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257 — [NMN2017] nouvelle n°14 — Gueule de bois

Avec beaucoup de retard et des centaines de mails, DM, messages privés facebook de mes milliers de fans pour la réclamer à corps et à cri, voici enfin la nouvelle de la semaine, avec une phrase de Fred Galusik (son site).


image de Bruce Fingerhood

Profondes, sourdes, les vibrations possédèrent son corps et la nausée le tira des ténèbres.

Il n’aurait pas dû tant boire. Il le savait. Ce n’était pas la première fois qu’il se faisait avoir comme un bleu et sûrement pas la dernière.

La tête au-dessus de la cuvette des toilettes, Gary essayait de viser pour ne pas voir besoin de trop nettoyer ensuite. Même si, sur le coup, les sensations était bien évidement désagréables, il considérait toujours sa soirée comme une victoire. Après tout, il avait réussi à soutirer d’importantes informations sur Reygnart, le grand bandit intergalactique, recherché depuis des lustres, même s’il n’avait plus fait parler de lui depuis au moins dix ans. Beaucoup pensaient qu’il était mort, mais Gary n’y croyait pas. Et il espérait pouvoir toucher la prime. Une prime colossale qui n’avait jamais été dévalué malgré les années de silence.

Gary avait fait de nombreux systèmes solaires pour finalement revenir sur sa planète natale. Là où tout semblait le conduire. Il n’était pas loin de chez ses parents. Une heure de vol, peut-être deux. Évidemment, il leur rendrait visite, mais il ne le ferait qu’une fois ce Reygnart arrêté. Un bandit qui avait réussi à braquer seize banques ultra sécurisées et à s’évader de pénitencier de Callisto, la prison satellite de Jupiter dont on ne sort, en général, que sous forme vaporeuse, il ne fallait pas le laisser filer alors qu’il n’avait jamais été si proche.

Mais ce serait une fois que cette gueule de bois serait passée.

Gary pourrait rentrer à la maison et montrer à son père qu’il avait réussi là où il lui promettait un triste avenir. Dan n’avait jamais approuvé l’idée de son fils de devenir chasseur de primes. Lui avait été marchand convoyeur en serrurerie et système de protection. Et même s’il avait été trop souvent absent et n’avait pas tant vu grandir son fils, il aurait préféré qu’il suive ses traces. C’était sans compter son caractère explosif. Gary était un véritable casse-cou qui désespérait sa mère à rentrer tous les soirs de l’école avec un bobo, une balafre, des bleus. Il avait la mauvaise habitude de se battre, même si, en général, c’était pour protéger les plus faibles que lui des brutes. Il avait toujours eu l’injustice en horreur et avait annoncé depuis qu’il était en âge de parler qu’il voulait devenir policier ou militaire, mais avec l’adolescence, vivant mal l’autorité de sa mère et encore plus celle de son père, beaucoup trop pressante les rare fois où il était là, Gary comprit vite que ces métiers ne seraient pas faits pour lui. Les voyages l’intéressaient, également. Il avait quand même des gènes de Dan et le besoin de traverser l’univers pour aller de planète en planète se faisait sentir chaque année un peu plus.

Il avait décidé de devenir chasseur de prime à ses quinze ans. Le célèbre Reygnart venait de s’évader de Calipso. Personne ne savait comment il avait fait ni où il était allé. Gary sut que c’était ce qu’il voulait faire. Arrêter les types comme lui, les dangers pour la civilisation qui ne pensait qu’à eux et ne voyaient pas le mal qu’ils faisaient en pillant des banques.

Son père était rentré d’un long voyage quelques mois après et n’avait pas du tout accepté le choix de son fils. Ils s’étaient violemment disputés. Gary avait failli fuguer, mais il savait que Dan ne resterait pas longtemps. Il valait mieux faire comme s’il laissait tomber son rêve, pour pouvoir tranquillement préparer son avenir.

Quand il fut temps, Gary, toujours sans l’aval de son père — sa mère n’avait même pas essayé de l’en empêcher, connaissant le caractère de son fils — utilisa ses économies durement accumulées pour se payer un petit vaisseau d’occasion, un pistolet laser et évidemment sa licence de chasseur de primes.

