Tag: Mon marathon de la nouvelle

  • 051 – L’inspiration

    Phrase donnée par Caroline S.

    Face à sa page blanche, il cherchait l’inspiration qui le fuyait.

    Il la voyait pourtant, se cacher dans le recoin d’ombre de sa feuille sur le bureau, dans celle de l’angle de la pièce que la lampe de bureau n’atteignait pas, dans le fond de son café froid.

    Plusieurs fois, il avait posé la pointe de son stylo sur le papier, croyant sentir le flot des mots venir, pour le relever peu de temps après, l’esprit plus embrouillé encore.

    Il se grattait la tête, s’étirait, tournait en rond sur sa chaise, mais l’inspiration semblait le bouder. Aujourd’hui, c’était elle qui ne voulait pas. Elle devait se venger des derniers jours où il avait passé plus de temps avec ses amis à faire la fête qu’avec ses feuilles, ses stylos et elle.

    Il devait mériter cette froideur de sa part. Il avait préféré ne pas l’écouter, la laisser de côté alors que plusieurs fois elle était venue le titiller, l’éclairer, le faire partir loin dans des mondes que seuls eux deux, ensemble, visitent, le faisant perdre le fil d’une phrase pour prendre l’air béat et le regard perdu d’un benêt. Mais non, il avait préféré la repousser, aidé par les rappels à l’ordre de ses amis.

    Ça faisait près de deux heures qu’il était là, devant cette feuille dont la blancheur commençait à lui brûler les yeux.

    Il reposa la pointe de son stylo sur le papier et commença. Il n’avait rien de nouveau à raconter mais se rendait compte qu’il n’avait pas été très gentil avec l’inspiration dont il avait tant besoin.

    « Très chère inspiration,

    « Je sais que je n’ai pas été très présent pour toi ces derniers jours. Je te présente mes excuses pour ça. Mais est-ce bien raisonnable de me fuir ainsi depuis près de deux heures, nous qui passons habituellement de si bons moments.

    « Si tu viens vers moi si souvent, c’est que tu as des choses à me dire, des choses que dont j’ai plaisir à garder traces. Je te remercie, d’ailleurs de ne les raconter qu’à moi.

    « Que ce soit d’histoires de chevaliers et de dragons, de princesses et d’évasions, de vaisseaux spatiaux et d’accordéons, je me fiche de savoir de quoi tu vas me parler, j’aime juste t’écouter et écrire ces choses.

    « Parle-moi encore et raconte-moi de nouvelles histoires. »

    Il inspira fort, reposa son stylo, déposa sa lettre un peu plus loin devant lui, laissant apparaître une nouvelle feuille vide, puis expira profondément.

    Son message avait dû toucher sa destinataire car à peine un instant après, ce fut une explosion de couleurs, de personnages, d’actions, de mondes dans son esprit. Il n’hésita pas, attrapa son stylo et commença à noircir sa feuille, puis une seconde et une troisième, et ainsi de suite, jusqu’à ce que la fatigue le gagne, tard dans la nuit.

  • 049 – Le renard

    Phrase donnée par JJ Netux

    Le taxidermiste évalua rapidement le contenu du paquet déposé devant sa porte.

    C’était un crâne. Un crâne de renard. Il y avait très longtemps, quand son métier était encore à la mode, il avait travaillé sur un bon nombre de ces animaux. Des trophées de chasse pour la plupart. Sans compter que ça correspondait avec les ossements qu’il avait déjà reçus, ces derniers jours. Le reste n’était que de la paille pour caler l’objet. Il n’y avait pas de nom ou de coordonnées sur ce carton non plus. Le vieil homme regarda au-dessus de ses lunettes et essaya de voir un mouvement quelconque dans l’escalier. Rien.

    Après avoir levé les sourcils, perplexe et quelque peu irrité, il rentra chez lui et referma sa porte à clef.

    Il se dirigea vers son bureau pour regarder plus en détails l’ossement. Il aimait essayer de deviner la vie de ces créatures dont il manipulait les restes, en regardant les lésions encore visible sur l’os mais surtout il cherchait un indice sur tout ce que ceci voulait dire. Il fut extrêmement surpris quand il examina l’occiput. Certains de ses confrères, comme lui-même le faisait, gravaient la base arrière du crâne de leur trigramme. Le crâne qu’il venait de recevoir mystérieusement portait sa propre signature. Impossible de se tromper.

    Ce crâne était déjà passé dans ses mains. Il ne savait pas quand était-ce mais il n’y avait pas de doutes possibles. Mais ce qui intriguait le vieil homme était de savoir pourquoi quelqu’un aurait dépouillé une de ses œuvres pour ensuite la lui ramener en pièces détachés.

