Phrase donnée par Yoda des Bois
Il avait toujours ignoré les raisons de la disparition de son écuyer, jusqu’à ce jour de décembre.
La veille des fêtes du solstice.
Il faisait extrêmement froid depuis déjà la mi-novembre. Les rivières étaient gelées sur de grosses épaisseurs. Avec le redoux des deux derniers jours, il avait commencé à neiger pour ne plus s’arrêter. Il y en avait plus haut que le niveau des fenêtres de la plupart des chaumières. La vie semblait s’être arrêtée.
C’était un des bûcherons qui était venu au château pour y apporter la nouvelle. Il avait trouvé un corps dans la neige, un jeune homme, pas plus de vingt ans. À cette annonce, il fut immédiatement introduit dans la grand’salle du château.
« M’seigneur, l’pauv’gars doit-z-y être d’puis pas longtemps, parcequ’eul neige est encore toute blanche. N’y a point d’sang autour. Alors qu’l’pauv’môme, il ben amôché qu’même !
Melderic avait immédiatement pensé à son écuyé. D’un regard au seigneur Parteine, il avait demandé la parole. Ce dernier la lui accorda d’un simple mouvement de tête. Melderic, chevalier de l’Ordre et fidèle bras droit du seigneur, se leva.
— Mène-moi à ce corps, je vais m’occuper du reste. »
Le bûcheron s’inclina en guise d’acceptation de l’ordre — il n’avait pas vraiment le choix non plus — pendant que Melderic, d’un geste convoquait une escorte de huit gardes.
Arrivés à une vingtaine de pas du corps, le chevalier fit stopper la troupe et demanda à ce qu’on le laisse seul pour l’examiner. Il avait arrêté de neiger pendant leur trajet et le ciel se dégageait tranquillement.
Il y avait des traces de morsures un peu partout sur le corps. Ses habits n’étaient plus que des lambeaux. Le visage avait été littéralement labouré par des griffes mais Melderic n’eut pas de mal à reconnaître son écuyer, Borhm, disparu depuis près d’un mois. La dernière fois qu’on l’avait vu, il quittait la taverne bien plus aviné qu’il n’aurait dû. À présent, mort, il lui manquait une jambe et un avant-bras.
« Que t’est-il donc arrivé, Borhm ? demanda Melderic au cadavre de son écuyer pendant qu’il l’examinait en détail, ainsi que les alentours. Une fois qu’il eut fini, il fit signe aux gardes qui l’accompagnaient :
— Récupérez le corps. Ramenez-le au château pour qu’une messe soit dite et qu’il reçoive sépulture. Vous deux, restez avec moi !
Puis il se tourna vers le bûcheron.
— Tu peux reprendre ton travail, l’ami. Je te remercie d’être venu nous trouver.
— Sont-ce des loups qu’y’ont fait ça, m’seigneur ? Il regardait en tout sens, peu rassuré.
— Non, ne t’inquiète pas. Tu n’as rien à craindre dans ces bois ! »
Melderic lui tapa amicalement sur l’épaule. Le bonhomme baissa les yeux par déférence. Le chevalier suivit de la troupe laissa le bûcheron au milieu de la forêt.
Le seigneur Parteine fut très surpris quand son fidèle chevalier revint, près de vingt minutes après le corps de son triste écuyer, avec entre les deux gardes le maître tanneur de la ville.
Parteine regarda son ami avec étonnement.
« Sire, commença le chevalier. Je viens ici, vous demander de rendre justice contre Johann le tanneur pour le meurtre de mon écuyer, Borhm.
Il voulait faire ça dans les règles. Le seigneur savait très bien que si Melderic venait avec quelqu’un et qu’il voulait immédiatement un jugement, c’est que ce pauvre hère devait bel et bien être le coupable.
— Accusé ! qu’avez-vous à dire pour vous défendre ? demanda le seigneur de la voix la plus grave et sinistre qu’il pouvait.
— Seigneur, je ne sais absolument pas de quoi parle le chevalier, répondit le tanneur, fébrile.
— Je parle du cadavre de l’écuyer qui a été retrouvé ce matin dans la forêt, près de la zone de travail du bûcheron que nous avons vu ce matin. D’un claquement de doigt, Melderic fit apporter le cadavre devant le seigneur et l’accusé. Il fut déposé à même le sol. Et voici les preuves incontestables qui me font affirmer que vous êtes l’assassin de mon ami. Le corps a été trouvé dans la forêt, au-dessus d’une épaisse couche de neige, pas en-dessous. Cela, plus le fait qu’il n’y avait pas une seule goutte de sang là où le pauvre bougre a été trouvé, signifie qu’il n’est pas mort là mais que son cadavre a été déplacé. Par qui ? Comment ? Je n’en suis pas encore sûr à l’heure actuelle mais passons pour le moment. Pourquoi a-t-il été déplacé ? C’est une bonne question. Parce que le temps s’est radouci depuis deux jours et que les températures sont remontées au-dessus de la température de la glace. On sait que nous n’avons pas eu de température aussi douce depuis avant la disparition du sieur Borhm. Le redoux aura permis au corps d’entrer en décomposition. De continuer le travail à peine débuté puis arrêté à cause du froid. Le tueur s’en sera rendu compte et surtout aura assurément eu peur que l’odeur n’attire des curieux. Il aura préféré déplacer le corps.
