neige nous n’avancerions pas vite et il fallait que nous nous pressions pour ne pas perdre la trace.

    Nous étions à la recherche d’une bête sauvage qui s’amusait à dévorer les troupeaux des éleveurs du coin. Ceux-ci nous avaient engagé pour que nous réglions le problème. Harold et moi étions les deux seuls combattants de la région. Deux anciens soldats. C’est là que nous nous étions connus. Deux gamins qui avaient sympathisé. Je l’avais immédiatement charrié à cause de sa petite taille et lui s’était vengé sur mon embonpoint. Et nous ne nous étions plus jamais quittés. Après cinq au service des troupes du Roi, nous avions préféré quitter les rangs et vivre comme nous l’entendions. Ça n’était pas aussi simple que nous le pensions au début. Trouver du travail quand on ne sait faire que la guerre depuis ses dix-sept ans n’est pas la chose la plus facile du monde. Et puis en arrivant dans la région, nous entendîmes parler de ces problèmes de bête sauvage. Mon compagnon eut tout de suite l’idée de vanter nos faits d’armes — en les enjolivant, beaucoup — pour qu’on nous engage. L’affaire fut conclue très rapidement. Les éleveurs, ici, étaient à bout de nerfs.

    Et ce matin, après une nuit glaciale en planque, nous vîmes la bête s’attaquer à la brebis laissée en appât dans le pré en lisière de forêt. Harold n’avait pas vraiment de plan pour s’attaquer à la bête. Il pensait que c’était un loup de rien du tout et que les villageois n’étaient que des froussards. À la lueur de frayeur que je vis dans ses yeux quand la bête avait déchiqueté le pauvre animal, je pense qu’il avait révisé son jugement.

    Nous n’étions armées que de nos épées, vestige de notre enrôlement. Et je commençais à me dire que nous n’arriverions pas à nous occuper de cette bestiole. Elle était énorme. J’en frissonnais rien qu’à y repenser. Rien à voir avec le froid.

    À vrai dire, je ne savais pas vraiment ce que nous avions vu. Harold non plus.

    Nous suivions les traces de sang de brebis et de pas gigantesques. Si c’était un loup, il devait avoir la taille d’un cheval. Sans exagérer. Mais on n’avait jamais vu un cheval manger une brebis. Enfin, moi, jamais.

    Au bout de deux bonnes heures de marche, les traces de sang avaient disparu depuis longtemps. Je faisais entièrement confiance à Harold pour savoir où nous étions, parce que pour ma part, j’étais complétement perdu dans cette forêt. Je commençais à désespérer de retrouver ce monstre.

    Soudain, mon ami me fit signe de me baisser et de faire silence. Je m’exécutai immédiatement et le rejoignit le plus discrètement possible. Il était sur un petit promontoire. À une dizaine de coudée en contre-bas se trouvait tranquillement allongé et ronflant, un ours. Un gigantesque ours brun. Je me tournais vers mon camarade, incrédule. Il n’y avait pas d’ours dans le coin, en général. Il y avait quelques carcasses d’animaux de toutes sortes autour de ce monstre de la nature. Aucun doute possible quand à sa culpabilité.

    « Comment veux-tu que nous puissions le tuer ? » demandai-je à Harold.

    Celui me fit signe d’attendre et de le laisser réfléchir quelques instants. Je pris le parti de m’asseoir. Des fois, les temps d’élaborations d’Harold pour ses plans pouvaient être très long. En plus, je commençais à avoir faim. Je tirai de ma besace un bout de viande séchée et commençait à le mastiquer quand mon compagnon se tourna vers moi. Il avait trouvé. Et je le vis glisser en arrière. Et le reste du paysage avec.

    J’étais déjà dans le vide quand je compris que c’était la plaque de neige sur laquelle je me trouvais qui venait de glisser et m’envoyait directement sur notre proie.

    J’essayai de ne pas crier pour ne pas la réveiller et ne pas me faire dévorer comme une simple brebis.

    Quand je rouvris les yeux, je voyais la tête d’Harold en contre-jour. Il me masquait encore le soleil.

    « Faudrait pas que tu prennes l’habitude de me faire de l’ombre ! lui dis-je.

