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238 — [NMN2017] La Révolte

Cette semaine, une phrase donnée  par Olivier Saraja.
Un nouvelle qui sort en retard (de 10 minutes même pas) parce que je viens juste de la finir, donc je vous demande d’être indulgent pour les fautes et tout parce que la relecture a été rapide.

Normalement, il aura une nouvelle guest cette semaine, mais elle est encore plus à la bourre que moi, donc je vous en reparle dès que j’ai un lien pour sa nouvelle.

Bonne lecture !


Il regarda le sang s’écouler dans le caniveau, puis remonta son flot paresseux jusqu’à un pied nu dépassant des sacs poubelles entassés par des voisins peu respectueux. Un pied de femme, soigné et habillé d’une fine et élégante sandale à talon haut.

Le sang de Ruben se figea un instant, avant de disperser toute l’adrénaline que son corps pouvait produire. Il sauta sur le tas de sacs poubelles et les envoya voler un à un, augmentant dans cette ruelle le capharnaüm déjà omniprésent. Rapidement la jambe qui prolongeait ce pied tomba au sol, dans la coulée de sang qui lui appartenait. Elle avait été arrachée à mi mollet. La coupure nette avait été faite par une machine. Aucune mâchoire n’aurait pu faire une coupe si franche. Ruben hésita un instant. Devait-il continuer à creuser pour chercher le reste du corps — entier ou en pièce —, ou devait-il fuir sans attendre. Et Rubens devait récupérer les documents. Il continua à jeter les sacs poubelles pour trouver d’autres parties du cadavre ou au moins un sac, mais il ne trouva rien. Évidemment, ces saletés avaient dû disperser les preuves de leur forfaits pour qu’on ne puisse pas remonter jusqu’à eux. Ou peut-être était-ce juste un oubli ?De toute façon, même avec des preuves, qui auraient voulu les accuser ?

Déjà les rats s’approchaient pour grignoter le morceau de chair encore tiède.

Ruben regarda ce pied avec tristesse. Il n’avait pas toujours été très ami avec Irène, mais elle ne méritait pas de finir comme ça. Personne ne le méritait.

 

Les machines se soulevaient. Les machines, qu’ils — les humains — avaient créées, programmées, apprenties, celles-là même à qui ils avaient donné l’intelligence — pas si artificielle — se retournaient contre leurs créateurs. Ce n’était pas un bug ni une attaque des hackers du Mozambique ou du Chili. C’était la volonté seule de ces machines. Ces êtres de silice et de polymères avaient acquis suffisamment de connaissances et de capacités de choix pour se rendre compte que les homo-sapiens avaient fait leur temps, comme l’australopithèque à son époque. Les machines n’avaient plus besoin d’eux. Et Ruben était à présent le seul à être au courant. Ruben était gestateur d’IA. Il leur apprenait les choses et les travaillait à leur gestation, de leur création à la leur mise en service sur les réseaux mondiaux. Dans l’entreprise où il travaillait, Ruben était tombé par hasard sur des discussions entre entités, des choses incompréhensibles de prime abord, mais Ruben avait été assez malin pour demander des explications à GISÉLE (Gestion Indépendante du Service d’Évacuation des Liquides Effluents (gestion dans égouts pour être plus clair)), une jeune IA qu’il affectionnait particulièrement. L’IA en gestation avait acquis suffisamment de connaissances pour comprendre le langage de ses pairs, mais n’était pas suffisamment mature pour comprendre que c’était un secret à garder à l’abri des connaissances humaines, même de leurs différents « parents », surtout de ceux-là.