    Il avait reçu tout le reste du squelette, le crâne complétait la bête. Que voulait le petit malin qui lui laissait ces paquets depuis quelques jours ? Juste lui ficher la frousse ou plus ?

    Il n’avait jamais eu d’ennemis, jamais eu de problèmes avec personnes. Alors qui pouvait bien vouloir lui jouer un tour pareil ?

    * * *

    Le soir, assis dans son fauteuil au salon, près de la cheminée, le taxidermiste lisait comme à son habitude. Il fut soudain dérangé par des sons étranges qui venaient de son bureau. Il n’y fit d’abord pas attention. Il avait sûrement mal fermé la fenêtre et ce n’était que les sons étouffés de la rue qui venaient le déconcentrer.

    Cependant, après une bonne minute à entendre quelque chose qui ressemblait à un mélange de raclements et xylophone utilisé par un enfant en bas-âge, le vieil homme décida de se lever et d’aller voir.

    Il n’atteignit pas à la porte qui donnait du salon à son bureau qu’il en vit venir le renard. Ou plutôt le squelette du renard, complet, et surtout debout sur ses quatre pattes.

    Le taxidermiste se demanda d’abord s’il ne rêvait pas mais l’étrange jeu d’osselets s’était réassemblé par lui-même et avançait comme du temps où il était recouvert de chair et de fourrure. L’absence de ces deux éléments, que bon nombres de scientifiques semblaient considérer comme indispensable à la vie, n’avait pas l’air de manquer à ce tas d’os.

    Quand l’animal vit, ou sentit la présence du vieil homme, il s’immobilisa et commença à émettre des sons comme des aboiements mais qui, en l’absence de cordes vocales ou autres, ressemblaient au son qu’auraient pu faire deux lourdes pierres frottées l’une contre l’autre.

    Le taxidermiste recula, surpris. La peur ne le saisissait pas encore. Il ne comprenait pas encore l’irréalisme de cette scène. Ce ne fut que quand le squelette commença à le mordre à la jambe que la douleur lui fit comprendre tout ça.

    L’homme recula encore.

    Cet animal n’était-il revenu d’entre les morts que pour se venger de cet artisan ? L’avoir empaillé l’avait-il empêché de rejoindre l’autre monde ? Était-ce pour ça qu’il revenait aujourd’hui ?

    En sautillant de sa jambe libre, tout en essayant de se défaire de l’étreinte de la mâchoire osseuse, le vieil homme essayait de retrouver un semblant de stabilité. L’animal ne relâchait pas son étreinte et la douleur devenait insupportable.

    Finalement le taxidermiste trébucha sur sa table basse et tomba à la renverse à côté de la cheminée, son bras directement dans l’âtre. Il roula de côté pour essayer d’éteindre la manche qui s’était enflammée instantanément mais le tissu propageait les flammes trop rapidement. Sans compter que le squelette continuait d’essayer de lui enlever un morceau de molet.

    * * *

    Le lendemain matin, les voisins, sentant une odeur étrange émanant de l’appartement et ne voyant pas le vieil homme sortir de chez lui comme à son habitude, appelèrent les secours.

    Quand les pompiers entrèrent enfin dans l’appartement, ils ne trouvèrent que les cendres du propriétaire au milieu de la zone de parquet carbonisé. L’enquête ne put jamais déterminer comment il avait fait pour tomber dans les flammes ni ce que faisait ces ossements de renard à côté de lui.

  • 048 – La pivoine

    Phrase donnée par Celle de X

    « C’est joli les pivoines ! »

    Anter, l’armoire à glace, assis sur son rocher le long du chemin, tenait la fleur et la regardait comme la chose la plus précieuse qu’il avait pu voir dans sa vie.

    Son compagnon, Cribb, à peine plus petit mais beaucoup plus malingre était debout, à côté de lui. Il regardait aux alentours, attendant le passage des voyageurs. L’ingénuité de son compagnon l’exaspérait toujours un peu.

    « Tu trouves pas ça joli, Cribb ? reprit le géant.

    — Anter, mon cher, ça ne sera jamais aussi beau qu’une bourse bien remplie !

    — Tu es tellement terre à terre des fois.

    — Ah ! Voilà enfin de la clientèle. Je croyais que personne ne passerait aujourd’hui ! »

    Anter sauta de son rocher et fit trembler un peu le sol en atterrissant. Il déposa délicatement la fleur fraîchement coupée et attrapa sa grosse hache. Cribb dégaina sa rapière. En général, les voyageurs observant le spectacle de ces deux bandits sur le pied de guerre n’opposait pas de résistance et se délestaient volontiers de leurs bourse et bijoux.