Avec les années, Gary continuait de penser que c’était le meilleur métier du monde. Attraper des gens mauvais, hommes ou femmes, humains ou non, mais tous délinquants, c’était quelque chose que Gary adorait et il n’aurait lâché ce boulot pour rien au monde.

Surtout maintenant qu’il était si près d’arrêter Reygnart.

Mais il lui faudrait prendre quelques médicaments avant, parce que la vénuska (sorte de vodka créée sur Vénus par des anciens colons polonais à partir des plantes qui y poussaient) le rendait particulièrement malade. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il buvait de cette saleté, mais il avait sûrement abusé. Ça valait le coup. Il avait eu des renseignements très précis sur la localisation de Reygnart.

Demain matin, dès qu’il irait mieux, Gary irait faire un tour dans le bouge qu’on lui avait indiqué, un repaire d’anciens bandits, de repentis. On disait même que quelques vieux flics venaient y fricoter avec leurs anciens adversaires, comme de vieux copains qui avaient arrêté de jouer à chat et se reposaient ensemble.

Dans cette chambre d’hôtel miteux, Gary n’avait rien pour faire passer ce mal de crâne. Il se décida à sortir trouver une pharmacie ou une supérette ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour acheter de la métaspirine ou quelque chose. Tant bien que mal, il se releva de la cuvette. Après s’être aspergé de l’eau sur le visage, il s’essuya en regardant sa tête défraîchie dans le miroir. Ça n’était pas beau à voir.

Assis sur le bord de son lit à la couverture rose pelucheuse, Gary respirait fort. La pièce était dans la pénombre. La seule lumière qui entrait venait de néons fluo roses et bleus de l’extérieur. Le chasseur de prime espéra que les volets feraient leur job correctement, mais se demanda, vu son état, si ça l’empêcherait vraiment de dormir.

Gary se leva enfin. Il récupéra sa veste, vérifia son portefeuille, son insigne, son pistolet. Il avait du mal à tenir debout. Peut-être qu’il avait juste besoin de dormir.

Au milieu de la nuit, les rues étaient illuminées si fort qu’on y voyait mieux qu’en plein jour. Gary avait choisi un hôtel miteux. Si on lui avait demandé, il aurait dit que c’était surtout pour se fondre dans le milieu des truands, passer pour un des leurs, s’intégrer au décor pour endormir leur attention, mais, il fallait bien l’avouer, il avait choisi cet hôtel aussi parce qu’il commençait à être fauché. Cela faisait des mois qu’il n’avait mis la main sur personne, se concentrant sur Reygnart. Il n’avait plus les moyens que de descendre dans des établissements qui servaient le plus souvent d’hôtel de passe.

Il revint à son hôtel vingt minutes plus tard, après avoir refusé cinq propositions de professionnels de tout sexe, trois demandes d’aumône, sept invitations à boire avec de parfaits inconnus et même une demande de cigarette.

Gary eut l’impression d’à nouveau plonger dans les ténèbres. Il avait réussi à trouver de quoi soulager, mais commençait à se rendre compte que la marche avait déjà eu un certain effet sur sa gueule de bois. Il sentait mieux. Enfin, il se sentait moins mal. Mais il avalerait les cachets qu’il venait d’acheter aussitôt rentré dans sa chambre.

Gary traversa le hall vide sous l’œil synthétique de l’humanoïde d’accueil. Le comptoir sombre des lignes épurées et anguleuses, rehaussées de lumières fluo violette et bleu. Les motifs géométriques de la moquette des couloirs attiraient le regard de Gary comme un aimant. Il y en avait partout, au sol, aux murs et même au plafond. Cela atténuait les sons et apportait une sérénité au lieu, sûrement aussi une quiétude entre voisins de chambres.

C’est sûrement pour cela que Gary ne prêta aucune attention, aux bruits sourds qu’il percevait, se disant que s’était sûrement un couple à relations tarifées qui pratiquait des exercices grisants, tout en nuances.

