Phrase donnée par Ambrose
Le temps n’est plus ce qu’il était.
C’est ce que je me dis chaque matin quand je me regarde dans le miroir pour me raser. Ou bien c’est moi qui vieillis. Je ne sais pas trop.
Et maintenant, me voilà dans cette satanée salle d’interrogatoire. À perdre mon temps. Oh, je sais bien pourquoi je suis là. Ils n’ont pas eu besoin de me le dire quand ils m’ont ramassé sur les quais de Seine. Même si je me demande comment ils ont su. Je revenais d’un boulot pour un gros client. J’allais planquer à l’endroit habituel mon butin en attendant de réunir la commande complète. Heureusement, ils m’ont chopé juste avant que je ne me serve de la cachette. Ce n’est pas la seule planque que j’ai dans la ville mais c’est toujours ennuyeux d’en perdre une. Il est très difficile de trouver un abri qui résiste au temps.
Je regarde encore une fois les murs. Il n’y a pas d’horloge. C’est à devenir fou d’être là, enfermé à imaginer les secondes s’égrainer comme le sable d’un sablier. Au moins à l’époque de cet objet, ils ne s’embêtaient pas à faire des « pressions psychologiques » en faisant poireauter un suspect pendant des heures en garde à vue. À l’époque, ils le torturaient direct, au moins on perdait pas de temps. Mais là. Là ! Je n’y tiens plus. J’ai envie de hurler. Mais je sais que c’est ce qu’ils veulent. Me voir craquer. Ils attendent que je sois à point.
Suis-je bête. C’est ce que je devrais faire. Faire semblant de péter un câble pour qu’ils viennent enfin me parler, m’inculper, ou essayer, et me laisser partir.
Enfin, deux agents arrivent. Ils sont en civil. Le genre décontracté. Je déteste ces gens-là. Ils sont tellement vulgaires dans leurs postures pseudo-cools. Au moins après la révolution française, les policiers étaient sérieux et prenaient leur rôle très au sérieux. Ils ne la jouaient pas les héros de série américaine.
« Bien, bien, bien ! commence le premier en posant sur la table le bracelet franc en bronze sculpté incrusté de pierres précieuses qu’ils m’ont pris en m’arrêtant.
— D’après nos experts, reprend-t-il, ce bijou est authentique. D’époque. Entre le IV° et le VI° siècle. On attend les analyses complémentaires au carbone 14 pour être sûr. Seulement, il n’a jamais été répertorié par aucun archéologue et ne porte aucun signe de détérioration dû à un enterrement prolongé.
— C’est normal, il n’a jamais séjourné dans le sol, réponds-je.
— Seulement voilà, continue le second flic, il y a un bon ami à moi qui travaille au service d’histoire du Louvre. Service du folklore régional. Et il y a peu de temps, il m’a raconté une histoire étrange d’un bracelet que Clovis aurait perdu une nuit. Une histoire racontée qui s’est transformée en légende dans un petit village de Picardie. Heureusement, il y a des écrits qui ont apporté cette histoire étrange jusqu’à nous. Clovis avait un bracelet qu’il aimait beaucoup et qu’il portait toujours. C’était une sorte de porte-bonheur. Il s’en servait surtout lors des combats. Et puis, une nuit, il a vu une personne s’introduire dans sa tente, lui prendre le bracelet et s’enfuir. Quand Clovis est sorti de sa tente, immédiatement après son voleur, celui-ci avait disparu dans la nuit. Aucune trace de lui dans le camp. Personne ne l’avait vu. Et personne n’a jamais retrouvé ce bracelet.
— Vous essayez de me faire croire que c’est ce bracelet là, celui que j’avais sur moi ? Soyons sérieux deux minutes. Vous me dites que vous m’arrêtez sur base d’une légende d’un patelin paumé ?
— Le truc c’est qu’il y a tout au long de l’Histoire, des légendes similaires à des lieux et de époques très différentes…
— Sérieusement, reprends-je sans me démonter et comme si je n’avais pas entendu cette dernière phrase, c’est quoi le chef d’inculpation ? Si c’est vol, y a prescription depuis, non ? »
Les deux flics se regardent. Le premier soupire et se lève. Il me fait signe de l’imiter.
Après qu’il m’a libéré de mes menottes, il me raccompagne jusqu’à l’entrée du commissariat.
« Faites attention à vous ! me préviens le second agent. Nous vous avons à l’œil. Vous ferez un faux pas un jour ou l’autre. Nous avons le temps.
— Le temps n’est plus ce qu’il était, vous savez ! » dis-je en souriant. Avant de quitter les lieux, je demande à récupérer mon bien. Il a de la valeur et je n’ai aucune raison de leur laisser.
Une fois loin du poste de police et de ces deux agents un peu trop pressants à mon goût, je m’arrête un instant. La rue est vide. Je range le bracelet bien à l’abri de l’air et des interférences quantiques. Je regarde ma montre. Finalement, j’ai encore le temps de revenir un peu en arrière me prévenir de cette arrestation, histoire que je sache qu’ils sont à mes basques, et d’aller récupérer les ferrets d’Anne d’Autriche avant mon rendez-vous avec le client. Je souris Après tout, j’ai toujours le temps.
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