    Celui-ci arriva tranquillement vers les deux compères. L’homme, malgré le fait qu’il se déplaçât à pied, semblait fort bien vêtu. Sa houppelande montrait une qualité de tissage et de broderie qu’en général seuls les nobles pouvait se payer, mais ceux-ci se déplaçait plus fréquemment à cheval.

    Cribb ne savait pas trop quoi en penser. Le voyageur qui avait parfaitement vu les deux hommes au milieu du chemin, n’avait pas, comme la plupart le faisait, dévié sa trajectoire pour tenter de les éviter. Il était allé directement sur eux. Quand il fut à une dizaine de pas de lui, Cribb prit la parole :

    « Bonjour, noble voyageur ! Cribb parlait toujours avec de grands gestes, imitant de façon moqueuse les révérences faites à la cour. Le tout, l’épée à la main, faisait toujours un effet certain sur les plus téméraires des personnes qui passaient par là.

    — Ne continue pas plus loin, l’ami, répondit le voyageur, la voix assurée et le timbre grave. Vous allez, ton ami et toi, gentiment me proposer de ménager mon voyage en me soulageant d’une partie de ma charge.

    — Assurément !

    — Et pour vous remercier de m’aider dans mes efforts, je vais devoir, en plus de me délester de ma joaillerie, vous payer ce service si aimable.

    — Parfait ! Si le contrat est connu et, semble-t-il, accepté, passons donc à l’échange de services.

    — Je n’ai pas dit que j’acceptais. Mais si vous voulez bien me laisser passer, je vous laisserai la vie sauve.

    — Allons… commença Cribb, prêt à rire de ces menaces, mais il s’arrêta alors que le voyageur dégainait à son tour.

    — Je me doutais bien que les célèbres Anter et Cribb ne laissaient jamais personne sans les délester ! Passons aux choses sérieuses, je n’ai pas envie de perdre trop de temps ! » annonça-t-il en se mettant en garde.

    Cribb, surpris autant par les manières de cet homme que par sa célébrité, ne se laissa pas plus impressionner. Haussant les épaules, il imita son adversaire. Ils n’attendirent pas longtemps pour commencer le combat. L’homme était rapide et connaissait ses techniques. Cribb avait peut-être une très grande expérience dans les combats — non académiques — mais l’homme en face de lui avait un niveau bien supérieur.

    Rapidement, Cribb fut touché à l’épaule puis à la jambe. Alors qu’Anter levait sa hache pour l’abattre sur ce récalcitrant qui venait de blesser son ami, il fut transpercé directement dans le cœur. Le géant s’effondra, mort.

    Cribb essaya de se relever.

    « Tu es fort, l’ami, mais je me battrai jusqu’à la mort pour venger mon ami ! annonça-t-il plein de fierté.

    — N’aie crainte, tu vas le rejoindre rapidement !

    L’homme laissa au bandit le temps de se relever.

    — Qui es-tu ?

    — Je suis le chevalier de la Hordy, chef de la garde royale. J’ai reçu l’ordre de venir m’occuper de vous deux ! »

    Et d’un coup, le chevalier trancha la moitié de la gorge de Cribb.

    Surpris autant par la quantité de sang que par cette attaque qu’il n’avait pas vu venir, le brigand porta la main à son cou. Il tituba, essayant de s’appuyer sur le rocher dont se servait de siège son ami pour se maintenir debout. Sa main glissa, emportant dans sa chute la fleur de son ami, déjà dans l’autre monde.

    Le chevalier tira un tissu de sa poche, essuya sa lame, la rengaina puis partit sans même se retourner.

    La dernière chose que vit Cribb fut cette pivoine baignant dans son sang.

    Anter avait raison. C’était une jolie fleur.

  • 047 – Le plongeon

    Phrase donnée par Magalie K.

    Elle se sentait étouffer. Dans un dernier souffle, elle cria : « laissez-moi vivre !!! »

    Mylan se redressa, faisant gicler de l’eau sur tout le sol. Les gouttes résonnèrent sur le sol métallique. Le docteur Ronier était à côté d’elle. Il attrapa la jeune femme pour éviter qu’elle ne replonge. Il y avait peu de risque. Mylan agrippait fermement les bords du bac qui servait de baignoire pour les plongeons, tout en respirant fort.

    « Qu’est-ce que tu as vu ? demanda Klara, la capitaine du bâtiment. Ronier et Mylan lui jetèrent un regard méchant, surtout Ronier, Mylan n’avait plus assez de force.