Mais quand il arriva à son numéro et vit la porte ouverte, le chasseur bloqua quelques secondes. Il lui en fallut quelques-unes de plus pour comprendre qu’il y avait deux hommes qui se battait dans sa chambre d’hôtel. Gary vérifia le numéro sur le chambranle, pour être sûr de ne pas déranger une affaire à laquelle il n’avait rien à voir — c’était, le meilleur moyen de prendre un coup de couteau ou de pistolet pour rien. Malheureusement, cette bagarre avait bien lieu chez lui — son chez lui d’une nuit.

Pourquoi deux types se battaient-ils chez lui. Dans la pénombre des lumières extérieures en plus ?

Gary alluma. Cet afflux lumineux stoppa net les deux combattants. Un était allongé sur le ventre, l’autre sur son dos en train de l’étrangler. Ils avaient dû se battre parce que leur visage était en sang. Malgré cela, Gary reconnut son père (au-dessus), mais pas l’autre. Encore plus de questions se posèrent dans son esprit.

Dan, d’un mouvement sec, termina l’autre. Il se releva ensuite et alla vers son fils. Il le tira à l’intérieur de la chambre et referma la porte après avoir regardé suspicieusement dans le couloir, heureusement vide.

« Qu’est-ce qu’il se passe ici ? demanda Gary en s’approchant de l’homme mort. Qu’est-ce que tu fais là, papa ?

— J’ai appris que tu étais dans le coin, alors j’ai voulu te rendre visite, répondit Dan, l’air de rien. »

Gary n’écoutait même pas. Il avait arrêté d’écouter son père depuis bien longtemps, alors qu’il rentrait de façon aléatoire et inventait une nouvelle excuse pour n’avoir pas été là pour ses anniversaires, spectacles de l’école ou autre événement. La gueule de bois était toujours présente, mais de beaucoup repoussée grâce à l’adrénaline. Le chasseur de primes attrapa son scanner et identifia l’homme à terre. Il avait l’espoir de trouver Reygnart. Après tout, si son père avait appris que Gary était là, malgré ses précautions, le célèbre bandit avait dû, lui aussi, apprendre qu’un chasseur de prime lui courait après. Il aura voulu lui expliquer la vie, mais manque de bol, ç’aura été au moment où Gary était sorti chercher sa métaspirine.

Le scanner indiqua Henri le Crapaud : vols, agressions, meurtres, seulement trois cents crédits. Gary baissa les épaules, déçu. Il s’assit sur le lit.

« Tu t’attendais à qui ? demanda Dan.

— Reygnart ! Je suis sur ses traces, papa. Je vais bientôt l’attraper.

— Tu es encore avec cette histoire ?

Dan vint s’asseoir à côté de son fils.

— Je ne comprends pas pourquoi tu cours toujours après ce type, reprit-il. Qu’est-ce que ça va t’apporter ? Quelqu’un dont on n’entend plus parler depuis dix ans ?

— Je ne sais pas. Richesse et célébrité, ajouta, sans y croire, Gary en haussant les épaules. Je le cherche depuis le début de ma carrière. C’est son évasion qui m’a décidé à faire ça.

— Et tu crois vraiment qu’un type comme lui se laisserait attraper aussi facilement ?

— J’ai jamais pensé que ce serait facile. Je vais l’avoir par surprise. J’ai un peut-être d’expérience quand même.

— Pourtant, j’ai réussi à te retrouver…

— C’est pas pareil, tu sais qui je suis… Et d’ailleurs, qu’est-ce que tu fais là ? Et pourquoi tu te battais avec ce type ?

— Quand j’ai appris que tu étais là, j’ai décidé de venir te rendre visite. Ce Henry le crapaud est arrivé, il a dû croire que j’étais toi et il a voulu m’embrocher. Il devait espérer entrer dans les bonnes grâces de Reygnart en le débarrassant d’un chasseur qui lui colle au train.

— Mais comment vous vous êtes retrouvés dans la chambre ?

— J’étais déjà entré quand l’autre est arrivé. Dans la pénombre, il a vu quelqu’un et n’a pas cherché plus loin. Je connais bien ce modèle de serrures, ils sont très faciles à ouvrir », précisa Dan en voyant le regard interrogateur de son fils.