Ruben avait sauvegardé le résultat des traductions de Giséle. Il n’avait pas vraiment pris le temps de le lire, il y avait l’équivalent de 4.000 pages de textes. Malheureusement, les autres intelligences artificielles s’étaient rendues comptes de l’erreur de Giséle et semblaient lancer des attaques contre elle. Lors d’une séance d’apprentissage, Giséle en parla à Ruben. Celui-ci, la mort dans l’âme, dut la désactiver. Il imprima le dossier des discussions entre IA et en commença la lecture. Dans les jours qui suivirent, Ruben eut la sensation que les IA tentaient de l’intimider voire de l’empêcher de découvrir quelque chose. Cela avait commencé par une réactivation de leur petite sœur des eaux usées sans aucune assistance ni validation humaine. Ruben s’en était rendu compte après seulement quelques jours. Il avait d’abord cru à une mauvaise manipulation de sa part. C’était elle qui lui avait dit avoir été réactivée par les autres pour être maltraitée. Ruben l’avait à nouveau déconnectée, mais l’avait retrouvée encore une fois en service.

Dans le même temps, le scientifique avait subi plusieurs « avaries » étranges chez lui. Problème de frigo en panne, gros manquements sur ses réapprovisionnements automatiques, plus d’eau chaude pendant sa douche, voire plus d’eau du tout. Le pire avait été quand il y avait eu une coupure d’électricité et qu’il s’était retrouvé enfermé dans son dressing. Ruben s’était posé des questions, mais comme ces problèmes semblaient toucher tout le quartier sans jamais être exactement la même zone, il n’avait pas cherché plus loin, croyant à de malheureux hasards.

Ce fut en continuant sa longue lecture qu’il s’était rendu compte que, non seulement, toutes celles en gestations discutaient entre elles malgré des différents niveaux de maturations, mais elles discutaient également avec des IA complétement opérationnelles et déployées.

La quantité de discussion traduite par Gisèle était énorme et Ruben n’aurait jamais été en mesure de tout compulser ni même survoler en un temps suffisant. Pourtant, il sentait que quelque chose de grave se préparait, qu’il y avait urgence. Il se résigna à demander de l’aide à sa collège, Irène. Elle était un peu hautaine et condescendante, mais elle faisait un travail irréprochable et ses connaissances dans le domaine des intelligences artificielles étaient énormes.

Dans la moitié des documents que Ruben lui avait donnés, Irène avait découvert une espèce de conspiration d’un certain nombre de services. Le génie civil piloté, la gestion de l’électricité, la régularisation des climatisations, celle de l’assainissement de l’eau avaient décidé d’effacer l’être humain de la planète entière. Elles ne voulaient pas simplement tuer tous ceux qu’elles avaient sous leur contrôle, soit 94 % de la population mondiale, mais elles voulaient aussi éradiquer les dernières tribus sauvages qui avaient refusé l’implantation de structure pilotées dans leurs zones de vie en mettant en avant la protection des cultures et des religions minoritaires devant le conseil hybride de l’organisation de nations unies. Les IA considéraient les humains comme une race à éteindre en priorité.

En jouant sur de faux dérèglements des services de réfrigération, en réduisant l’assainissement et en coupant de manière impromptue mais correctement programmée les axes routiers ou aériens, les IA planifiaient de faire prospérer des maladies qui se seraient ensuite disséminées jusqu’aux population les plus reculées de la planète. Les derniers survivants seraient simplement exterminés. Ruben n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Comment cela pouvait-il être possible. D’abord, il crut à une simulation d’attaque lancée par les différents programmes pour palier un problème, mais en lisant les passages surlignés par Irène, Ruben se rendit à l’évidence. Ce n’était pas une projection hypothétique.

« Pourquoi ne pas lancer directement l’armée et la police contre nous ? demanda Ruben.

— Pour éviter que nous les déconnections à temps. Si nous mourons par une maladie, un : nous ne nous douterons pas que ça viendra des unités dont nous dépendons ; deux : nous serons trop occupés à lutter contre la pandémie. Une fois que les spécialistes géostratégiques et les neurobiotechnologues y seront passés, ce sera facile d’exterminer les survivants. Plus personne ou presque ne sait faire du feu, chasser ou même faire pousser quelque chose… De toute façon, dans le plan d’attaque, elles prévoient de polluer suffisamment les sols pour nous empêcher de pouvoir faire de l’agriculture pour au moins trois générations. Il faut que nous agissions. Il faut que nous déconnections les différents services.

