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026 – La crevasse

Phrase donnée par Charly aka Lapin

Le soleil, après deux ans perdu dans cette crevasse, je suis tellement pressé de retrouver mes enfants.

J’ai tellement cru que je ne sortirais jamais de là. J’aurais dû écouter ma femme, le jour où j’ai décidé d’aller faire de la spéléologie tout seul comme un grand.

Je n’étais absolument pas préparé à vivre cette mésaventure. Qui l’aurait été ? Deux années bloquées dans les boyaux de la Terre. Je n’ai survécu que grâce à l’eau qui ruisselait par là et cette sorte de mousse qui poussait heureusement un peu partout. Au début, je trouvais que ça avait un goût de terre mais au bout d’un certain temps, je ne sais pas combien, je me suis habitué. Je ne savais pas pourquoi je continuais à me nourrir et à boire mais même dans mes pires moments d’égarement, je n’ai pas réussi à me résigner à me laisser mourir. La pensée de mes enfants, malheureux à l’idée de ne plus jamais me revoir m’en empêchait.

Au début, il me restait la lumière. Quand j’ai compris que j’étais perdu dans ce dédale, j’ai attendu. Je me suis dit que quelqu’un viendrait me chercher. J’ai économisé la lumière pour qu’elle dure le plus longtemps possible. Je me souviens d’histoire de spéléologues chevronnés qui s’étaient retrouvés bloqués et qui n’avaient pu être sauvé qu’au bout de deux longues semaines. Il fallait être prévoyant. J’économisais la nourriture et même l’eau potable. Mais finalement, je suis tombé à court très rapidement. Quand on est habitué à faire trois repas par jour, il est très difficile de se rationner. Surtout quand on est bloqué dans le noir, sans rien à faire.

J’ai compté les jours les premiers temps. Je sais que la lumière m’a lâché au bout de huit jours. Après je continuais à compter grâce à ma montre mais je ne voulais pas ruiner la batterie trop rapidement avec le rétro-éclairage donc je me forçais à ne pas regarder trop souvent la date ou l’heure.

Finalement, au bout de trois mois, je crois que j’ai sombré dans la folie. J’ai essayé de me laisser mourir de faim mais la douleur au ventre était trop forte. Je n’ai pas réussi. Avec le temps, j’avais l’impression de devenir tel Golum dans sa grotte.

Ce qui m’a sauvé la vie, c’est cette mousse. Non seulement parce qu’elle m’a nourri pendant si longtemps mais parce que pour en trouver chaque jour, j’ai été obligé de me déplacer. Et c’est grâce à ça que je suis revenu sur une zone de passages réguliers de spéléologues. Ceux qui m’ont trouvé n’en ont pas cru leurs oreilles quand je leur ai dit qui j’étais. Tout le monde me croyait mort. Deux ans. C’est normal.

Ils ont appelé des secours pour venir me récupérer et s’occuper de moi.

À présent, les rayons du soleil m’aveuglent. Alors que l’équipe médicale me fait un rapide check-up, je demande des nouvelles de ma famille, de mes enfants. On me répond qu’ils sont en route et qu’ils ne devraient plus tarder. Je ne sais pas si ma perception du temps a changé ou s’ils n’ont effectivement pas tardé mais quand je les ai vus, j’ai couru vers eux. Enfin, j’ai marché comme un vieillard. Deux ans à moitié plié dans un boyau sans pratiquer de réels exercices, ça rouille un peu.

Mes enfants ont tellement grandis. Ils ont changé et pourtant sont toujours les mêmes. Ils me regardent étrangement. Avec un mélange de joie et de tristesse. Je ne sais pas à quoi je ressemble, je ne me suis pas encore vu dans un miroir. J’embrasse ma femme et je serre mes enfants fort contre moi. Je leur dis qu’ils m’ont manqué.

J’ai à peine le temps de discuter avec eux que les médecins viennent et me traînent littéralement vers leur véhicule. Ils me disent de me calmer, que nous devons aller à l’hôpital et que ma famille nous suit. Finalement, je me laisse faire.


Une fois que le patient est reparti dans sa chambre, le docteur va voir son épouse et ses enfants.

« Il n’a pas l’air d’aller mieux, annonce-t-elle presque stoïque.

— En effet, madame, répond le psychiatre. Le traitement ne fait pas beaucoup d’effet mais il est déjà à son dosage maximum. Comme je vous le dit à chaque fois, il n’y a que la patience et votre présence régulière qui le feront recouvrer son esprit.

— Ça fait plus d’un an et demi que vous me dites ça, docteur ! Chaque fois il a l’impression de nous revoir pour la première fois depuis sa disparition. C’est comme s’il sortait de ce trou chaque fois.

— La quantité de mousse toxique qu’il a avalé pendant cette captivité souterraine a attaqué sa raison.

— Je sais docteur, vous m’avez déjà dit tout ça de nombreuses fois… Je commence à craquer. Il a passé trois mois au fond de cette crevasse mais on dirait que son esprit y est resté quand il a été secouru. Des fois, je me dis que j’aurais préféré qu’on ne découvre que son corps. »

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