Le seigneur, le tanneur et même l’assistance avait le souffle coupé. Melderic captivait par sa voix et sa démonstration.
— Voyez, Sire, comme le malheureux Borhm a été mutilé. Mon avis sur ce fait est que l’assassin a voulu se débarrasser petit à petit de son encombrant fardeau. En le débitant. Morceau par morceau. Et en le dissimulant dans les déchets. En petits parts, impossible pour quiconque de se rendre compte de la présence de reste humain. Mais le redoux a coupé court au plan.
Le chevalier lança un regard noir à Johann.
— À présent Sire, si vous voulez bien approcher, vous verrez que le visage de Borhm a été affreusement mutilé par un ou plusieurs animaux. Comme il a été retrouvé dans la forêt, nous pourrions croire que ce sont des loups qui ont fait cela, mais nous savons très bien qu’aucun animal de la sorte n’a été vu depuis près de trois hivers. Sans exclure totalement, cette hypothèse, je pense que nous pouvons la mettre de côté sans trop nous tromper. Je pense plutôt que l’assassin a voulu se débarrasser de ce cadavre trop encombrant en le donnant à ses chiens. Mais les animaux ne sont pas idiot et savent reconnaître quand une viande est mangeable ou non, alors ils l’ont laissé après quelques morsures en surface. L’assassin, lâché par les seuls êtres qui pouvaient encore l’aider à ce stade, n’a eu d’autre solution que d’emmener le cadavre de Borhm dans la forêt et espérer que personne ne le trouve avant que la nature ne fasse son œuvre.
Melderic s’arrêta de parler quelques instants, autant pour ménager ses effets que pour reprendre son souffle.
— Bien ! s’exclama Parteine. La démonstration me va, jusqu’ici. Mais pourquoi accusez-vous donc le tanneur, chevalier, alors que la façon de faire me ferait plutôt penser au boucher, rapport à la découpe de… Il n’acheva pas sa phrase mais montra vaguement les membres amputés de l’écuyer.
— Je comprends mon seigneur. Je pensais de même avant d’examiner les restes du corps. Si vous regardez le bas du dos, vous verrez sur la peau et sur les habits, ainsi que sur le bout des doigts et la tranche de la main encore présente, des traces tenaces de teinture. L’odeur caractéristique persistante et la couleur sombre montre que la concentration du produit était élevée et donc en cours de décoction. Et il n’y a que chez le tanneur que nous trouverons pareil produit. Quand j’ai quitté Borhm à l’entrée de la taverne, le soir de sa disparition, il n’avait pas ces marques sur la main. Il ne se les sera pas faites en buvant. Il ne peut se l’être faite qu’après. Tout porte donc à croire que le meurtrier de l’écuyer est le tanneur Johann ici présent. Il possède aussi trois chiens, deux de grande taille et un plus petit. Vous pourrez voir que les morsures sur le corps montrent deux tailles bien distinctes de mâchoires, correspondant à celles des animaux de Johann.
Melderic s’arrêta encore une fois, regardant le seigneur, manifestement convaincu par la démonstration, puis il se tourna vers le tanneur. Celui-ci restait stoïque devant le chevalier.
— Les témoins montrent que Borhm était ivre quand il a quitté la taverne, continua le chevalier directement à sa proie, et vous avez une très jolie fille. Je sais qu’elle plait à mon écuyer pour avoir été son confident à ce sujet. Trop ragaillardi par le vin, Borhm sera allé la trouver chez vous, ce soir-là. Ça ne vous aura pas plus et vous l’aurez tué sous un accès de colère. Avouez. AVOUEZ !!
Le chevalier commençait à perdre son sang-froid devant le tanneur dont la physionomie ne laissait rien paraître. Mais voir Melderic s’énerver était quelque chose de rare qui parvint à faire flancher le courage du tanneur. Il éclata en sanglot.
— Oui ! C’est vrai ! Mais c’est parce que ce porc voulait prendre ma fille par la force. Elle criait et se débattait. Il avait beau être écuyer, il y a des manières à avoir avec une fille ! Alors je suis arrivé, je l’ai attrapé par le col. Il a voulu se débattre mais il était trop ivre. Je l’ai mis à la porte mais il a commencé à vouloir enfoncer la porte. Au bout de trois coups d’épaule, j’ai ouvert la porte. Je l’ai vu traverser la maison et atterrir dans mon atelier. Il s’est cogné à un des bacs de décoctions de couleur, c’est là qu’il a dû se tâcher. Je me suis approché de lui. Il voulait se battre avec moi, mais aviné comme il était, il tenait à peine debout. Il a fait un faux pas et s’est étalé de tous son long. Sa tête a buté contre une des cuves et il s’est rompu le cou. Je ne savais pas quoi faire, alors je l’ai mis dans la réserve de bois à l’extérieur, en attendant de trouver quoi faire. Tout le reste s’est passé comme le chevalier l’a dit, termina le tanneur hagard en se tournant vers le seigneur Parteine.
— Chevalier Melderic, je vous félicite pour la découverte du coupable aussi rapidement. Johann le tanneur, vous allez avoir droit à un procès populaire que je présiderai dès ce soir pour savoir quel châtiment vous subirez. Quand au pauvre Borhm, qu’une messe soit dite et qu’il soit enterré au plus vite, il a suffisamment attendu. »
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