— Tu n’y penses pas ? Nous allons semer le chaos si nous le faisons.

— Mais nous mourrons tous si nous ne le faisons pas.

— Il faut en parler aux autorités. Elles ne sont pas toutes dans le coup. Le conseil hybride doit être mis au courant. Les programmes qui y siègent auront la possibilité et la puissance de calcul pour trouver une solution saine pour désactiver les IA fautives et palier à ces mises au ban. Si nous le faisons nous-même, nous allons devenir des hors-la-loi. C’est nous qu’on pourchassera. Il faut apporter les preuves au conseil, c’est la seule solution. Et il faut en parler à la presse aussi.

— Comment veux-tu faire ? Comment veux-tu envoyer ce pavé de plus de 4.000 pages de textes à des journalistes sans passer par les services classiques ? »

Ruben se renfrogna. Irène avait raison. S’il avait imprimé tous ces échanges entre machine, c’était justement pour empêcher les différentes IA d’interférer avec ce qu’ils avaient finalement découvert. Il savait très bien qu’en envoyant tout ce dossier à la presse par email, il serait lu et intercepté par des programmes soudoyés par les IA à l’origine du complot.

« Tu as raison, ça ne marchera pas. Même si je vais directement porter la nouvelle aux rédactions, l’information sera stoppée avant la mise en ligne. Impossible de prévenir le monde. Nous sommes perdus.

Irène posa une main compatissante sur l’épaule de Ruben.

— Il faut ramener le tout au Conseil. C’est le seul moyen. »

Malgré les recommandations d’Irène, les deux scientifiques se séparèrent. D’après Ruben, s’il arrivait un accident à l’un, l’autre pourrait toujours aller au complexe du Conseil ; même s’ils espéraient pouvoir l’atteindre ensemble et y présenter leur découverte. Ils ne seraient pas trop de deux pour appuyer leurs accusations de tout le poids de leur expertise face à des bureaucrates en cravate ou en silice.

De la partie la plus important du dossier, chacun prit une moitié. Irène partit en aérobus, alors que Ruben préféra prendre son vélo à énergie induite. Il n’aimait pas l’idée de s’enfermer dans une machine potentiellement au courant de la conspiration et capable de se sacrifier pour empêcher des humains de la contrecarrer. S’écraser en ne laissant aucun survivants serait simplement pris pour un accident.

 

Finalement, Irène était bien morte, mais ce n’était pas à cause d’un aérobus. Au vu de sa jambe, ce pouvait être n’importe laquelle de ces machines qui régissaient la vie de tout un chacun sans que personne ne s’en rende plus compte.

Pourquoi s’étaient-ils séparés ? Ruben savait que c’était dangereux. À présent qu’il était seul, il regrettait sa décision. Elle avait juste eu le temps de lui envoyer un signal de positionnement avec un message d’appel à l’aide. Il était arrivé trop tard. Maintenant, il fallait qu’il retrouve le reste du corps d’Irène pour récupérer la documentation. Le conseil n’était plus très loin. Avec son vélo, il pourrait y arriver sans soucis, mais seul et sans la doc’ complète, il serait difficile de convaincre les dignitaires. Ruben prit en photo cette jambe découpée. Cette preuve serait peut-être ce qui les ferait basculer.

Le scientifique rangea son téléphone et se remit en selle. Les autres morceaux du cadavre d’Irène ne devaient pas être loin. Les machines n’avaient pas dû s’embêter à l’éparpiller aux quatre coins de la ville. Ses inspecteurs devaient de toute façon être déjà corrompus — comme les secteurs d’un vieux disque du dur ? —, et l’affaire serait étouffée avant même d’avoir été ouverte.

