Nouvelles

112 – Les rires

Phrase donnée par JohnButcher

J’entends des rires.

On m’avait prévenu. Je savais ce qui m’attendait. Je savais qu’en allant chercher l’Épée, au milieu de la Forêt des Maléfices, je risquais de vivre des choses étranges et dangereuses. Le vieux mage m’avait prévenu.

Et même si je suis l’Élu, le héros qui sauvera le pays de l’invasion de monstres du Seigneur des Ténèbres, même si je suis protégé par un sortilège puissant depuis ma naissance, même en ayant la Bague Bleu et le Bouclier de Fer, je suis dans cette maudite Forêt et j’entends des rires. Je suis prêt à tout pour sauver le monde. J’ai déjà combattu des slimes, des pieuvres cracheuses de pierres et cochons humanoïdes mais ici, ces arbres sont maléfiques. Réellement. Je sens qu’il se dégage d’eux quelque chose d’étrange.

La vielle voyante me l’avait dit. Elle m’a même donné un pendentif pour me protéger, il fonctionne bien, je le sens chauffer depuis que je suis à l’ombre du feuillage de ces monstres végétaux mais il n’est pas assez puissant. Je les entends murmurer à mes oreilles, je les entends rire.

Je dois me faire un chemin à travers ces taillis qui semblent bouger après mon passage pour m’empêcher de rebrousser chemin. Je dois récupérer l’Épée. Une fois en ma possession la forêt ne pourra plus m’atteindre et me laissera ressortir. D’après les légendes. En attendant, je dois trouver mon chemin pour aller jusqu’à elle.

Je suis dans cet enchevêtrement de troncs et de feuillages depuis des heures, j’ai l’impression de tourner en rond. Je ne compte plus le nombre de bêtes sauvages et étranges contre lesquelles j’ai dû me défendre depuis que je suis ici. Heureusement qu’elles me permettent de récupérer quelques pièces d’or qui me permettront d’acheter des équipements un peu plus sophistiqués. Si je sors d’ici vivant. Ces rires vont me rendre fou. Si je sors d’ici.

Enfin, je la vois. L’Épée est là, sur une grande pièce de granit sculpté. Elle est enfichée à l’intérieur, bien droite, attendant que l’Élu vienne la récupérer. Un rai de lumière qui tombe du ciel dans la trouée de branchage et la fait étinceler. Au pied, je vois les restes d’aventuriers qui n’étaient pas les élus. Les lames sont émoussées et à moitié recouvertes par de la mousse. Les crânes et ossements sont propres, comme s’ils avaient été reléchés après le repas.

J’entends encore une fois ces rires. Ils sont plus proches.

Et soudain, il tombe. Ce monstre légendaire dont tout le monde parle mais que personne n’a vu sans mourir. Il est immense, cinq fois ma taille, orange, visqueux. C’est une sorte d’œil géant avec une queue de lézard mais seulement deux pattes. Il n’a pas de bouche. Enfin, c’est ce que je crois jusqu’à ce qu’il lance sa queue sur moi et que je découvre à son bout un orifice qui s’ouvre et se referme avec de grandes dents qui claquent.

Je rengaine mon épée et passe mon bouclier dans mon dos tout en attrapant mon arc. C’est le genre de bestiole dont il vaut mieux rester à distance. À chaque pas qu’elle fait, le sol tremble et me force à rester immobile pour garder l’équilibre. Il faut que je saute à chacun de ses pas si je ne veux pas me faire avaler en une bouchée.

Je vise son œil et décoche une flèche. Ce monstre a de sacré réflexe, il arrive à fermer sa gigantesque et unique paupière à temps pour se protéger. La flèche rebondit mollement avant de tomber au sol. Je tente encore une ou deux fois mais le résultat est le même. Comment arriver à détruire ce monstre ? Soudain une idée me vient. Je range mon arc et sort de mon sac mes bombes. J’en prépare une et attends qu’il essaie de me croquer encore une fois. Il lance sa queue, je lance ma bombe allumée et esquive en roulé-boulé. Rapidement, j’entends le bruit sourd de l’explosion dans les entrailles de la bête, je dégaine mon arc et tire dans l’œil du monstre sonné. Bingo. La paupière ne s’est pas baissée. La flèche se plante dans le globe oculaire, énervant la bête qui se met à trépigner. Je me jette derrière un gros arbre et attends qu’elle se calme. Je vais l’avoir à l’usure.

Trois bombes et trois flèches plus tard, le coriace spécimen s’écroule enfin. Il devient de plus en plus transparent et laisse enfin apparaître cette relique en forme de cœur qui me permet de mieux résister aux coups. Je la ramasse et monte sur l’estrade en granit.

Lentement, je marche vers l’Épée. J’entre dans la lumière. Je m’inquiète, parcouru d’un doute. Et si je n’étais pas vraiment l’Élu ? Si je n’étais pas capable de la retirer de son emplacement ? Mourrais-je ici dans la Forêt Maléfique ?

Je pose la main sur le pommeau, tremblant. Je souffle. Je ferme les yeux et tire de toutes mes forces pour desceller l’arme. Elle suit le mouvement de mon bras si facilement que je manque de tomber à la renverse. Elle est dans ma main, déjà au-dessus de ma tête. J’ouvre les yeux et scrute la Forêt, pour voir si elle réagit. Je ne sais pas si la lumière tombant sur la lame rutilante de l’Épée éclaire le sous-bois ou si la Forêt a compris le message mais en tout cas, les rires se sont arrêtés.

 

2 Comments on “112 – Les rires

  1. Elle est sympatoche cette nouvelle 🙂

    (Sinon, c’est comme dans un jeu vidéo ? les monstres meurent et laissent à leur mort des sous ou des coeurs ! 😀 )

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *