Cette semaine, une nouvelle une phrase donnée par Joëlle. Merci à elle.
Après deux semaines de SF pas forcément super joyeuse, je voulais écrire quelque chose de plus léger. J’attends vos avis 🙂
Bonne Lecture !
— C’est le début d’une longue histoire d’amour.
— Quoi ? s’écria la princesse. C’est tout ? C’est comme ça que ça termine ou que ça commence, plutôt ?
— Oui, c’est comme ça que ça commence. Depuis, toujours. Les alliances font les mariages…
Le roi Emeric se gratta la barbe en jetant un regard de détresse à la reine Ginette, qui, comme le préconisait le protocole, restait silencieuse. Emeric savait que sa fille avait un caractère bien trempé (le même que celui de sa mère et de sa grand-mère) et il s’était bien douté que ça ne serait pas simple. Pourtant le prince Clovis avait tout ce qu’il fallait pour plaire. C’était un bel homme, intelligent et courtois, issu d’une famille couronnée amie, riche et puissante. Son courage n’était plus à démontrer sur les champs de batailles. Il était promis à un bel avenir de roi de son pays et si le mariage était conclu, comme il était prévu, son royaume doublerait. Bref, c’était le gendre parfait. Christina avait tout pour être heureuse de cette alliance avec un tel parti. Mais comme chaque fois que l’on abordait le sujet, elle montrait son caractère. Cette fois-ci était cependant mal choisie. Si elle se moquait complétement de l’image qu’elle donnait d’elle-même ou de l’idée de l’éducation qu’elle avait reçue de ses parents, la princesse mettait le roi dans une position des plus gênantes.
Emeric se racla la gorge. Le prince et son témoin regardaient en tous sens, faisant mine de ne se rendre compte de rien. Que pouvait faire Clovis ? Si la belle ne voulait pas de lui, il n’allait pas la forcer à le prendre pour époux. Elle était un bon parti, belle comme le jour, avec des parents puissants et couronnés dont il récupèrerait la charge le temps venu, mais il ne l’avait jamais rencontrée jusqu’à présent et elle n’avait pas l’air facile à vivre. Pourquoi s’embêter avec une femme à si mauvais caractère alors que tant d’autres existaient dans le monde ; dont certaines n’attendant qu’un courageux prince pour les délivrer de périls incertains.
— Sire, je vais prendre congé. Je vois bien que votre fille n’est pas encline à me rencontrer et encore moins à faire ma connaissance. Ce n’est pas un souci. Je peux tout à fait comprendre qu’elle ne veuille être mariée contre son gré.
— Oui, hum… C’est sûr qu’elle a son caractère, mais…
Le roi ne savait pas comment rattraper l’affaire. Il s’inquiétait des conséquences de la désinvolture de sa fille. Les annulations de mariage se transformaient facilement en raisons de guerroyer.
— Cher prince, restez dormir cette nuit au château. Peut-être que le repas de ce soir permettra de détendre un peu l’atmosphère et ma chère fille. Sans compter que vous ne pouvez décemment pas repartir à en plein milieu d’après-midi.
— Et pourquoi pas ?
— Christina, ma chérie, je te prierais de ne pas être insolente en plus de tout cela.
Le prince Clovis avait chevauché de longs jours pour arriver au château du Roi Emeric et rencontrer sa promise. Il était fatigué de dormir à la belle étoile ou dans des gîtes de piètre qualité. Un bon repas et une nuit réparatrice seraient les bienvenus. Un bon bain aussi. Il accepta l’invitation.
— Parfait ! s’écria la princesse, en appuyant autant qu’elle put son ton ironique.
Elle quitta la pièce sans plus s’embêter du protocole. Sa mère, qui n’avait rien dit jusqu’ici, fronça les sourcils et suivit sa princesse de fille, laissant le roi, le prince éconduit et son témoin seuls.
Après un silence aussi court que gênant, Emeric tira un cordon actionnant la sonnette. Un valet apparut dans l’instant de derrière une tenture ; celle représentant le roi, jeune, terrassant un dragon à cinq têtes sur une montagne de feu. C’était une histoire qui avait fait la renommée d’Emeric.
— Apportez-nous un tonnelet de cervoise et des chopes. Et dressez-moi une table, que mes sires puissent poser leur séant pour prendre le repos qu’ils ont mérité.
Le valet fit une courbette des plus altières et disparut. Presque aussitôt, deux de ses compères arrivèrent avec planches, tréteaux et bancs. Le tonnelet et les chopes ne mirent guère plus de temps à remonter des cuisines.
Une fois les fesses posées, les godets remplis et trinqués, chacun but en essayant de trouver un sujet de discussion le plus lointain de la raison originelle de visite. Ce fut finalement le prince Clovis qui prit la parole le premier. Sa chope toujours en main, il s’essuya la bouche du revers de la main, étouffant un rot bruyant, et pointa du doigt la tenture.