    — Ça, y a pas de soucis !! rit-il en me tendant la main pour m’aider à me relever. Je me rendis compte que j’avais mal aux reins. En regardant alentours pour voir ce qu’était devenu l’ours, je fis un bond en arrière en voyant la masse velue juste à côté de moi. Harold ne put s’empêcher d’éclater de rire.

    — Il est mort ! annonça-t-il rapidement alors que je m’éloignais.

    — Quoi ? Mais comment as-tu…

    — Moi ? J’ai rien fait, l’ami. C’est toi ! Tu lui as brisé la nuque en lui tombant dessus. Comme quoi ! Ça sert des fois d’être aussi gros qu’un ours ! Imagine la taille de l’ombre que tu lui as projetée, à lui ! »

  • 009 – La Parole

    Phrase donnée par Astray

    La parole donnée doit absolument être respectée, l’ennui, c’est quand on la donne sans réfléchir.

    En général, en plus, c’est forcément quand tu n’arriveras pas à la tenir, que tu donnes ta parole aux mauvaises personnes.

    Disons qu’un jour, tu te réveilles et ta femme te pourrit comme du poisson. Elle vient de se rendre compte que tu bouffes un peu — beaucoup — les économies que vous aviez prévu pour les études des gosses — que vous n’avez toujours pas — dans des parties de poker dont tu sors rarement — jamais — gagnant. Le même jour, tu arrives à ton boulot et ton patron te convoque. Tu fais un boulot de petit comptable dans une petite boîte dans le bâtiment. Il s’est rendu compte qu’il y a des erreurs d’écritures et qu’il manque un gros paquet de fric dans le coffre comparé à ce qu’il devrait y avoir.

    Ta journée commence vraiment à être merdique, pas vrai ?

    Si. En fait non ! Elle le devient pas, elle l’est déjà depuis au moins des mois, chacune d’entre elles. Et dans toute cette histoire c’est quand même un peu ta faute. Mais ça, c’est pas grave.

    Après tout, cette pauvre conne avec qui tu t’es marié n’a qu’à réussir à tomber enceinte mais avec tous ces régimes à la cons, c’est pas simple a dit le docteur, elle a pas vraiment voulu écouter. Donc pour te venger t’as préféré dilapider les économies. Pas de problème. Je comprends.

    Et ce connard qui te fait bosser cinquante heures par semaine en te chiant dans les bottes à longueur de temps sans vouloir jamais t’augmenter à par le minimum légal — parce qu’il a pas le choix —, ce connard, c’est normal que tu piques un peu dans la caisse, c’est un juste retour des choses. Tu prends ce qu’il aurait dû te donner depuis longtemps. Qu’il ne s’en prenne qu’à lui-même.

    C’est sûr, ces deux connards n’avaient que ce qu’ils méritaient. C’est même étonnant que deux sous-merdes pareilles n’aient pas réussi à coucher ensemble dans ton dos. Quoique. T’en sais rien en fait. Surtout maintenant qu’ils sont au fond d’un trou, complétement cramés. Ils ont suppliés comme des gonzesses, enfin, ton patron. Comme quoi, l’expression est peut-être mal choisie.

    Bref. Tout ça pour dire que tu avais donné ta parole. Mon patron avait donné la sienne. Quand tu as demandé un petit délai, il a pas été chien, il te l’a accordé. Alors maintenant, pour bien faire comprendre à tout le monde qu’il aime pas être pris pour un con et que la parole donnée, c’est important de la respecter, tu te retrouves à genoux dans une petite rue avec le canon de mon flingue sur l’arrière de ton crâne. Toi aussi, tu pleures comme une gonzesse. Au moins, ta femme, elle, s’est bien tenue quand je m’en suis occupé. Elle n’a fait que t’insulter, finalement pas surprise.

    La prochaine fois que tu engages des gens pour te délester de fardeaux, assure-toi de pouvoir payer à temps.

    Et évite de salir mes pompes une fois que je t’aurai flingué.

