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010 – La Traque

Phrase donnée par Khyreena

« C’est fou qu’une personne aussi petite ait pu projeter une si grande ombre sur moi.

— C’est ce qu’il se passe quand on mange trop, la neige ne supporte pas le poids ! »

Je venais de m’affaler de tout mon long du haut d’un talus. Dans la lumière rasante de ce matin d’hiver, j’avais eu l’impression qu’un instant il refaisait nuit. Ça n’était que l’ombre de mon compagnon surplombant mon point de chute.

Une fois debout, je m’époussetais la neige qui avait collé à mes vêtements et récupérait mon épée tombée non loin.

« Dieu, que je hais cette saison ! »

Harold me rejoignit prudemment. En plus d’éviter le risque d’être aussi ridicule que moi, il préférait se méfier de ce qui pouvait joncher le sol de cette forêt. Surtout recouvert par une épaisse couche de neige, les pièges à loups disséminés pouvaient être mortels.

Une fois à mon niveau, mon camarade m’exhorta à avancer. Il était encore tôt mais avec cette neige nous n’avancerions pas vite et il fallait que nous nous pressions pour ne pas perdre la trace.

Nous étions à la recherche d’une bête sauvage qui s’amusait à dévorer les troupeaux des éleveurs du coin. Ceux-ci nous avaient engagé pour que nous réglions le problème. Harold et moi étions les deux seuls combattants de la région. Deux anciens soldats. C’est là que nous nous étions connus. Deux gamins qui avaient sympathisé. Je l’avais immédiatement charrié à cause de sa petite taille et lui s’était vengé sur mon embonpoint. Et nous ne nous étions plus jamais quittés. Après cinq au service des troupes du Roi, nous avions préféré quitter les rangs et vivre comme nous l’entendions. Ça n’était pas aussi simple que nous le pensions au début. Trouver du travail quand on ne sait faire que la guerre depuis ses dix-sept ans n’est pas la chose la plus facile du monde. Et puis en arrivant dans la région, nous entendîmes parler de ces problèmes de bête sauvage. Mon compagnon eut tout de suite l’idée de vanter nos faits d’armes — en les enjolivant, beaucoup — pour qu’on nous engage. L’affaire fut conclue très rapidement. Les éleveurs, ici, étaient à bout de nerfs.

Et ce matin, après une nuit glaciale en planque, nous vîmes la bête s’attaquer à la brebis laissée en appât dans le pré en lisière de forêt. Harold n’avait pas vraiment de plan pour s’attaquer à la bête. Il pensait que c’était un loup de rien du tout et que les villageois n’étaient que des froussards. À la lueur de frayeur que je vis dans ses yeux quand la bête avait déchiqueté le pauvre animal, je pense qu’il avait révisé son jugement.

Nous n’étions armées que de nos épées, vestige de notre enrôlement. Et je commençais à me dire que nous n’arriverions pas à nous occuper de cette bestiole. Elle était énorme. J’en frissonnais rien qu’à y repenser. Rien à voir avec le froid.

À vrai dire, je ne savais pas vraiment ce que nous avions vu. Harold non plus.

Nous suivions les traces de sang de brebis et de pas gigantesques. Si c’était un loup, il devait avoir la taille d’un cheval. Sans exagérer. Mais on n’avait jamais vu un cheval manger une brebis. Enfin, moi, jamais.

Au bout de deux bonnes heures de marche, les traces de sang avaient disparu depuis longtemps. Je faisais entièrement confiance à Harold pour savoir où nous étions, parce que pour ma part, j’étais complétement perdu dans cette forêt. Je commençais à désespérer de retrouver ce monstre.

Soudain, mon ami me fit signe de me baisser et de faire silence. Je m’exécutai immédiatement et le rejoignit le plus discrètement possible. Il était sur un petit promontoire. À une dizaine de coudée en contre-bas se trouvait tranquillement allongé et ronflant, un ours. Un gigantesque ours brun. Je me tournais vers mon camarade, incrédule. Il n’y avait pas d’ours dans le coin, en général. Il y avait quelques carcasses d’animaux de toutes sortes autour de ce monstre de la nature. Aucun doute possible quand à sa culpabilité.

« Comment veux-tu que nous puissions le tuer ? » demandai-je à Harold.

Celui me fit signe d’attendre et de le laisser réfléchir quelques instants. Je pris le parti de m’asseoir. Des fois, les temps d’élaborations d’Harold pour ses plans pouvaient être très long. En plus, je commençais à avoir faim. Je tirai de ma besace un bout de viande séchée et commençait à le mastiquer quand mon compagnon se tourna vers moi. Il avait trouvé. Et je le vis glisser en arrière. Et le reste du paysage avec.

J’étais déjà dans le vide quand je compris que c’était la plaque de neige sur laquelle je me trouvais qui venait de glisser et m’envoyait directement sur notre proie.

J’essayai de ne pas crier pour ne pas la réveiller et ne pas me faire dévorer comme une simple brebis.

Quand je rouvris les yeux, je voyais la tête d’Harold en contre-jour. Il me masquait encore le soleil.

« Faudrait pas que tu prennes l’habitude de me faire de l’ombre ! lui dis-je.

— Ça, y a pas de soucis !! rit-il en me tendant la main pour m’aider à me relever. Je me rendis compte que j’avais mal aux reins. En regardant alentours pour voir ce qu’était devenu l’ours, je fis un bond en arrière en voyant la masse velue juste à côté de moi. Harold ne put s’empêcher d’éclater de rire.

— Il est mort ! annonça-t-il rapidement alors que je m’éloignais.

— Quoi ? Mais comment as-tu…

— Moi ? J’ai rien fait, l’ami. C’est toi ! Tu lui as brisé la nuque en lui tombant dessus. Comme quoi ! Ça sert des fois d’être aussi gros qu’un ours ! Imagine la taille de l’ombre que tu lui as projetée, à lui ! »

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