    — Tu as vu quelque chose ? demanda à nouveau le quadragénaire quand Mylan eut repris une respiration plus lente.

    Elle ne répondit que par un hochement de tête négatif.

    — Rien, parvint-elle à articuler. C’est trop sombre en bas.

    — Il faut que tu y retournes ! ordonna Klara en frappant le sol du pied de rage.

    — Non ! Elle n’est pas en état pour repartir. Il faut la laisser se reposer.

    — Il faut qu’elle reparte et qu’elle trouve cette caisse avant les Capitalistes. Si nous nous faisons doubler, nous sommes morts tous autant que nous sommes. Les camarades ne supporteront pas un nouvel échec !

    — Avoir notre médium morte d’épuisement ne nous sauvera pas ! répondit Ronier. Et tant que c’est moi le médecin à bord de ce sous-marin, je décide si elle peut reprendre la mission ou non.

    Klara toisa Ronier mais savait parfaitement qu’il avait raison. Elle tourna les talons et avant de sortir de la pièce :

    — Je te laisse trois heures pour la remettre en état de replonger. »

    Ils entendirent les pas lourds du capitaine sur les grilles de la coursive retentir jusqu’à la trappe de changement de niveau. Ron souffla. Il n’aimait pas aller contre les ordres mais l’état d’épuisement de la jeune fille montrait qu’elle ne pouvait plus continuer.

    Elle commençait à grelotter. Il l’aida à sortir du bac et l’enveloppa d’une serviette. Après lui avoir tendu une boisson se voulant être du café, il sortit lui aussi de la pièce.

    « Prends le temps de te réchauffer et de mettre une tenue sèche puis viens me chercher dans le couloir. Je t’examinerai pour savoir comment ça va et tu me diras ce que tu as vraiment vu. »

    Mylan acquiesça de la tête tout en serrant la tasse de liquide fumant. Elle tremblait tellement qu’elle manquait à chaque instant d’en renverser.

    Ronier fumait dans le couloir. C’était à l’encontre des consignes du sous-marin mais il ne pouvait s’en empêcher et se fichait du règlement, après tout, il n’était pas militaire. Pas vraiment. Au bout d’un petit moment, Mylan rouvrit la porte du cabinet médical. Elle était sèche et à part ses cheveux encore humides et quelque peu ébouriffés, plus rien ne paraissait de son bain.

    Ron fit asseoir la jeune femme sur la table d’examen et l’ausculta. Son pouls était redevenu stable à cinquante quatre battements par minutes, par contre sa tension était beaucoup trop élevée, vingt-deux, quinze. À cette valeur là, elle aurait déjà dû être morte. Et pourtant, elle trouvait la force de sourire. Ses pupilles avaient encore du mal à réagir normalement mais ça mettait toujours du temps à revenir après un plongeon.

    « Alors, dit-il doucement. Qu’est-ce que tu as vu au fond ? La jeune femme hésita. Elle savait qu’elle pouvait avoir confiance dans le docteur mais elle n’aimait pas parler de ce qu’elle voyait pendant ses transes.

    — C’est très flou. Le fond des eaux est très sombre. Les êtres vivants sont différents de ceux de la surface, je n’arrive pas à comprendre ce qu’ils voient.

    Ron fit une moue mélange de dépit et de sincère embarras pour la jeune femme. Il n’aimait pas la faire « plonger » dans tous les sens du terme. Ces techniques d’immersion dans l’eau pour permettre au cerveau de retrouver l’état qu’il connaissait dans le ventre de la mère afin de se connecter à Gaïa étaient encore très nouvelles. Et très risquées. Il avait chaque fois peur que la jeune fille se noie. Elle restait des fois plus de vingt minutes en apnée.

    Mylan était très douée. Une fois connectée, elle parvenait à voir à travers les yeux de toutes les formes de vie. Elle avait expliqué à Ron que Gaïa étant connectée à chacun des êtres vivants de la planète, elle pouvait se déplacer de conscience en conscience et non seulement voir mais aussi ressentir tout ce que son hôte ressentait, atteindre ses souvenirs, être lui.

    L’armée Communiste avait trouvé par hasard l’existence de ce pouvoir chez des gamins qu’ils formaient pour devenir des commandos d’élites. Après de nombreuses tortures psychologiques et physiques, certains des gamins avaient commencé à avoir des hallucinations. Et au bout d’un moment, les scientifiques avaient compris que ce que ces gosses voyaient était bien réel. Ils avaient isolés ceux qui avaient des visions pour les entraîner plus spécifiquement sur ces capacités. Mylan faisait partie de ces gamins. À présent, l’entraînement était fini pour elle, elle était opérationnelle.