  • 008 – Les 24 heures de la nouvelles

    Depuis hier 14 heures, jusqu’à aujourd’hui, même heure, se déroulent les 24 heures de la nouvelle.
    Le concept est simple : écrire une nouvelle en 24h avec une contrainte dévoilée au début de l’aventure.
    Pour cette première édition, la contrainte était d’insérer dans le texte 5 titres de chansons d’un même chanteur ou groupe. Les musiques sans parole type musique classique étaient aussi acceptées.

    Voici le texte que j’ai sorti :

    Wiener Dämpfe

    Aujourd’hui, Magalie se marie. Tout ça est arrivé tellement vite pour elle. Elle remonte l’allée de l’église et tout le monde rive ses yeux vers elle. Elle se demande comment elle en est arrivée là.

    Trois semaines plus tôt, elle était arrivée de Paris. Ses parents avaient décidé de l’envoyer en pension chez la grand tante de Vienne, en Autriche pour lui permettre de mieux connaître le savoir-vivre bourgeois des femmes viennoises. Quand Magalie avait entendu cette nouvelle, elle avait été plutôt réjouie. Oh ! pas à l’idée de pouvoir courir les bals en robe de princesse comme dans un conte de fée, non. Magalie s’intéressait plutôt à des domaines auxquels une jeune femme de bonne famille à peine sortie du pensionnat n’est pas censée s’intéresser. Magalie était une véritable passionnée de mécanique et surtout de mécanique steam et cette quantité inouïe de nouvelles inventions qu’elle avait permis d’apporter au monde.

    Arrivée au-dessus de la capitale autrichienne, Magalie avait pu découvrir le beau Danube bleu et les nombreux bâtiments majestueux qui s’étalaient dans la ville à la lumière du soleil levant. Le voyage de nuit s’était très bien passé, les moteurs ne l’avaient pas empêché de dormir, et le petit-déjeuner avait été copieux. La jeune femme était de très bonne humeur et quelque peu excitée par cette nouvelle vie qui l’attendait. Elle se demandait qui viendrait la récupérer. Serait-ce la grand tante en personne ou enverrait-elle son majordome ?

    Une fois débarquée de l’aéronef, Magalie ne vit personne semblant l’attendre. C’était étonnant, la grand tante avait bien confirmé que tout était prêt pour la recevoir. Le jeune femme, peu inquiète, alla flâner un peu et lire les titres de journaux du matin et les dépêches télégraphiques. Elle n’y trouva rien de neuf comparé à Paris. Dans le même temps, elle regardait les gens et la façon dont ils étaient habillés. La mode était si différente de la France. Là-bas, les femmes ressemblaient à des pâtisseries. Ici, elles étaient les bonbons de Vienne. Ces étranges comparaisons donnèrent presque faim à Magalie. Cela faisait déjà près d’une heure qu’elle était là, à attendre et toujours aucun signe de la grand tante ou de son majordome. Elle se disait qu’elle allait envoyer un télégramme pour les prévenir quand un jeune homme à peine plus âgé l’accosta. C’était un des valets de la grand tante.

    « Je suis désolé du retard mais je ne viens pas souvent seul en ville ! Annonça-t-il à Magalie avec un très fort accent allemand. Il avait un sourire franc et mignon qui empêcha la jeune femme de lui en vouloir de s’être fait attendre.

    — Ce n’est rien. » Parvint-elle à articuler.

    Les valises furent vite misent dans la voiture automobile — Magalie jubilait complétement en voyant cette machine — et le jeune conduisit l’invitée chez la grand tante.

    La maison était sur les hauteurs de la ville, il y en avait pour une bonne heure pour l’atteindre. Le jeune garçon conduisait d’une façon très tendue, toute en accélérations et freinages brusques. Magalie n’aurait pas dû être rassurée mais elle aimait cette sensation et le jeune homme semblait tout à fait sûr de ce qu’il faisait. Au moins aurait-elle quelques aventures de voyages à raconter en rentrant en chez elle.

    En arpentant l’allée de l’église, elle se dit qu’en y repensant bien, elle avait été très naïve avec cette histoire de voyage à Vienne pour une année. Elle avait pourtant eu l’exemple de cette jeune fille dont elle n’était pas très proche au pensionnat et dont elle ne se souvient pas le nom, qui était partie un peu comme ça, avec un faux prétexte, en Angleterre et qui s’était retrouvée mariée à un vieux lord de vingt-sept ans. Comment n’avait-elle pas pu penser que ça lui pendait aussi au nez ? Elle n’en sait rien mais à présent elle s’en veut.

