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016 – L’ascension

Phrase donnée par Ambrose

De là-haut on aurait pu croire que les gens n’existaient pas.

Il était facile de comprendre pourquoi Dieu, encore plus haut, avait oublié ceux qu’il avait créés.

L’ascension avait été difficile et très périlleuse. Il avait fallu des jours pour arriver là.

Mais le spectacle valait le coup.

La mer de nuages en-dessous de nous faisait comme un parterre cotonneux. J’avais envie de m’y jeter pour tester son moelleux. Heureusement, malgré l’altitude, mon cerveau recevait encore assez d’oxygène pour me rappeler l’épreuve que ça avait été pour la traverser. Et je me souvenais parfaitement que nous avions perdu encore deux de nos compagnons de cordée. Je ne serais pas le prochain.

« Tiens ! Bois vite tant que c’est encore chaud !

Je remerciais Thyra pour la tasse de café fumant qu’elle venait d’apporter. Je le regardai avec insistance.

— T’inquiète pas ! J’ai pas mis de poison dedans ! » me lança-t-elle avant que je ne porte la tasse à mes lèvres.

Nous n’étions plus que trois dans cette ascension. Plus que trois sur les vingt au départ. Plusieurs fois, je m’étais demandé pourquoi j’avais voulu être là et qu’est-ce qui me manquait sur cette terre pour vouloir m’en éloigner le plus possible. Pourquoi diable avais-je voulu gravir cette tour abandonnée depuis toujours. La curiosité de découvrir ce qu’il y avait à son sommet ou juste le plaisir de la vue ? De toute façon, maintenant, j’y étais, plus moyen de revenir en arrière. Tous les autres y étaient restés au fur et à mesure. Une véritable hécatombe.

Nous étions encore cinq quand l’un de nous avait émis l’étrange idée que pour pouvoir continuer dans la tour, il fallait qu’environ à chaque kilomètre, l’un des membres de la cordée meure. C’était complétement farfelu comme idée. Même s’il était vrai que nous avions perdu des membres de façon assez régulière, peut-être trop régulière. Et puis, nous étions vingt au départ pour l’ascension d’une tour qui aux dires des anciens en mesurait vingt kilomètres. La théorie se tenait mais c’était trop bizarre comme idée.

Nous avions traversé la mer de nuages et nous avions perdu deux personnes, dont le malheureux prophète…

Mon café fini, je me relevai et manquai de tomber de la tour. Le manque d’oxygène. La fatigue. Après tous ces efforts, rester immobile quelques instants semblait m’affecter fortement. Il ne fallait que nous bougions.

Il n’était pas très tard et nous pourrions encore gravir un bon kilomètre avant de nous poser pour la nuit. Je rejoignis Thyra qui se trouvait non loin. Elle aussi était assise sur le bord de la tour. À ce niveau, elle n’était plus très large, pas plus de trente mètres de diamètres. L’ascension continuait par un petit escalier en colimaçon à moitié délabré par les vents violents et ne présentant que peu de protection pour ceux qui le gravissaient. Là, un faux pas ou une bourrasque un peu trop forte et c’était la chute assurée dans la mer de nuages.

Je tendis la main à ma compagne de cordée pour l’aider à se relever et éviter qu’elle ne tombe comme j’avais failli le faire. Une demi-seconde l’histoire de notre compagnon me traversa l’esprit en même temps que l’idée de pousser la jeune fille. Si effectivement il ne pouvait y en avoir qu’un qui arrive au sommet, je devais peut-être faire quelque chose pour que ce soit moi.

Je me repris rapidement. Je ne croyais pas à ces balivernes. Tous les autres y étaient restés parce qu’ils n’avaient pas le niveau physique suffisant ou un mental assez fort pour résister. Nous arriverions ensemble.

« Où se trouve Mirk ? demandai-je comme je ne le voyais plus.

— Il est parti devant pour voir.

Thyra frissonna. Elle se blottit contre moi. Je sentis la chaleur de son corps. C’était agréable.

— Nous avons tiré à la courte-paille, reprit-elle.

Je la repoussai délicatement et la dévisageait. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire.

— C’est moi qui ai perdu, avait-elle continué.

— Perdu pour quoi ? C’était quoi l’enjeu ?

— Savoir qui… »

Thira se cacha le visage comme elle commençait à pleurer. J’essayai de la prendre dans mes bras pour la consoler sans vraiment comprendre de quoi et dans un mouvement violent, elle me repoussa. Je partis en arrière, mon pied s’enfonça dans le vide.

Je ne vis qu’un de ses yeux quand elle releva la tête mais je fus sûr qu’il n’y avait pas de larme.

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