    Dix-sept ans, c’est un peu jeune pour être au fond d’un sous-marin. C’est ce que Ronier disait souvent.

    À présent, ils devaient retrouver la cargaison d’un navire islandais. Seule Klara savait ce qu’elle contenait mais ça devait être d’une importance suprême pour qu’elle mette autant la pression sur la jeune fille et l’équipage.

    « Ça va aller pour recommencer ? » demanda gentiment le médecin.

    Mylan hochait de la tête pour répondre par l’affirmative mais ce mouvement se transforma rapidement en violents sanglots. Elle s’agrippa au cou du docteur et laissa la fatigue et le reste couler avec ses larmes qui se mêlèrent sur le plancher à l’eau répandue à son réveil.

    Quand la jeune femme commença à se calmer, Ronier se défie délicatement de l’étreinte et alla jusqu’à son armoire à médicaments.

    « Je ne veux rien, docteur, parvint à articuler la jeune femme. Plus de drogue, s’il-vous-plait.

    — Même pas un peu de chocolat ? demanda Ron en brandissant trois barres enveloppées dans leur emballage métallique. Je l’ai piqué au cuisinier et je le planque là, parce qu’il n’y a que moi qui ai la clef ! » rajouta le médecin avec un clin d’œil à la jeune fille.

    Elle ne répondit que par un sourire en s’essuyant la joue et en reniflant.

    Mylan se sentait beaucoup mieux, comme si pleurer avait vidé les ballasts qu’elle remplissait à chaque plongeon. Le chocolat devait avoir une action aussi.

    L’interphone sonna soudain dans le cabinet médical. Ronier décrocha. La voix du capitaine résonna, toujours très métallique, dans toute la pièce.

    « Votre protégée est prête à replonger ? demanda-t-elle sans ménagement.

    Ron se tourna vers Mylan, l’air démuni. La jeune fille lui sourit et le regard le plus assuré du monde, elle répondit simplement par un hochement de tête vertical.

    — Oui, capitaine !

    — Préparez tout, je descends ! »

  • 046 – Le soleil

    Phrase donnée par Ambrose

    Le soleil brille, mais pas ici.

    Au plus profond de la croûte terrestre, là où la chaleur du noyau de la planète permet de n’avoir jamais froid, toute la lumière que nous recevons est artificielle. Ou créée par les vieux néons récupérés de la surface, ou fabriquée par des champignons modifiés génétiquement pour avoir des spores lumineuses. La lumière est alors comme irréelle, douce, vaporeuse, parce que les spores volent partout dans les airs. C’est peut-être la seule chose qui me fait encore m’émerveiller de ce monde.

    Je suis un gardien de la lave. Mon travail consiste à creuser des galeries pour faire s’écouler le sang de la Terre correctement et empêcher qu’elle ne remonte à la surface.

    Nos ancêtres ont tellement fait n’importe quoi avec leurs technologies foireuses et leur égoïsme collectif que maintenant, nous devons faire extrêmement attention à tout. La croûte terrestre est devenue extrêmement sèche et friable. La lave ne la déchire plus, elle l’enflamme comme un vieux morceau de tourbe séchée. Les eaux des mers sont déchaînées à cause des vents violents qui parcourent le globe sans cesse. Quand on me dit qu’avant, des navires pouvaient aller d’un continent à l’autre, et même faire le tour du monde, j’ai du mal à le concevoir. Une fois, bien à l’abri sur un des bunkers en hauteur, j’ai vu les vagues un jour qu’on m’avait donné comme calme. Les vents sont tellement forts que les vagues s’écrasent à plus de trente mètres du rivage, le sel se répand partout et brûle le sol, empêchant toute végétation de pousser.

    Le seul avantage à ce vent infatigable, c’est que nous avons de l’énergie quasiment infinie grâce à nos parcs éoliens. Par contre, je plains vraiment les gars qui en font l’entretien. Je préférerais toujours être à ma place qu’à la leur. Avec leur combinaison lestée et leur fil d’Ariane pour les empêcher de se faire emporter par les bourrasques. J’ai connu un mec, les sécurités n’ont pas marché, il s’est envolé. On a retrouvé son cadavre à plus de trois cents kilomètres. À chaque instant, ils risquent de se faire transpercer par des déchets emportés par les airs. Le moindre bouchon de bouteille devient aussi dangereux qu’une balle de fusil. Merci les ancêtres d’avoir laisser traîner vos déchets n’importe comment. Au moins, au fond de mon trou, à part mourir d’asphyxie ou en tombant dans la lave, je n’ai pas de grands risques. Je pourrais devenir fou de vivre enfermé aussi, comme le vieux Nils, il y a quelques années. Le manque de lumière naturelle avait dit le doc. Vivre enfermé, ce n’est pas vraiment une vie. Quand on pense qu’avant, tout le monde pouvait vivre à la surface, ça fait rêver.