    Une fois arrivés au manoir, elle fut reçue par la gouvernante qui lui montra sa chambre et l’invita à se préparer pour être reçu par Madame.

    La grand tante l’avait rencontrée et lui avait rapidement présenté la maison, le personnel (le majordome c’était cassé la jambe le matin même, expliquant pourquoi le garçon d’écurie l’avait accueillie avec du retard). Les joues de Magalie s’empourprèrent en repensant à ce jeune homme. Le vieille dame s’en rendit compte immédiatement et remis en place sa jeune invité, lui rappelant son rang et le fait qu’elle ne pouvait pas frayer avec n’importe qui.

    Malgré ce rappel à l’ordre du protocole, qu’elle connaissait pourtant déjà très bien, Magalie passa les quelques jours suivant à essayer de parler avec le jeune homme. Si son physique et son sourire étaient tout à fait agréables à regarder, Magalie allait surtout le voir pour ses connaissances en mécanique. Elle l’avait vu s’occuper de l’automobile et avait compris qu’il serait la seule personne réellement intéressante dans la maison.

    Tous les matins, la jeune femme suivaient des cours par le précepteur engagé par sa tante ou recevait des visites et devait faire des courbettes à des femmes de la haute société viennoise qui leur rendaient visite. Magalie ne supportait pas ces mondanités et ne passait ses matinées qu’à penser à ce qu’elle allait bien pouvoir faire avec le valet et son automobile.

    Au bout de deux semaines, personne n’avait demandé de compte à Magalie pour ce qu’elle faisait de ses après-midis. Elle les avait presque toutes passées avec le charmant jeune homme. Au début, il avait discuté avec elle des choses qu’elle voulait entendre. Mécanique, fonctionnement de la voiture et des quelques autres machines à vapeur dont il s’occupait au manoir, puis la jeune française devenant de plus en plus curieuse, il l’avait emmenée en ville, dans un quartier pas très bien famé mais où elle avait pu découvrir le monde des gens qui travaillent directement avec toutes ces machines. Évidemment, elle avait été obligée de revêtir des habits beaucoup moins chic que ce qu’elle portait d’habitude et pour ne pas attirer les soupçons sur son rang. Elle avait dû faire ça en cours de chemin. Le valet s’était arrêté dans un petit bosquet et avait laissé Magalie se changer en toute discrétion. Il n’avait même pas essayé de regarder une seule fois. Elle en avait d’ailleurs été étrangement assez déçue.

    Une fois dans cette zone étrange et nouvelle pour elle, Magalie rencontra beaucoup d’hommes et de femmes aux traits tirés et aux yeux fatigués mais le sourire aux lèvres. Elle avait appris énormément de choses en si peu de temps. Elle s’était même énormément rapprochée de son valet. Elle ne connaissait pas son prénom et pourtant, il était devenu la chose qui occupait son esprit à tout moment. Elle commençait à se languir de l’embrasser mais n’était pas sûre que ses sentiments soient réciproques. Elle se disait qu’il n’oserait jamais faire le premier pas à cause de leur différence de classe. Et c’était pour ces raisons qu’elle n’osait pas non plus lui sauter au cou et l’enlacer avec fougue.

    Cela faisait deux jours que Magalie se disait qu’elle allait passer à l’acte. Elle ne pourrait pas se contenir trop longtemps de toute façon. Elle avait l’impression de fondre quand il lui souriait. Surtout avec cette petite fossette qui creusait sa joue à chaque fois. Elle l’avait remarquée la première fois mais à présent, elle ne voyait plus que ça.

    Ce matin là, au lieu de recevoir de vieilles rombières et leurs filles un peu trop empouponnées pour pouvoir réfléchir d’elles-mêmes, la grand tante eut le plaisir de voir venir une amie de longue date et son fils, Joseph. Il avait trente deux ans et était le fils unique d’une des plus grandes familles viennoises. Magalie n’avait écouté cette présentation, pourtant tout à fait claire dans sa volonté, que d’une oreille distante, la tête prise par l’image de son valet.