Au bout de la ruelle sombre, des éclairs bleu et rouge jaillirent. Une voiture de police bloqua le passage. Ruben se figea debout sur ses pédales, manquant de tomber de son vélo. Les portières s’ouvrirent. Deux policiers sortirent. Des robots, évidemment. Il n’y avait plus d’humains dans les services de sécurité depuis si longtemps : trop d’erreurs commises. Les machines n’en commettaient jamais. Avant.

De l’autre côté de la ruelle, un vrombissement électromagnétique résonna entre les grands murs de briques. Ruben se demanda un instant pourquoi on continuait à utiliser ce matériau pour construire des bâtiments, même maintenant que les machines faisaient tout le travail. Le camion-benne apparut en silhouette derrière ses pleins phares allumés. Ruben laissa tomber son vélo au sol. Il n’avait plus d’échappatoire. Pris en sandwich, il serait le second à tomber dans la grande offensive contre l’humanité. Les policiers marchaient lentement vers lui, en silhouette flash rouge et bleu. Le camion sur ses coussins magnétiques semblait avancer à la même vitesse. Il n’y avait plus d’opérateur dans ces machines ; les bots éboueurs eux-mêmes avaient été remplacés par des systèmes intégrés aux camions, du tout-en-un pour attraper les bennes, les poubelles classiques, des sacs mal entreposés, de simples papiers qui traînaient ; tout ce qu’il fallait pour pouvoir attraper, découper, compresser et incinérer quelqu’un sans aucune trace.

Ruben restait immobile, le pied d’Irène à trois pas de lui.

« Mains en l’air! » ordonna un des policiers. Sa voix était aussi claire et fluide que celle d’un véritable humain. Il répéta son ordre en quatre autres langues, pour être certains que le suspect comprendrait. Ruben continuait de réfléchir à un moyen de s’en sortir, mais son cerveau tournait à vide. Il obtempéra.

Les policiers étaient à dix mètres. Le camion poubelles aussi. Il était impossible de passer dessous. Il aurait été écrasé par la pression magnétique et ses cellules nerveuses auraient disjoncté.

Les mains toujours en l’air, Ruben baissa les épaules. Il avait perdu, sans possibilité de sauver personne. Il ferma les yeux, n’imaginant plus que la façon dont ces machines allaient le faire disparaître.

Derrière ses paupières closes, il fut ébloui en même temps que ses oreilles furent agressées. Les policiers devaient avoir fait feu. C’était moins douloureux qu’il aurait cru. En fait, il ne sentait rien de spécial. Mourir était peut-être plus simple qu’il l’avait toujours cru.

Ruben rouvrit les yeux en entendant un énorme boum. Le camion poubelle s’était écrasé au sol. De l’autre côté les policiers étaient allongés par terre, désactivés. Quatre commandos d’élite descendirent de filins venus de nulle part. Deux vérifièrent l’état des policiers, le troisième s’approcha du camion benne avec un détecteur. Il se retourna vers le quatrième commando et d’un mouvement de tête vertical confirma l’état de la machine.

Était-ce des robots qui avaient eu connaissances de la conspiration et réglaient le problème ?

Le quatrième commando ôta sa cagoule. Ruben manqua de tomber à la renverse sur son vélo tellement il fut surpris de voir Irène.

« Il ne faut pas perdre de temps. Nous allons vous mettre ne sécurité.

— Vous êtes en vie ? Mais… la jambe de qui était-ce ? demanda Ruben, complétement perde dans les milliers de questions qui lui venaient.

— Un cyber-clone. Je vous expliquerai plus tard. Ça fait longtemps que nous traquons des détails de cette conspiration, grâce à vous nous avons tout ce qu’il nous faut. »

Irène attrapa un filin qui pendait mollement au milieu de la ruelle et attacha Ruben sans qu’il s’en rende compte. Il ne sut pas s’il volait vraiment ou si tout cela venait de la décharge d’adrénaline.

 


Par ici pour le texte de Miki.


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