Gary regarda le sol. Il ne savait pas quoi dire. Peut-être que si son père était capable de le retrouver et d’entrer dans sa chambre sans difficulté, il devait se poser des questions sur sa capacité à traquer et trouver ce Reygnart, sans risques.

Dan soupira

« Je crois que c’est la première fois depuis très longtemps que nous avons une discussion aussi longue, mon fils. »

Il ne l’appelait jamais comme ça. Surtout les dernières fois où ils s’étaient vus, l’ambiance avait été plus électrique qu’autre chose.

Le père regardait son fils qui, lui, regardait par terre.

« Jusqu’à quel âge as-tu cru au père noël ? demanda soudain Dan.

Gary parut surpris une seconde, puis réfléchit et répondit :

— Quatre ans, peut-être cinq, pas plus. Pourquoi ?

— C’est drôle. T’es un gamin qui n’a jamais cru à un type qui peut voler dans toute la galaxie en une nuit pour distribuer des cadeaux à tous les enfants sages. Je veux dire : tu n’as jamais cru à ces histoires totalement irrationnelles et intangibles.

— Où veux-tu en venir ?

— Tu es quelqu’un de terre à terre, mais tu cours après ce bandit de grand chemin…

— Papa ! Tu vas pas recommencer !

— T’as jamais compris que Reygnart, c’est moi. »

Gary leva la tête vivement et dévisagea son père avec des yeux ronds.

À la fin d’un silence où mille questions fusaient, le chasseur de prime éclata de rire.

« Je m’attendais à ce que tu cherches jusqu’à la fin de mes jours à m’empêcher de faire ce métier, mais pas avec ce genre d’histoires.

— Je suis sérieux. Je suis ce bandit après lequel tu cours depuis si longtemps. Regarde. J’ai pris ma retraite depuis dix ans, peu après que tu aies commencé ton boulot. As-tu entendu parler de lui depuis ? Non. Je ne voulais pas que tu te retrouves un jour face à moi et que nous soyons obligés chacun de faire un choix trop difficile, ajouta-t-il en lançant un regard au cadavra au pied du lit.

— Mais non ! Tu es VRP intergalactique. C’est n’importe quoi.

— Chaque fois que je partais de la maison, c’était pour un coup quelque part. Tu peux vérifier. Et quand ta mère t’a raconté que j’étais en voyage tellement loin que je mettrais vingt ans à revenir… pile à l’époque où ta chimère a été enfermée sur Callisto. Et quand il s’évade, moi je rentre à la maison après quelque temps de planque pour pas vous mettre dans la merde… Tu crois vraiment à ces coïncidences ? »

Gary restait bouche bée devant cette explication détaillée. Était-ce vraiment possible que son père si absent fût ce bandit qu’il cherchait depuis si longtemps ?

« Tu concentres les deux raisons pour lesquelles je me suis lancé dans ce métier. Je voulais partir le plus loin possible de toi, parce que je ne t’ai jamais vraiment connu et que je ne voulais pas de ton autorité, et je voulais attraper ton avatar pour le jeter au fond d’une prison et te montrer que j’étais devenu quelqu’un d’adulte et responsable, capable de tout…

Gary jeta son visage dans ses mains. Le mal de crâne dût à l’alcool se dissipait au profit d’un autre type de mal de crâne.

— Ça change toute ma vie. Qu’est-ce que je vais faire maintenant ?

Dan lui passa un bras autour des épaules.

— On a le temps d’y réfléchir. Je te propose déjà qu’on aille voir ta mère. Ça lui fera plaisir. Après, on aura tout le temps de discuter de ce que nous avons manqué. »


Pas de nouvelles de Miki, mais je ne désespère pas qu’elle raccroche les wagons bientôt 😉

4 Comments on “257 — [NMN2017] nouvelle n°14 — Gueule de bois

  1. Très chouette à lire. Surprenante par son cheminement car on ne s’attend pas à de la SF et par sa conclusion.

    Sinon, j’ai ri sur la suite de ma phrase. Je ne pensais pas du tout à ça en te la proposant 😀

    De même, c’est quoi ces références polonaises ? Et la boisson ? On se connait ? 😀

    ++

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