    Quand je vois l’état du monde, je me demande encore pourquoi les gens continue de faire des gosses. À quoi bon mettre au monde des individus qui souffriront comme nous d’être sur cette planète devenue si inhospitalière.

    Quand je me mets à trop réfléchir, je deviens morose. J’en viendrais presque à me laisser tomber dans la lave tellement je ne vois pas l’intérêt de continuer cette vie sans réel sens.

    C’est en général dans ces moments qu’elle arrive de sa zone de travail pour déjeuner avec moi et bizarrement, toutes ces pensées maussades disparaissent devant le sourire et les yeux moqueurs de cette jolie fille.

    Le soleil ne brille peut-être pas ici, mais avec Lucie à mes côtés, je n’en ai pas besoin.

  • 045 – La chenille

    Phrase donnée par Anne L.

    En ce matin d’août ensoleillé, le jardinier trouva une drôle de chenille géante au milieu de ses pommes de terre.

    D’abord, il eut du mal à comprendre ce qu’il voyait en train d’écraser ses plants. La chose plus haute que lui ressemblait à une grosse tente, du genre qui se déplie toute seule quand on la lance. Mais ça n’était pas translucide comme une tente. C’était bien opaque.

    Arrêté à cinq pas de la chose, le jardinier se passa la main sur le front, autant incrédule de la situation qu’en manque d’idée pour faire bouger cette chose. Il imaginait déjà ses pauvres petites patates complètement écrasées, lui qui les bichonnait depuis le mois de mars et avait passé tant de temps à les protéger du mauvais temps de ce printemps si pourri.

    Il se demandait si c’était l’engrais extra-puissant qu’il avait acheté sur internet, parce qu’interdit ici, qui avait fait grandir cette bestiole de façon si extraordinaire. L’idée d’avoir une amende de la part des autorités s’il leur demandait de l’aide pour se débarrasser de cet insecte lui fit immédiatement oublier cette possibilité.

    Ce bonhomme ne disposait pas de beaucoup de matériel pour s’occuper de son petit jardin mais à cet instant, il aurait bien voulu avoir un bon gros tracteur pour tirer cette dérangeante invitée hors de ses plates bandes.

    Est-ce qu’au moins cet insecte était vivant ? De sa fourche, il tenta de piquer la chair à l’apparence épaisse. Les pointes s’enfoncèrent sans déchirer l’enveloppe. En réalité, le tout était tout à fait flexible et avait repris sa forme quand le jardinier avait, lui, repris son instrument.

    Il aurait pu essayer de rouler la chose mais, d’une part, il ne savait pas s’il pourrait la bouger tout seul, elle semblait vraiment lourde, d’autre part, il ne savait pas si cette chenille faisait partie de celles dont le corps est recouvert de poison — d’ailleurs, il devrait sûrement laver sa fourche avant de s’en servir — et surtout, il devrait sacrifier une grande partie de ses plantations pour faire sortir l’intruse. Donc il n’était pas question de faire rouler cette chose.

    Au bout de vingt minutes à contempler cette bizarrerie de la nature, le jardinier se dit qu’il devait agir. Le mieux était peut-être de la tuer pour la découper en morceaux avec la tronçonneuse pour la sortir plus facilement. Oui. Mais comment tuer quelque chose de la taille d’un éléphant en étant sûr qu’il ne se débattrait pas. Le jardinier ne voulait pas risquer d’être blessé, ni lui, ni son jardin. Sans réelle solution, il se résigna à asperger d’essence la chenille et l’enflammer.

    Il allait entrer dans sa remise à outil pour chercher ce qu’il fallait quand un grand bruit de déchirement retentit dans l’air. Le bonhomme se retourna vivement vers la chenille, inquiet pour ses courgettes et ses plants de tomates. Il faillit tomber à la renverse en voyant la chenille déployer de gigantesques ailes colorées. Le vent qui souffla quand elles se mirent en action fit s’envoler le chapeau de paille de l’incrédule.

    Celui-ci regarda un instant le papillon de la taille d’un petit avion s’élever dans les airs et s’éloigner. Ce ne fut qu’une fois hors de vue qu’il se précipita vers sa plantation pour voir l’étendue des dégâts, finalement pas si important qu’il ne le pensait.