— C’est bien vous sur cette tapisserie ? La bataille du dragon de Vandrencheit ? J’adorais cette histoire quand j’étais enfant.
Emeric ne sut pas si c’était la vérité, mais il rougit sous la flatterie. Se retournant pour regarder la tenture :
— Oui, c’est bien ça. Une sacrée histoire.
Emeric but une nouvelle gorgée et prit une grande inspiration. Sans même avoir besoin de réfléchir, il narra comment seul avec son destrier, il était parti à la rescousse de la reine Ginette, alors seulement princesse, prisonnière du dragon à cinq têtes sur les terres du Vandrencheit. La montagne était protégée par un feu magique qui jamais ne s’éteignait. Seul le cœur pur d’un fils de roi pouvait les fendre pour se frayer un passage et atteindre la tanière du monstre. Emeric avait entendu parler de cette princesse enlevée par le dragon et il ne voulait que la sauver. Ses intentions étaient pures et chastes. Il ne l’avait jamais vue et ne pouvait donc nourrir aucun sentiment envers cette jeune femme. Seule l’idée de l’empêcher de se faire dévorer par le dragon, voire pire, l’avait poussé à enfiler son armure et à partir vers la montagne de feu.
Il avait attendu la fin de la nuit pour lancer son assaut, espérant que la bête serait profondément endormie. Malheureusement, le prince Emeric n’avait pas bien réfléchi. Sur un dragon à cinq têtes, aucune des têtes ne dort en même temps, permettant à l’animal du diable de rester aux aguets. Dès qu’il fut dans l’antre du monstre, Emeric sentit le souffle chaud tenter de le faire rôtir. Dans son armure, il se voyait déjà finir comme un pâté en croute bien grillé, mais à force de ruse et de patience, le preux chevalier parvint à terrasser le dragon et à sauver princesse Ginette. Celle-ci tomba immédiatement sous le charme de son sauveur.
— Je demandais chaque soir à ce qu’on me la raconte, affirma Clovis la joue posée dans sa main, les yeux perdus dans les détails de la tenture.
— Moi aussi, ajouta son acolyte.
Forcément flatté, le roi Emeric prit plaisir à remplir lui-même leurs chopes.
— C’est sûr que c’est une histoire impressionnante qui n’arrive pas à tout le monde, mais ne perdez pas espoir, prince Clovis, je suis sûr que vous aussi vous réaliserez de grandes choses. Même si ce n’est pas en sauvant ma fille.
Pendant ce temps, Christina marchait dans le jardin, suivie de près par sa mère qui l’écoutait se plaindre.
— L’avez-vous vu ? Il sent le crottin.
— Il a chevauché longtemps pour venir et nous ne lui avons pas laissé le temps de se rendre présentable. Je suis sûr que c’est un garçon charmant.
— Et puis je préfère son ami, il est plus mignon.
— Ce n’est pas comme ça que cela fonctionne, Christina. Vous le savez bien.
— Oui, je le sais. Mais n’y a-t-il pas de possibilité de me marier avec quelqu’un que j’aime vraiment ? Pourquoi faut-il que tout ne soit qu’alliances ? À quoi sert-il d’être une princesse si je n’ai mon mot à dire sur rien ?
La reine s’arrêta sur un banc à l’ombre de glycines. Le soleil était trop fort pour sa peau fragile. Elle fit signe à sa fille de venir la rejoindre. Christina hésita un instant, toujours bouillonnante de colère puis s’exécuta.
— Tu as déjà quelqu’un en vue ? demanda la reine.
Christina minauda, hésita, roula des yeux.
— Tu peux me le dire, je ne me mettrai pas en colère.
— Si j’avais le choix, je voudrais me marier avec Albert, le duc des Grändles. Il m’aime, il me l’a déjà avoué. Et je l’aime également.
Ginette sourit en se rappelant le beau visage de cet Albert. Elle s’était doutée de quelque chose, surtout les dernières semaines où le Duc avait trouvé toutes les raisons imaginables pour venir présenter ses respects à la famille royale.
— Oui, je peux comprendre. Mais as-tu pensé qu’il faudrait un moyen de casser l’alliance sans causer des troubles. Ton père ne va pas être facile à convaincre, lui qui n’aime pas s’imposer en diplomatie…
— J’espérais que vous pourriez faire quelque-chose, mère…
Christina semblait désespérée. Ginette savait que sa fille en rajoutait un peu, mais elle pouvait comprendre son état d’esprit. Elle réfléchit un court instant.
— Il se fait tard, ma fille. Rentrons.
Ginette retrouva le roi son époux et les deux invités déjà bien attaqués par la cervoise.
— Très cher époux, je pense qu’il vaudrait mieux laisser ces sires se reposer et se rendre présentables pour le repas de ce soir. Vous aurez largement l’occasion de raconter vos autres batailles alors.
