Phrase donnée par Luigi B.-B.
Un claquement sec fit remonter derechef une multitude de souvenirs.
Ellen avait déjà vu ressurgir une quantité d’images enfouies trop profondément dans sa mémoire en arrivant près de la maison. La clôture lui avait rappelé très vaguement quelque chose mais rien de bien précis. Le bruit du mécanisme du portillon avait résonné de façon étrange, serrant son cœur d’une émotion lointaine. Remontant l’allée pavée, elle avait regardait le jardin voyant réapparaître devant ses yeux des images floutées par les années, abîmées pas la poussière de ses neurones.
Sous le porche, Ellen se voyait en train de jouer à la poupée. Elle sentait les larmes serrer sa gorge, atteindre ses yeux.
La porte de la maison était d’une couleur différente. Enfin, elle le pensait. Plus de quarante cinq avaient passé, elle avait peut-être simplement été repeinte depuis.
Ellen souffla un grand coup pour essayer de calmer ses émotions et sonna. Des bruits de pas se firent entendre de l’intérieur. La porte s’ouvrit sur une dame qui semblait à peine plus âgée qu’Ellen. Elles se fixèrent un instant sans rien dire. Elle avait l’impression d’être devant un miroir qui lui renvoyait son image avec quelques rides en plus et des yeux d’une couleur différente.
La propriétaire des lieux regardait Ellen. Ses yeux couraient sur cette femme qui se présentait et qui semblait être un clone d’elle dix-sept ans plus jeune. Ses lèvres tremblaient, ses yeux brillaient fort.
« Gisèle ? » demanda-t-elle.
Gisèle. Ce prénom résonna si violemment dans la tête d’Ellen qu’elle mit quelques instants à comprendre. Elle saisissait enfin pourquoi elle s’était toujours sentie mal à l’aise avec les filles qui portaient ce prénom, pourquoi il lui avait toujours fait se sentir triste sans raison. C’était son vrai prénom.
Ellen sourit à sa mère, les larmes coulant abondamment sur ses joues. Elle ne pouvait plus les retenir. La vieille dame prit la tête d’Ellen dans ses mains et l’embrassa chaleureusement sur les jours avant de l’inviter à entrer et à s’installer dans le salon. Oubliant toutes les règles de savoir vivre, elle s’installa aussi ; sans même penser à lui offrir quelque chose à boire ou à manger. Qu’importait ? Elle venait de retrouver sa fille.
Ellen avait perdu son père dix ans plus tôt. Sa mère venait de mourir. Juste avant de rendre son dernier souffle, elle lui avait avoué la vérité. Ellen avait été adoptée quand elle avait trois ans. Elle ne se souvenait plus de son prénom originel et n’avait plus le dossier d’adoption depuis des années dans un des nombreux déménagements. Elle se souvenait juste de la maison où Ellen avait été récupérée.
Une fois les funérailles terminées, Ellen s’était mise en recherche de cette maison d’après les indications de sa mère adoptive. Elle avait aimé ses parents mais se sentait curieuse de rencontrer ses géniteurs, de connaître ses vraies racines. Elle avait surtout l’impression de pouvoir guérir un certain mal être qui l’embêtait depuis toujours, même si son enfance avait été très heureuse.
Roseline, sa mère biologique, lui raconta l’histoire entrecoupée de nombreux sanglots. Le père de Gisèle était décédé d’un accident à l’usine, laissant Roseline avec cette enfant de moins de trois ans sur les bras et sans réels revenus. L’accident avait permis de payer la maison mais Roseline allait devoir trouver du travail pour subvenir à ses besoins et ceux de l’enfant. Beaucoup de problèmes arrivèrent avec ça. On conseilla à Roseline de faire adopter Gisèle pour lui permettre d’avoir une enfance et une vie plus facile. Après des semaines de réflexion qui lui déchirèrent le cœur, les moyens matériels l’obligèrent à prendre une décision. Et Gisèle fut adoptée par les parents d’Ellen.
Roseline avait passé le reste de sa vie seule ici, à se morfondre sur cette décision qui avait brisé son cœur.
La vieille dame se leva soudain. Elle partit un instant pour revenir avec une vieille peluche en très bon état. Le doudou d’Ellen. Une nouvelle vague de souvenirs et d’émotions la submergea.
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