  • 042 – Le nouveau coéquipier

    phrase donnée par Dexash

    « Il travaille pas comme nous, il a des pratiques pas tellement éthiques mais non, les organisateurs nous le collent dans les pattes ! Gunner fulminait littéralement.

    Lui et son équipe de joueurs-mercenaires participaient à cette émission depuis trois saisons déjà. Ils avaient vu passer des centaines d’équipes de candidats, certaines d’une nullité affligeante, qui s’étaient fait détruire rapidement, d’autres plutôt bonnes, dont les quelques survivants avaient pu jouir de leurs gains pour se faire reconstruire les organes ou membres perdus pendant le jeu. Mais malgré l’état final des participants, Gunner et son équipe avait toujours suivi parfaitement les quelques règles.

    Mais l’émission avait du plomb dans l’aile. Les politiciens nouvellement élus voulaient la faire arrêter parce qu’ils la trouvaient trop violente et considéraient qu’elle n’était pas un bon exemple pour la jeunesse. Et surtout, elle commençait à perdre des parts de marché. Certains disaient que les mentalités des gens changeaient et qu’ils voulaient des émissions plus intellectuelles. Ça faisait chaque fois rire Gunner.

    « Ça fait près de cent ans que la télé existe et le niveau intellectuel des gens qui la regarde n’a jamais augmenté depuis, disait-il. Je vois pas pourquoi ça changerait maintenant ! »

    Pour remédier aux problèmes d’audimat, la production essayait depuis deux ou trois mois de nouvelles techniques, des invités spéciaux, des nouvelles règles moins dures, elle imposait des nouvelles recrues dans les équipes pourtant parfaitement rodées de joueurs-mercenaires, voire les mélangeait.

    Et cette fois-ci, c’était à son équipe que la production s’attaquait. Gunner ne décollerait pas.

    Assis dans son fauteuil, dans l’espèce de taudis qui lui servait de bureau, entouré des sept autres membres de son équipe, le cigare à la bouche, il attendait que la nouvelle recrue forcée n’arrive. Oh ! Il savait de qui il s’agissait. Tout le monde le savait. Il en avait suffisamment fait la publicité pour la prochaine émission. Arrivé dans le jeu depuis environ six mois avec son équipe, ce gars avait réussi à barrer la route de pas mal de participants et le public avait été séduit autant par ses manières de faire, parfois en dehors des règles, que par sa tenue.

    Mais Gunner n’aimait pas les nouvelles têtes. Surtout quand on ne lui laissait pas le choix. De toute façon, il le savait, il ne pouvait pas lutter. Soit il refusait et son équipe était virée, sans indemnités, soit il acceptait et tentait de sauver l’émission et leurs boulots à tous.

    Quelqu’un frappa à la porte. Gunner jeta son cigare qui rebondit, encore fumant, sur une caisse de munitions dans un recoin de la pièce.

    « Ouais ! » Grogna-t-il.

    La porte s’ouvrit et une silhouette se dessina dans l’embrasure : la silhouette toute de rose vêtue de Sacha, la Folle de l’Enfer.

  • 041 – L’expédition

    Phrase donnée par Luigi B.B.

    « Tu peux enlever ton imper pour dormir, je crois qu’il ne pleuvra plus cette nuit. »

    Je ne répondis que par un grognement. Même s’il ne devait plus pleuvoir, j’étais déjà trempé jusqu’aux os. J’étais littéralement gelé. Et pas moyen de faire un feu pour se sécher ou se réchauffer.

    Allongé en chien de fusil au pied d’un arbre, je tournais le dos à Ben. Mais je l’imaginais bien, assis contre un tronc, les mains derrières la nuque à essayer de voir les étoiles ou la lune à travers le feuillage de cette forêt peu dense.

    « Tu m’en veux de t’avoir embarqué dans cette histoire ? me demanda-t-il.

    Je grognais encore. Je voulais dormir. Je voulais manger aussi. Et surtout, je voulais rentrer chez moi.

    — non mais, je comprendrais bien que tu m’en veuille, reprit Ben. Je m’en veux à moi-même, je pense.

    Qu’est-ce qu’il pouvait m’énerver quand il était comme ça, à jamais s’arrêter de parler.

    Soudain, je sentis quelque chose faire bouger mon col relevé pour me couper du faible vent. Je pensai immédiatement à Ben qui me taquinait pour que je lui réponde. Je grognais en me dandinant. Ce message, certes subtil ne l’empêcha pas de continuer.