Emeric, l’œil brillant, entendit bien le ton de son épouse. Il se redressa en tentant de reprendre de la contenance et sonna. Un valet escorta les invités jusqu’à leurs appartements d’une nuit.
Lors du banquet, les convives mangèrent et burent accompagnés par la narration héroïque des aventures du roi Emeric. La princesse Christina ne se montra pas. Sûrement faisait-elle la tête. Seule sa mère semblait s’en inquiéter.
— Mais non, ma chère. Sûrement que notre fille fait encore sa mauvaise tête. Elle viendra quand la faim se fera sentir, lui assura Emeric, un pied sur la table, entre les écuelles, l’autre pied sur l’accoudoir de son trône, le bras tendu vers le ciel, dans une pose approchant celle de la tenture.
Il reprit son récit sans plus se soucier des inquiétudes de son épouse.
Les émotions et la fatigue n’aidant pas, l’alcool montait à la tête des convives ; le prince Clovis et de son témoin les premiers atteints. Contrairement à eux, Albert, le duc des Grändles, restait tout à fait sobre. Il n’avait point pour habitude de boire plus que de raison et n’avait goûté le vin que du bout des lèvres.
La reine avait à peine mangé. Préoccupée par l’absence de sa fille. Elle se fit éconduire une nouvelle fois par son mari et dut finalement demander au duc s’il ne voulait pas aller s’enquérir de l’état de la princesse. Albert ne se doutait pas que la Reine connût la vérité. Il rougit sous l’invitation. Aller retrouver son aimée alors que le promis était en train de s’amuser avec le roi, voilà qui était aussi dangereux pour sa vie qu’excitant. Il ne se fit pas prier deux fois mais se força à marcher lentement pour ne pas paraître suspect.
S’il était parti sans précipitation, il revint cependant en courant, l’air affolé.
— La princesse a été enlevée par un Troll des cavernes. Je ne sais pas comment il est entré, mais je l’ai vu repartir avec sous son bras.
Le roi se redressa avec un chaloupé digne des plus grands marins.
— Quoi ? Un troll dans mon château ?
Il tenta de tirer son épée, mais avait oublié qu’il ne l’avait plus sur lui. Cela faisait longtemps qu’elle avait été remisée au fond d’une armoire.
— Diantre ! Où est mon dard ? Apportez-moi mon fidèle dard que je pourfende ce monstre qui ose s’introduire chez moi et toucher à ma fille.
Ce fut au tour de Clovis de se dresser. Droit comme un pilier du Destin. Ses yeux mi-clos et ses pommettes rougeaudes montraient qu’il était lui aussi très aviné. Sa façon d’articuler ne fit que confirmer :
— Sire ! C’est ma promise. C’est à moi d’aller la sauver ! Comme vous l’avez fait avec tant de courage en vos jeunes années pour dame la reine Ginette !
Le roi rit fortement, heureux de ce futur gendre flatteur (voire un peu flagorneur, mais ça lui plaisait quand même) qui était prêt à prendre les armes pour l’honneur de sa promise. Il lui tapota l’épaule en signe d’approbation. Seulement, l’alcool aidant, ce fut une grande claque qu’il donna au prince qui, toujours à cause de l’alcool, perdit l’équilibre et s’étala par terre, sous les rires gras de l’assistance toute aussi avinée.
Le duc Albert jeta un regard de désespoir à la reine. Elle lui sourit :
— Je crois que vous êtes le seul digne d’accomplir cette tâche, sire.
Le jeune homme, se redressa comme si les dieux eux-mêmes lui avait confié la mission de sauver son amour. Il savait qu’en sauvant la princesse, il deviendrait de fait le seul apte à se marier avec et couperait l’herbe sous le pied du prince Clovis, sans risquer le déshonneur sur le royaume d’Emeric.
La reine l’accompagna jusqu’à l’entrée du château.
— J’ai toute confiance en vous, cher duc.
— Ma reine, je vous promets sur mon honneur que je ramènerai votre fille saine et sauve.
— Je n’en doute pas. Et avant de partir, une dernière recommandation, Albert. Veillez à ne pas trop violenter ce troll. Je lui ai promis.
Albert resta bloqué un instant face à la reine. Elle répondit par un clin d’œil complice et posa sa main sur son bras.
— À votre retour, je vous parlerai de l’homme avec qui je devais me marier avant d’être enlevée par ce dragon à cinq têtes.
Par ici pour le texte de Miki.
Je n’ai pas encore lu cette nouvelle numéro 9 mais …. c’est notre saint Georges en photo ???? 🙂
oui, mais c’est plus pour le fait de voir un type à cheval pourfendre un dragon que pour le fait que ce soit Saint Georges 😉
J’ai beaucoup aimé celle là 🙂 Et je ne m’attendais pas à la chute qui m’a fait sourire !!