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088 – Le rendez-vous

Phrase donnée par CHloeildh

On s’était donné rendez-vous douze ans plus tard, même bar, même table.

Et moi, comme un con, je suis là à attendre qu’elle passe la porte. J’ai l’impression que mes mains tremblent. Je ne sais pas si c’est à cause des innombrables cafés que j’ai bu depuis ce matin ou juste le trac de la revoir.

Quelle idée à la con !

Je crois que c’est la pire chose que j’ai faite de ma vie, de suivre cette idée étrange qu’elle avait balancé.

C’était parti d’une connerie. Du temps où elle était fan de ce chanteur pour midinettes qui s’est reconverti dans les tournois de cartes. Il avait une chanson qui disait quelque chose comme ça. L’idée lui a plu. Elle partait faire ses études supérieures au Canada. Moi, j’avais raté mon bac et mes parents déménageaient à l’autre bout de la France. Nous nous sommes envoyé quelques lettres avant de perdre l’habitude dans nos nouvelles vies ou je ne sais quoi. Une époque où Internet, les emails, les téléphones portables et les SMS n’existaient pas pour le commun des mortels.

Nous fêtions son départ et en fin de soirée, nous avons commencé à divaguer sur notre futur, à un âge où tout est encore possible et rien n’est vraiment important. C’est là qu’elle a lancé cette idée folle de ce rendez-vous douze ans plus tard.

Elle allait commencer des études de médecine. Elle voulait devenir pédiatre. Je me demande si elle a réussi. Je me demande ce qu’elle dirait de moi si elle me voyait maintenant. Je me demande si elle ne serait pas déçue.

Je crois que j’ai toujours été amoureux d’elle, en fait. Depuis le premier jour où je l’ai vue. Je sais ça fait cliché, et pourtant… Je m’en souviens comme si c’était hier. La rentrée de seconde. Nouveau lycée. J’avais toujours l’impression de ne pas être à ma place à l’époque. Dans un coin de couloir, je l’ai vue débarquer avec son sourire, ses cheveux longs légèrement bouclés. Je crois que ce sont ses éclats de rire qui ont condamné mon cœur à ne plus penser qu’à elle.

Évidemment, j’ai rencontré d’autres filles, mais elle restait dans ma tête et m’empêchait de croire dans mes relations. Je m’en veux encore de n’avoir pas continué la correspondance avec elle. En réalité, je ne me souviens pas bien si c’est elle ou moi qui avons arrêté d’envoyer des lettres en premier. Oh ! J’ai bien essayé de la retrouver grâce à la magie du net, il y a cinq ans mais je n’ai trouvé aucune trace. Elle s’est peut-être mariée et a changé de nom.

Vingt-trois heures. La journée est bientôt finie, le bar va bientôt fermer. J’invite les derniers clients à payer avant de rentrer chez eux. Je me sens complétement usé par la déception. La déception de quoi ? Je ne suis pas sûr. La déception qu’elle ne soit pas venue ou la déception de voir que je crois encore aux contes de fées après tout ce temps.

Il y a quatre ans environ, le bar était à vendre. Le tenancier partait à la retraite et le commerce était à reprendre. J’ai eu peur qu’il reste fermé. Dans ma tête, la première chose qui a fusé fut de savoir comment nous ferions pour nous revoir si le bar n’existait plus. Sans vraiment réfléchir, j’ai quitté mon boulot, qui n’était pas génial et ne payait pas très bien, pour reprendre la direction de ce troquet. Je suis content de cette nouvelle vie, mais je me sens toujours un peu con quand on me demande la raison de mon soudain revirement professionnel.

Les derniers clients viennent de partir. Je lance un dernier lave-vaisselle et fais un tour dans la salle pour vérifier que personne n’a rien oublié. Le vieux max a oublié sa casquette. Il oublie toujours sa casquette. Je range les chaises, j’essuie les tables.

Ou alors je fais tout ça pour tirer la journée le plus en longueur possible.

En train d’essuyer les derniers verres que je range sur les étagères, j’entends le grelot de la porte sonner. Je me retourne vivement espérant la voir arriver mais la déception est énorme quand je vois le vieux max. Il vient récupérer sa casquette. Je souris tristement en me traitant de tous les noms d’oiseaux que je connais d’avoir espéré encore si tard. Je vois la bouteille de cognac, elle me fait de l’œil. Un petit verre pour me remonter le moral. Pourquoi pas ?

Je tends la main vers la bouteille quand je me rends compte que je n’ai pas entendu le grelot. Max n’a pas bien refermé la porte. Je soupire exaspéré, plus par la fatigue et l’attente de la journée que par Max. Ce n’est qu’une fois de l’autre côté du bar que je me rends compte qu’il y a quelqu’un dans l’embrasure de la porte. Surpris, il me faut deux secondes pour comprendre.

Elle est là. C’est bien elle. Ses cheveux légèrement bouclés et son sourire sont les mêmes. Je vois des larmes de joie aux coins de ses yeux. J’ai du mal à retenir les miennes.

5 Comments on “088 – Le rendez-vous

  1. J’aurais aimé que le passage suivant soit gardé dans le roman actuel, je le trouve vraiment très mignon ^^
    « Je crois que j’ai toujours été amoureux d’elle, en fait. Depuis le premier jour où je l’ai vue. Je sais ça fait cliché, et pourtant… Je m’en souviens comme si c’était hier. La rentrée de seconde. Nouveau lycée. J’avais toujours l’impression de ne pas être à ma place à l’époque. Dans un coin de couloir, je l’ai vue débarquer avec son sourire, ses cheveux longs légèrement bouclés. Je crois que ce sont ses éclats de rire qui ont condamné mon cœur à ne plus penser qu’à elle. »
    Car il me semble qu’il décrit Charline dans le roman mais uniquement lors de la dernière soirée après le bac, qui est sympa aussi, mais qui n’a pas la même saveur je trouve :p

    1. C’est vrai que c’est une belle phrase, elle ne s’est pas retrouvée dans le roman parce que pour son écriture, je n’ai pas voulu relire la nouvelle, histoire de ne garder que l’idée d’origine et pas faire un simple copier-coller rallongé.
      Et ça laisse encore un peu de charme à la nouvelle comme ça 😉

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