    — Putain, tu peux arrêter ? J’essaie de dormir au cas où t’aurais pas remarqué !!

    — Arrêter qu.. Oh merde ! Alex, bouge pas !

    J’allais me retourner mais me raidit immédiatement. Ben avait dans sa voix cette pointe de peur qu’il n’avait que rarement et qui me glaçait chaque fois le sang. Je l’entendis s’activer dans le bruissement du tapis de feuilles mortes. Pendant ce temps, qui me sembla extrêmement long, je sentais toujours quelque chose qui bougeait sur mon col et commençait à s’approcher un peu trop près de mon oreille.

    Soudain, je vis une masse sombre voler au-dessus de mon visage et atterrir trois mètres plus loin. C’était une araignée, une gigantesque araignée. Grande comme ma main. Elle devait avoir compris le message de mon ami, vu comme elle déguerpit.

    D’un bond, je m’étais levé, horrifié qu’une bestiole comme ça m’ait touché. Je déteste tout ce qui a plus de six pattes.

    — T’as eu chaud ! me lança Ben agitant le bâton qui m’avait sauvé, assez fier de son intervention.

    Mes nerfs craquèrent. Ça plus le reste, je n’y tins plus et me mis à hurler sur mon amis.

    — J’EN AI MARRE DE CETTE FORÊT !! J’EN AI MARRE DE CES BESTIOLES !! J’EN AI MARRE D’ÊTRE TREMPÉ !! ET SURTOUT, J’EN AI MARRE DE CETTE EXPÉDITION FOIREUSE !!

    — Je comprends… Mais au moins, il a arrêté de pleuvoir ! »

    Soudain, un bruit sourd se fit entendre, rapidement suivi d’une illumination de la nuit.

    Je jetai un regard blasé à mon compagnon de galère.

    La pluie reprit de plus belle.

  • 040 – Scène de ménage

    Phrase donnée par Caroline S.

    « Oui et en même temps…

    — Attends, ça t’embêterai de me laisser finir ma phrase ?

    — Mais je voulais juste…

    — Non mais c’est vrai quoi ! T’es toujours en train de me couper. Pas moyen d’en placer une avec toi !

    — C’est surtout que…

    — C’est surtout que ça te fais chier de m’écouter et que tu veux toujours avoir le dernier mot.

    — Alors là…

    — Y en a marre. Je vais plus rien te raconter si tu m’empêches de parler tout le temps.

    — Mais…

    — Non ! Pas de « mais ». Rien. C’est tout. Je dis plus rien !!

    — Bon. D’accord. Mais faudrait pas me faire une scène quand on sera arrivés à la soirée et que tu te rendras compte tes chaussons ne sont pas accordés avec ta robe. »

  • 039 – La vache

    Phrase donnée par Grizzly

    « Et merde, une vache !

    — Quoi ? demanda le chef de groupe, surpris par cette rupture du silence.

    — C’est une putain de vache, sergent ! Au beau milieu de la cuisine ! Fait chier ! lâcha Steinberg.

    — Ça fait vingt minutes qu’on guette comme des cons, tout ça pour une vache ! Le caporal Martin tapa le mur du poing.

    — C’est pour ça que ça pue le gaz dans toute la maison ? Pouah ! C’est dégueu ! Le jeune première classe ne put s’empêcher de cracher, répugné.

    — Tout le monde se calme et reprend ses esprits. C’est peut-être une simple diversion. Restez concentrés ! ordonna le sergent Mitchell. La cible ne doit pas être trop loin. D’après nos renseignements, il n’a pas quitté la zone. Si on le voit pas aux thermiques, c’est juste qu’il est bien planqué ! Je vous rappelle que cet enfoiré est sacrément rusé, vous laissez pas surprendre !! Allez ! Je veux voir tout le monde avec l’A.N.P. sur le groin. J’veux pas courir de risque avec le gaz !

    Une fois que tout le monde eut mis son masque à gaz, le sergent reprit :

    — Équipe une, vous allez me fouiller l’aile ouest de la baraque. Équipe deux avec moi, on prend l’autre partie. »

    D’un signe, Mitchell lança l’investigation mais à peine les premiers soldats furent-ils en mouvement qu’un son suspect résonna dans la pièce. Celui d’une corde qui casse et d’une cuillère qui se sépare de sa grenade. Le groupe de combat n’eut que le temps de se jeter au sol quand l’engin explosa, mettant à feu le gaz enfermé dans la maison.

    Les flammes furent visibles dans la nuit jusqu’à plus de dix kilomètres.

    De là où il était, un cigare accroché à ses lèvres souriantes, leur cible contemplait le spectacle.