    Quand elle avait réellement compris ce que ce Joseph venait faire, la jeune femme s’était à peine excusée et était allée s’enfermer dans sa chambre. Il était hors de question qu’elle se marie à ce vieux qui semblait pédant au possible et dont elle ne voulait absolument rien savoir. Une fois les invités partis (à la hâte, il est vrai, aux vus de la réaction de la promise), la grand tante monta voir Magalie dans sa chambre.

    « Ne croyez-vous pas que j’ai vu votre petit jeu avec mon valet ? Je sais qu’il est très beau et semble vigoureux pour la besogne, mais il n’est pas de notre rang. Vous devez épousez quelqu’un comme Joseph.

    Magalie restait murée dans son silence. Elle n’épouserait pas ce Joseph, plutôt mourir.

    — Faites comme tout le monde, avait fini la tante avec une voix qui se voulait plus apaisante que réprobatrice, mariez-vous pour les titres et l’argent, et gardez le valet pour la bagatelle ! »

    La jeune femme leva des yeux incrédules, l’esprit bousculé par ce conseil qu’elle considérait comme affreux et surtout essayant d’empêcher son imagination de courir pour voir toutes les femmes qu’elle connaissait agir de la sorte, sa mère en tête. Elle ne put articuler quoi que ce soit et s’effondra sur son lit, toute en sanglots.

    Elle ne mangea pas ce midi, ni le soir. Le mariage était prévu pour la fin de la semaine. Magalie se disait qu’en ne mangeant plus du tout, elle mourrait peut-être avant.

    Finalement, prise d’un sursaut d’espoir, elle était partie voir son valet et l’avait supplié de l’emmener loin. Elle voulait qu’ils vivent ensemble. La pauvreté ne lui faisait pas peur, le travail non plus. Il n’hésita pas et tous deux s’enfuirent avec l’automobile pour aller se terrer dans le quartier où il l’avait emmenée à plusieurs reprises. Ils seraient en sécurité lui avait-il promis.

    Aujourd’hui, Magalie se marie. Tout ça est arrivé tellement vite pour elle. Elle arrive devant l’autel et tout le monde rive ses yeux vers elle. Elle pleure et tous y voient de la joie. Elle, se demande comment elle pourra vivre une fois mariée à cet affreux Joseph alors que son amour va être pendu pour avoir enlevé une jeune noble.
    ***

    Le compositeur que j’ai choisi est Johann Strauss II et les morceaux dans leur désordre d’apparition :

    Le beau Danube bleu op. 314
    Bonbon de Vienne op. 307
    Savoir-vivre bourgeois op. 306
    Conte de fée op. 312
    Journaux du matin op. 279
    Moteurs op. 265
    Accélérations op. 234
    Aventures de voyages op. 227
    Dépêches télégraphiques op. 195
    Femmes viennoises op. 423

  • 007 – Rixe

    Phrase donnée par Alice Saturne

    Conscient de ce qui se passait autour de lui, il ne leva pourtant pas le petit doigt. Il avait chevauché pendant plusieurs jours, dormi à même le sol, bu de l’eau à moitié croupie. Il avait droit à ce verre de whisky et surtout, il avait droit de le savourer dans le calme. Ou au moins, loin de ce capharnaüm.

    Il pensait pouvoir terminer son verre tranquillement, comme il ne prenait pas part à cette rixe idiote, mais l’un des nombreux combattants venait de s’écraser sur lui. Il voulut ne rien en faire. Un second bonhomme le percuta, le faisant renverser une partie de son verre.

    Quand un troisième vint vers lui rapidement, notre héros n’y tint plus. Il posa rapidement son verre, se retourna pour rattraper celui qui allait le bousculer, le repoussa, dégaina et tira dans les genoux de cinq des combattants. Les autres s’immobilisèrent immédiatement.

    Tous regardèrent celui qui tenait le pistolet encore fumant. Quand il était arrivé, personne n’avait vraiment fait attention à son air sale et sa silhouette usée par un long voyage. À présent qu’il était dressé, raide comme la justice, tous pouvaient voir luire sur le revers de son manteau, son étoile de marshal.